Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Ismail Merchant nous reçoit dans son pied à terre parisien. Un somptueux appartement richement meublé situé dans le quartier de St Germain des Près. Très détendu, allongé sur le sofa au milieu des coussins, il parle avec son inimitable accent indien de son nouveau film, The Mystic Masseur, qui sort en France le 25 juin. Avec ce film, l’homme qui produit tous les films de James Ivory passe pour la 4ème fois derrière la caméra. L’histoire de The Mystic Masseur est encore une fois liée à ses racines indiennes.
Ecran Noir : Quand avez-vous eu l’idée d’adapter le livre de VS Naipaul (prix Nobel de littérature en 2001), « Le Masseur Mystique » ?





Ismail Merchant : J’avais déjà lu ce livre quand j’étais à l’université et je l’aimais beaucoup car c’est un livre plein d’humour et les personnages m’avaient immédiatement plu et touché. C’est un roman magnifique. Et puis il y a 6 ans, un de mes amis m’a reparlé de ce livre. Je l’ai relu et j’ai tout de suite eu envie de voir vivre ces personnages merveilleux que sont Ganesh, Leela, Ramlogan et même la vieille tante.

EN : VS Naipaul est réputé pour refuser toute adaptation de ses œuvres à l’écran, comment avez-vous réussi à le convaincre de vous confier son livre ?

IM : VS Naipaul avait été échaudé par Jonathan Miller qui voulait adapter « Une maison pour monsieur Biswas » et par Francis Ford Coppola qui voulait faire « Guérilleros ». Au départ il avait été flatté et très excité à l’idée de voir ses romans prendre vie sur la pellicule. Mais finalement aucun de ces projets n’a vu le jour et il en fut très déçu. Il est donc devenu réticent à l’idée de vendre les droit de ses livres pour des adaptations cinématographiques. Je lui ai écrit une lettre, et par chance il m’a tout de suite répondu que j’avais sa permission. Il m’a dit : « pas la peine de venir me voir, je connais vos légendaires pouvoirs de persuasion, occupez-vous de ça directement avec mon agent ». J’ai donc obtenu les droits. Puis, je l’ai invité à déjeuner et je lui ai montré les photos des lieux où nous allions tourner. Je ne sais pas si VS Naipaul a vu le film. Je l’ai invité à venir le voir mais il n’est pas venu. Peut-être qu’il est allé le voir en salle de son coté, mais je ne sais pas ce qu’il en pense. Mais je suis heureux d’avoir pu faire ce film, il reçoit un très bon accueil pour l’instant. Il vient tout juste de sortir à Trinidad, il y a à peine un mois.

EN : Vous avez la réputation d’être un producteur plutôt économe. Comment avez-vous réussi à tourner dans des endroits aussi magnifiques à Trinidad ?

IM : Je ne voulais pas tourner ailleurs. Beaucoup de gens m’avaient prévenu que ça serait difficile de tourner là bas car il n’y a pas d’industrie du film à Trinidad, mais je voulais coûte que coûte saisir l’atmosphère authentique de ce lieu et ressentir ce qu’avait ressenti Naipaul. Donc j’y suis allé et j’ai eu la chance que les gens du pays acceptent de financer le film. Tout s’est très bien passé. Le gouvernement de Trinidad nous a prêté son aide.

EN : L’histoire de Ganesh, qui gravit les échelons sociaux pour finalement atteindre la gloire, reflète la vie de VS Naipaul, mais cela ressemble aussi beaucoup à votre propre parcourt.

IM : Bien sûr, je m’identifie énormément au personnage de Ganesh. C’est l’autobiographie de Naipaul, qui est né dans un milieu modeste avant de devenir un grand écrivain en quittant Trinidad et en s’installant en Angleterre. Et pour moi c’est un peu la même chose. Je suis né à Bombay puis j’ai réalisé toutes ces grandes choses avec James Ivory. Nous avons crée Merchant Ivory Productions à New York, à Londres etc… Et pourtant cela ne m’empêche pas de rester attaché à mes propres racines, je ne les abandonne pas car elles sont très importantes pour moi.

EN : Pourquoi ne réalisez-vous pas plus de films ? Est-ce parce que vous préférez produire plutôt que réaliser ?

IM : J’ai commencé ma carrière entant que producteur. Réaliser un film c’est différent de le produire. Quand je suis réalisateur je ne m’intéresse qu’aux sujets qui m’attirent vraiment. Par exemple, j’ai réalisé In Custody (1993) parce que cela parlait d’un poète Urdu (Ismail Merchant est lui-même d’origine Urdu, ndlr). De même pour Jeanne Moreau (qu’il a dirigée dans La Propriétaire en 1996, ndlr), j’ai fait le film parce que je voulais travailler avec elle et parler de la France et de l’Amérique. Puis j’ai eu envie de montrer la communauté anglo-indienne en Inde, c’est pourquoi j’ai fait Cotton Mary (en 1999). Pareil pour The Mystic Masseur. Pour que je fasse un film il faut que je ressente vraiment quelque chose pour l’histoire, qu’elle me parle, qu’elle m’inspire profondément.

