Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24





En pleine promo française de Lost River, Ryan Gosling et Reda Kateb ont accepté l'invitation des agences The Jokers et Cartel. Pendant 40 minutes, les deux ont ainsi répondu à nos questions, sont revenus sur les conditions de tournage et sur l'importance de Détroit. Rencontre.
Ecran Noir : Comment est venue l'idée de Lost River ?





Ryan Gosling: J'ai été frappé par la région de Détroit. J'ai rapidement eu l'impression que le rêve américain était devenu un cauchemar pour les familles qui y vivent encore, celles qui ont tout perdu à cause de la crise et que l'on n'a pas aidé, celles qui se raccrochent à ce qu'elles ont de plus cher, leur maison. J'ai voulu montrer ce que c'était Détroit en ce moment. Un an avant que le tournage ne commence, j'ai pris une caméra et je suis allé filmer ce qui se passait là-bas.

www.reeftiger.fr EN: Est-ce normal que les personnages aient des noms semblables à ceux de contes de fées ? Était-ce voulu que la ville de Détroit ressemble à une princesse en détresse ?

RG: Quand on se promène dans certains quartiers de Détroit, certaines familles vous donnent l'impression qu'ils sont les derniers vivants. On a l'impression qu'ils sont dans une cinquième dimension. Je ne voulais pas faire un film sur Détroit ou sur son économie. Le film traite de la vision que deux adolescents peuvent avoir. Ces deux adolescents veulent croire qu'une malédiction s'est abattue sur leur ville et qu'il suffit de la lever pour que les choses aillent mieux.

EN: Comment s'est passé le tournage ?

Reda Kateb: Eh bien pour une fois, nous n'avons pas eu à acheter l'endroit. Le film s'est fait dans l'échange avec les habitants de la ville parce qu'ils étaient vraiment touchés qu'on le fasse dans leur ville.

EN: D'ailleurs, dans le film, c'est vous le prince charmant, non ? Vous n'avez pas de carrosse, mais un taxi ! Qu'est-ce que ça fait d'être le sauveur ?

RK: On n'a jamais parlé de prince avec Ryan [Gosling], mais on voulait que ce personnage fasse corps avec son taxi. L'idée était qu'il se crée une bulle lorsque Christina Hendricks entre dans le taxi.

EN: Quelle a été l'influence du théâtre du Grand-Guignol dans votre film ?

RG: Lorsque j'ai pensé à filmer à Détroit, j'ai repensé à tous ces lieux qui sont dévastés par des ouragans. C'est dans ces endroits que l'on trouve des personnes intéressantes qui n'ont pas honte de leur noirceur. Mes recherches sur le théâtre du Grand-Guignol m'ont permis de faire remonter cette noirceur à la surface et qui s'exprime dans le cabaret du film.

EN: Qu'est-ce que vous a donné envie de passer à la réalisation ?

RG: La sécurité de l'emploi ! Si je ne trouve plus de films, je les ferais moi-même. (rires) Plus sérieusement, je n'ai pas choisi d'être réalisateur. Mais quand j'ai vu Détroit et ces familles, j'ai senti une certaine urgence : il fallait que je filme ça, cette réalité singulière. A force d'y tourner, j'avais mal au cœur. Il y a une forme de thème universel là-dedans, avec ces familles qui décident de rester, de ne pas quitter leur maison malgré tout.

EN: Qu'est-ce qui vous a donné envie de jouer dans un film de Ryan Gosling ?

RK: J'aimais le scénario. J'étais étonné de recevoir son script et encore plus de savoir qu'il me connaissait. Et j'ai toujours eu une certaine admiration pour l'acteur. Du coup, j'espérais que le scénario soit à la hauteur et je l'ai adoré ! Je savais que je n'aurais pas beaucoup de lignes dialogue mais l'idée de ce conte très noir était géniale. Mais je ne vous cache pas que le plus long, c'était de faire le visa. (rires)

EN: Dans votre film, on sent l'influence de quelques grands réalisateurs, ai-je tort ?

RG: Il est vrai que quand j'ai envoyé le script à mon compositeur, il m'a répondu par SMS : Dark Goonies ? Cool ! Il est vrai aussi que j'ai voulu rendre hommage à certains réalisateurs, avec cette histoire de famille qui fait tout pour s'en sortir. Mais je voulais aussi montrer quelle était aujourd'hui ma vision du cinéma et quels films j'avais envie de faire.

EN: Est-ce que vous avez encore le sentiment qu'aux Etats-Unis on roule encore sur l'or, comme vous le dites dans le film ?

RK: Je pense que j'avais ce sentiment adolescent. Mais aujourd'hui j'ai surtout le rêve du cinéma. J'ai joué dans des films indépendants aux Etats-Unis, pas énormément de gros films, donc j'ai plus l'habitude de la grande liberté et donc l'impression de rouler sur l'or. Mais le malentendu autour de l'idée que ce sera plus facile ailleurs est transposable n'importe où !

EN: Le Lost River qui sort aujourd'hui a un montage différent de celui présenté à Cannes. Comment avez-vous choisi les plans à retirer ?

RG: Dans la version cannoise, il y avait des scènes accompagnées de musique que je pensais libres de droit. J'avais tort. Donc j'ai dû retirer toutes ces scènes parce que je ne voulais pas les garder et les dissocier de la musique qui les accompagnait.

EN: Est-ce que c'était prévu dès le départ de faire dans le fantastique et l'onirique ?

RG: Je voulais que tout ait l'apparence d'un rêve, c'est comme ça que ces deux adolescents vivent dans le film. Il y a sans arrêt une ligne fine entre la réalité et la fantaisie. J'étais fier de pouvoir mêler fiction et réalité sur le tournage. Vous l'avez peut-être remarqué, il y a des acteurs qui sont en fait des habitants de la ville, comme dans cette scène à la station-service où Matt Smith danse avec une femme d'un certain âge. Ce n'était pas du tout prévu et ça a rendu le tournage beaucoup plus excitant.

EN: Peut-on dire que la ville est le personnage principal de votre film ?

RG: Oui, complètement !

EN: Comment s'est passée votre expérience dans ce cinéma indépendant américain ?

RK: Il y a pleins de manières de faire du cinéma indépendant. Celle que je préfère, c'est celle de Lost River, celle qui consiste à se glisser dans un endroit, à raconter une histoire avec les gens qui vivent dans cet endroit.

EN: Quel est votre regard actuel sur le cinéma indépendant ?

RG: Eh bien tout d'abord, j'adore ce cinéma ! L'un de mes premiers films, Danny Balint, était un vrai défi, c'était du vrai cinéma indépendant. On savait que ce serait dur à vendre, mais on s'est battu. On a enchaîné les festivals, on est allé chercher le public. Alors oui, par la suite, j'ai tourné dans des plus gros films, mais ça n'a jamais été aussi fort que cette expérience-là. Sans doute parce qu'à un moment donné, on a toujours envie de revenir à ses fondamentaux. Ce n'est pas pour autant que je n'aime pas le cinéma grand public. Mais je pense vraiment que le cinéma indépendant est l'endroit où l'on peut s'exprimer, où il y a cet esprit un peu étudiant où l'on veut tout essayer. Et c'est ça qui me plait.


   wyzman