Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24





Fin septembre, l'automne débute à peine. Le cinéma français fait sa rentrée et Romain Duris sera en novembre 1999 deux fois à l'écran: Je suis né d'une cigogne de Tony Gatlif et (en salles le 24), Peut-être de Cédric Klapish (en salles le 10). Deux cinéastes avec qui Duris a déjà tourné. Une rencontre est alors programmée avec ce jeune acteur plein d'avenir au Café de la SACD à Paris ...






Ecran Noir : Bonjour Romain, peux-tu nous parler en quelques mots de l'histoire et de ton personnage dans Je suis né d'une cigogne ?

Romain Duris : C'est un garçon de mon âge qui s'ennuie un peu. Otto n'a pas beaucoup d'argent. Il vend des journaux dans le métro pour les Sans Domiciles Fixes , les sans abris. Il est dans cette vie-là et se laisse un peu aller. Tout à coup, il décide d'arrêter ça. Il faut qu'il se passe quelque chose. Otto réalise qu'il doit bouger. Il va rencontrer Luna, coiffeuse interprétée par Rona Hartner. Il va être attiré par elle. Luna est dans son métier. Elle craque. Son désir est de bouger elle aussi. Alors, Otto achète un revolver à Michel, un jeune banlieusard. Puis, ils prennent tous les trois la route. Ils se révoltent contre tout, l'huissier qui embarque tout le mobilier de la grand-mère qui héberge Luna. Ils mettent le feu chez l'huissier. Toute cette énergie, cette révolte va être canalisée sur la trouvaille d'une cigogne qui représente un "Sans papiers" venant d'Algérie. Elle a voyagé sous un camion. Elle se trouve dans un champs perdu. Elle est recueillie et soignée par le trio rebel. Ce que j'aime bien, c'est de sentir ces jeunes qui se révoltent contre leur état où il vivait avant, un peu "loboto". Puis soudain, ils disent : "Non! stop c'est fini". Ils se révoltent et le but, ce qui est bien, c'est de trouver quelque chose où on peut aller. Là, c'est la cigogne, ça aurait pu être autre chose.

EN : C'est symbolique en fait...

R.D : Oui, mais ça leur donne un but. J'aime bien cette idée.

EN : As-tu travaillé ton personnage avant de jouer dans le film? As-tu été à la rencontre de personnes qui distribuent des journaux dans le métro ?

R.D : Non, je les regarde, c'est déjà pas mal. Je n'ai pas vraiment de règles pour travailler un rôle. J'essaie de m'imaginer comment je réagirai dans une telle situation. C'est une grande question: comment aborder un rôle ? J'essaie de travailler comme ça.

EN : Dans la vie , tu te sens concerné par cette misère sociale ?

R.D : Oui, j'en parle avec mes amis. Mais franchement, je ne peux pas dire que je me rend dans des organisations. Ca viendra peut-être, mais pas en ce moment en tout cas. Ce que j'aime, c'est que dans mes films je peux aller dans ces idées-là. Je trouve que c'est pas mal de passer par le cinéma.

EN : Défendre ses idées...

R.D : Oui. Par exemple, la tolérance, le racisme dans Gadjo Dilo, l'aide à un "sans papiers" dans Je suis né d'une cigogne. C'est ma façon d'exprimer des idées.

EN : Après Gadjo Dilo, tu retrouves Rona Hartner, comment ça s'est passé ?

R.D : Très bien. Elle est incroyable Rona...

EN : Entre Gadjo Dilo et Je suis né d'une cigogne, combien de mois se sont écoulés avant de tourner à nouveau avec Tony Gatlif ?

R.D : Il y a eu 1 an entre les deux films. On avait eu le temps avant de se ressourcer. J'adore retravailler avec les gens, j'adore ça. Je trouve qu'on avance, on se connaît mieux. J'adore Tony Gatlif. Je le respecte énormément et j'espère qu'on va retravailler ensemble. Gadjo Dilo, pour moi, c'était plus qu'un film.

EN : Gardes-tu un bon souvenir du tournage ?

R.D :Bien sûr. Ce qui est bien avec Tony (Gatlif), on est entre nous, un petit comité de 5 à 6 personnes. J'ai adoré tous les lieux dans lesquels on a tourné.

EN : C'était une vrai manifestation ?

R.D : Oui, c'était une vrai manif' qu'il y avait à Paris. J'ai adoré ce moment-là. Ils ont couru, tourné des plans, posé la caméra au sol. Il y avait un type qui braillait dans son mégaphone. Tony nous disait d'aller avec lui, qu'on se débrouille, qu'on fasse un truc. Quand le cinéma se mêle comme ça dans la vie de tous les jours, c'est là - en tant que comédien - que tu peux être un peu gêné. Tu n'est pas gêné quand tu fais une scène avec 30 personnes autour de toi, c'est ton métier. Mais, quand tu es dans la vie, tout d'un coup, tu te trouves dans le métro et qu'on te dise : "Vas-y, fais-le!", c'est un sacré exercice. Avec Tony c'est souvent ça...

EN : Est-ce que c'est facile de s'adresser à une caméra imaginaire alors que d'ordinaire on passe son temps à éviter la caméra ?

R.D : La première fois, c'était dans la chambre. C'est dur parce que c'est un regard qui est fixé. C'est difficile parce qu'il existe plusieurs façons de regarder la caméra. Je sais que pour cette scène là, j'avais dit à Tony : "Tu es sûr que ça va ?" parce que je l'ai regardée. C'est vraiment bizarre comme sensation. Tu te dis : "Jusqu'où je peux aller?" Est-ce que je faire un regard franc ?...