EN : Vous êtes un cuisinier réputé, pensez-vous qu’il y ait des similitudes entre faire la cuisine et faire un film ?

IM : Je suis un cuisiner plutôt atypique parce que je crée mes propres recettes. Ce sont toutes des recettes originales, et il en va de même pour mes films. S’il y a une atmosphère magique, des acteurs merveilleux, une histoire originale et intelligente qui peut toucher les gens, cela donne une excellente recette. Si on combine bien tous les ingrédients d’un film (les acteurs, l’histoire, la réalisation, la photographie…) on obtient un plat délicieux. Donc, oui, faire une bonne recette et un bon film ça fonctionne de la même façon.

EN : Vous écrivez des livres de cuisine, vous réalisez et produisez des films, vous passez votre temps entre Bombay, Londres, New York et Paris. Où trouvez-vous le temps de faire toutes ses choses ? Vous ne vous reposez jamais ?

IM : Le fait est que lorsqu’on se lance constamment des challenges on ne se sent jamais fatigué. Au contraire on est dans un état d’euphorie. Donc c’est vrai je ne dors pas beaucoup et je travaille énormément mais c’est comme une drogue. Je l’avoue, je suis accroc au travail (rires).

EN : Vous possédez un appartement à Paris, vous avez été fait commandeur de L’ordre des Arts et des Lettres et en 1996 vous avez donné le premier rôle à Jeanne Moreau dans La Propriétaire, pour lequel elle jouait une écrivain français expatriée aux Etats-Unis qui revient dans son pays natal, comment expliquez-vous ce rapport particulier à la France ?

IM : Cette relation privilégiée avec la France date d’il y a très longtemps. Quand j’étais tout jeune j’ai toujours voulu aller à l’Université de la Sorbonne. Malheureusement ce n’est jamais arrivé, j’ai du partir pour les Etats Unis quand j’ai commencé Merchant Ivory Productions. Quand je suis revenu en France pour Jefferson à Paris, je me suis inscrit à la Sorbonne. J’étais très heureux, j’allais enfin devenir élève de la Sorbonne à l’âge de 51 ans !

J’y suis allé pour apprendre le français avec les autres élèves étrangers. Malheureusement, je n’ai tenu qu’une semaine parce que j’avais tellement de rendez-vous à New York et à Londres que j’ai du rater les cours. Les professeurs étaient très embêtés et m’ont dit que je ne pourrais jamais apprendre le français de cette façon parce qu’il faut être assidu. Du coup je me suis acheté un magnétophone et un livre, et de temps en temps je m’entraîne. J’écoute les mots de la langue française. Et maintenant quand je vais au restaurant j’essaie de commander en Français, j’arrive même à demander mon chemin. Je pense qu’un jour je parlerais bien français.

EN : Allez vous refaire un film qui explorera une nouvelle fois votre amour pour la France ?

IM : Oui, nous allons faire « La chambre de Giovanni » (« Giovanni’s Room »), le livre de James Baldwin. Et nous allons le tourner à Paris.

EN : Quand vous avez crée Merchant Ivory Productions, vous aviez en tête de promouvoir le cinéma indien. Que pensez-vous de ce nouvel engouement occidental pour les films de Bollywood ?

IM : Je trouve ça bien, j’aime cette idée que les films de Bollywood aient du succès parce qu’ils sont un vrai genre à part entière. Les numéros musicaux sont vraiment très populaires en Inde, c’est du divertissement à l’état pur. Malheureusement leur contenu n’est pas de la même qualité. C’est bien que ce soit devenu à la mode, mais ça n’est vraiment pas mon truc. Je ne ferai jamais de comédie musicale dans ce style.

EN : Quels sont vos prochains projets entant que producteur et réalisateur ?

IM : Mon projet le plus imminent c’est bien sur la sortie du Divorce que James (Ivory) a réalisé. Il sortira à l’automne en France et a un casting de rêve. Kate Hudson, Naomi Watts, Glenn Close, et même Thierry Lhermite qui est un excellent acteur. En ce qui concerne mes projets de réalisation, je vais bientôt faire une comédie en Angleterre qui s’appelle « India’s windy empire ». Au casting il y aura encore Om Puri et Ayesha Dharker (deux des héros de The Mystic Masseur, ndlr) et aussi Shashi Kapoor. Le tournage commencera l’année prochaine.

Propos recueillis par Dominique juin 2003.


   Dominique