Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Katell Quillévéré était présente à la Quinzaine des Réalisateurs en 2010, avec son premier long métrage Un poison violent, tout auréolé du prestigieux prix Jean Vigo. En cette fin d’année 2013, la jeune cinéaste est de retour avec Suzanne, portrait fulgurant et bouleversant d’une jeune femme interprétée par Sara Forestier, qui fut l’une des grandes sensations de la dernière Semaine de la Critique.

A l’occasion de son passage au Arras Film Festival 2013, où le film était présenté en avant-première, Katell Quillévéré est revenue sur la genèse de ce film singulier et puissant, et sur les multiples pistes de réflexion qui ont guidé ses choix de mise en scène, entre recours systématique à l'ellipse, fluidité et émotion contenue.

EN : Ce que je trouve intéressant, c’est que ce n’est jamais un personnage qui subit. Ce n’est pas une victime, elle fait ses propres choix.

KQ : Oui, ça c’était super important ! Dès le départ, ça nous a guidé. A aucun moment il ne fallait qu’elle soit passive. C’est plutôt un personnage qui décide, et parfois même qui décide dans les ellipses du film. C’est ça qui vraiment construit le romanesque autour d’elle : elle n’a jamais attendu le spectateur pour prendre une décision. On découvre qu’elle est enceinte quand elle a déjà fait le choix de garder l’enfant. On découvre qu’elle a disparu avec le garçon qu’elle a rencontré. Elle ne nous attend pas pour prendre les décisions importantes de sa vie. Le seul moment où on est vraiment là en temps réel quand elle décide quelque chose, c’est à la douane, quand elle dénonce son compagnon, ce qui est vraiment le point d’orgue de la fin du film. C’est le seul moment où, en temps réel, on la voit prendre une décision.

EN : Alors justement, comment vous est venue l’idée de cette construction hyper elliptique ?

KQ : Dès le début, on avait ce fantasme de raconter une saga. Le biopic, la saga, ce sont des structures d’écriture qui me passionnent. Très vite on a décidé qu’on voulait construire un récit sur 25 ans. Au départ, on avait une matière de film qui faisait plus de 4h. Quand j’ai vraiment décidé que ce serait un film de cinéma et qu’il ne pourrait pas faire plus de 2h sous peine de ne pas sortir en salle, évidemment, il est apparu qu’il faudrait le couper. Très vite, on s’est dit : « la coupe, on ne va pas en faire une contrainte, on va en faire une force. L’esthétique du film va être dans ces coupes. Le hors-champ va être aussi puissant que le champ. C’est ça qui était passionnant tout le temps : se dire « qu’est-ce qu’on montre ? Qu’est-ce qu’on ne montre pas ? » Et très souvent, ce qu’on ne montrait pas pouvait être plus important que ce qu’on montrait.

On s’est beaucoup appuyé sur l’idée que les événements les plus communs, que tout le monde a pu appréhender, vivre ou observer autour de lui, pourraient être dans le noir, parce que le spectateur pourrait s’appuyer sur son vécu pour l’intégrer. Comme ça, nous, on pourrait se concentrer sur autre chose qui pourrait plus paraître de l’ordre du détail et qui du coup allait être plus riche, plus intrigant, plus cinématographique. Et c’est clair que c’est une structure particulière et qui peut être déroutante pour les spectateurs, parce que ça demande d’être extrêmement actif devant le film. C’est-à-dire qu’on se trouve dans du noir, on ne sait pas quand on retombe dans le film à quelle époque on est, ce n’est pas le passage qu’on imaginait qui prend la suite… Voilà, le film est constamment comme ça : construit pour nous surprendre. Ca fait partie du fait qu’on est très pris dans l’histoire. A partir du moment où on marche dans un film, ça demande un investissement très fort.

EN : Par exemple, il n’y a aucun repère temporel, pas de dates…

KQ : Ca c’est un vrai choix. Je ne voulais absolument pas faire un film de reconstitution. Ca ne m’intéresse pas du tout. Je n’ai pas envie qu’on se dise : « ah, tiens ! On est en 88 ! » Ce que je veux, c’est qu’on sente que le temps passe. Ca, c’est extrêmement important. Je voulais qu’on soit dans un ressenti de ça, pas dans une représentation de l’époque et du temps. Donc évidemment ça passe par des détails et par des atmosphères. Ca va se jouer à un Minitel qui est dans le fond du plan, une matière de rideau, un type de vêtement qu’on a tous porté… Mais ce que je voulais, c’est qu’on ne se pose aucune question là-dessus. Que ça coule de manière fluide et je dirais, d’une manière générale, il fallait que le film soit un souffle. C’était aussi une condition : que ces 20 ans passent comme ça. Comme dans la vie, quand le temps nous échappe.

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