EN : Parler à une cigogne, c'est facile ?

R.D : Non, c'était dur. Tony me disait : "Imagine vraiment que c'est un algérien". Mais, c'est ça que j'aime avec Tony, ce n'est jamais gagné. Jamais, avant une scène tu te dis : "Bon, ca va aller tranquille". En fait, il faut que tu donnes plus que ça, ça ne suffit pas. Tu es toujours bousculé. Tu es poussé dans tes retranchements, ça j'adore. Et pour ça, je suis content d'avoir tourné Gadjo Dilo avec lui.

EN : Qu'est-ce que tu penses de Michel, le jeune banlieusard "intello" interprété par le jeune Ouassini ?

R.D : Je l'ai trouvé super. Ouassini a bien joué le personnage. Il est dedans. Il est immonde, quand il lit Che Guevarra. Il est concentré. J'ai découvert ce garçon. Ce qu'il faisait n'était pas facile, ça aurait pu être mal joué, faux. Mais apparemment Ouassini est quelqu'un qui réfléchit beaucoup.

EN : Qu'est-ce qui te plaît dans la mise en scène de Tony Gatlif ?

R.D : Ca va très vite, des images presque volées. C’est très libre. Tout à coup, on passe devant l’Assemblée Nationale, il y avait un grand panneau "J’accuse" de Zola. Tony dit "Il faut qu’on tourne ça. On va te mettre devant ". C’est très jeune comme comportement. C’est ce que je fais avec mes amis quand on filme. On prend des images en vidéo au vol rapidement. Alors que là, c’est caméra/pellicule et tout. Il a ce côté "sur le vif", c’est absolument génial. J’aime aussi l’évolution des prises après prises. Tony, c’est quelqu’un de très concentré et sait ce qu’il veut. C’est très intense, à chaque fois, j’ai dû me battre à chaque prise. Mais, il m’avait prévenu avant Gadjo Dilo. C’est dur, quand tu sors de là, tu te dis : "Je suis content!". Chaque fois, les films de Tony, ça me procure dans mon esprit des remises en question, des doutesÉ c’est très intéressant.

EN : C’est différent de la mise en scène de Cédric Klapisch ?

R.D : Cédric Klapisch, ça sera plus le propos. Il réalise des choses sur moi, sur la vie É Tony c’est autre chose. Je n’ai pas envie de faire de comparaisons entre eux. C’est des caractères différents. Tony, je sais que ça me bouleverse complètement à chaque fois. Je repars à zéro, je prends des claques dans la figure, mais j’aime ça, on en a besoin à 25 ans. J’avais pris ça dans Gadjo Dilo, j’ai mis 1 an à m’en remettre. Mais, dans le bon sens. Et là, dans ce film, il n’y avait plus la dimension gitane. Je me suis rendu compte que Tony avait ça en lui. Je ne sais pas comment l’ont ressenti les autres acteurs, mais pour moi, c’est comme ça que je l’ai pris.

EN : Peux-tu me parler de ton personnage ?

R. D :. C’est une fête, un réveillon de l’an 2000 C’est un garçon comme tout le monde et sa copine veut un enfant de lui précisément à cette date là. Ils vont faire l’amour dans les toilettes. Et juste à la fin, il va se retirez d’elle, parce qu’il n’est pas prêt. Il doute complètement. Ils vont se séparer dans ce moment-là. Il y a eu le décompte de l’an 2000. Il s’aperçoit en relevant la tête que du sable s’échappe d’un trou au-dessus de lui. J’ai pas envie d’en dire trop, en gros, il va se retrouver 70 ans plus tard dans un autre monde avec son fils incarné par Jean Paul Belmondo, qui lui dit : "Si tu ne redescends pas baiser ma mère, on n’existera pas. Donc, vas-y ". C’est un peu un doute que tu pourrais avoir dans ton cerveau qui est projeté en image, comme un rêve et j’adore ça. Après lecture du scénario, j’ai flashé tout de suite. Ca fait longtemps qu'il a ce projet, j’avais l’impression de lire un conte pour enfant qui te marque. Quand on te dit : "C’est toi qui va jouer". C’est un cadeau, c’est comme si tu étais dans une grande bande dessinée. C’est toi le héros. C'était génial. Le tournage s’est très bien passé. C’était beau. A part, la pluie en Tunisie qui nous a bien embêté. Mais, j’adore Cédric, sa façon de travailler, son équipe technique. Les gens autour de lui étaient passionnés.

EN : comment ça s’est passé avec Géraldine Palhas ?

R. D : Très bien. J’étais très content. Cédric arrive bien à faire ça. C’est dans tous ses choix.

EN : Gardes-tu un bon souvenir du film de Cédric Klapisch ?

R.D : Oui, génial.

EN : Tourner avec JP Belmondo, c’était comment ?

R. D : Impeccable, j’étais très étonné de sa simplicité, générosité. Aucun rapport de force, on s’est très bien entendu. Ca fait plaisir, parce qu’il y a souvent des problèmes sur les tournages. Des gens qui ne se lâchent pas vraiment, je ne sais pas, il y a des comportements que j’aime moins. J’étais content de voir un homme comme Jean Paul Belmondo qui garde une simplicité mieux que certains jeunes comédiens qui ne sont plus dans ce registre-là. C’est simple, c’est un échange, on se donne des choses. Mais, certains ne l’ont pas compris. Avant tout, Jean Paul Belmondo veut se faire plaisir, partager les scènes avec les acteurs. Très attentif aux indications de Cédric, aucune prétention de sa part, toujours à l’écoute. C’est vraiment génial.

EN : Merci.

Bertrand Amice / Ecran Noir / 30.09.1999


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