Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Ma vraie vie à Rouen


France / 2003

26.02.03
 



ETIENNE, TIENS LA BIEN





"- C’est à toi cette caméra ?"

Ducastel et Martineau aiment filmer en liberté, ressentir les paysages, suivrent des personnages en quête de maturité. Cette vraie vie provinciale, reflet déformé d’une autobiographie maquillée, est la continuité de cette adolescence qui les séduit tant. Jeanne, Félix (bien que plus âgé) et désormais Etienne sont troublés par leurs amours, mais surtout ils cherchent la voie sur laquelle s’engager, sans forcément comprendre ce qui les fait avancer. Jeanne évolue avec la mort, Félix avec le voyage. L’initiation d’Etienne se fera à travers son propre miroir.
Nous voilà ainsi confronter à la forme du film, déroutante à première vue. Le regard s’accoutume et devient captif de cette vidéo numérique. Car rien n’est anodin, tout est justifié. L’usage d’une caméra DV (donc d’une technologie induisant une certaine narration) est légitime dans le cadre d’une histoire comme celle-ci. Le scénario est un mélange de fiction, d’invention, de souvenirs recollés, de morceaux de vie saisis sur le vif. Car il s’agit bien d’une ¦uvre cinématographique, sous ses allures de film de vacances, tournée par un amateur (qui serait ici l’acteur transformé en réalisateur). Nous assistons à la naissance d’une nouvelle réalité, où le réalisateur n’existe pas avec le cadre mais bien avec un choix artistique, une écriture bien présente, des comédiens dirigés et un montage qui agit comme un leurre. Cette "tromperie" agit vite comme un aimant où le spectateur voyeuriste s’intéresse à ces personnages qui lui ressemblent tant. Une sorte de reality show sans esbroufe - ni sensationnel, ni fade - où le processus de scénario (avec événements et rebondissements) nous oblige à ne pas confondre le réel avec son apparence. Tout n’est que cinéma : le patinage artistique (qui rappelle la chorégraphie de Jeanne), les histoires d’amour, la beauté des comédiens, les paysages de falaises, les saisons qui défilent...
Pour raconter l’histoire d’Etienne, à travers ses yeux, en caméra objective, mais en reflet subjectif, la caméra de "monsieur tout le monde" enregistre les gestes quotidiens, les faits routiniers, les paroles familières, la vraie vie. Qui est évidemment fausse.
Le dogme danois nous avait déjà habitué à cette image pseudo-naturelle. De même, Kiarostami (Ten), nous avait entraînés l’an dernier dans un film où la mise en scène disparaissait au profit d’une réalité reformatée et fabriquée. Enfin des films récents comme La Femme défendue nous avaient confrontés à focaliser sur un personnage central et objet du film.
Reste que le chemin ouvert est immense : la place du réalisateur n’est pas contestée, mais l’apparition des caméras numériques oblige à comprendre que les journaux intimes de demain seront peut être des films et non plus du papier. A partir de ce faux-semblant, les cinéastes ont imaginé un film où les comédiens collent au réel. L’imaginaire disparaît.
Il reste le témoignage d’un adolescent (ses passions, sa vie, sa normalité), à la fois curieux et absent des autres, exhibitionniste et voyeur. Il ne s’aime pas, et n’essaie pas de se comprendre. Il cherche des indices qui peuvent l’aider à s’accomplir. Le sport est en cela, avec sa mère, son seul repère. Mais aucun des deux ne résout l’équation essentielle de son existence : qui aimer (et donc comment s’accepter) ?
Car reconnaissons qu’au bout d’un quart d’heure, cet Etienne nous devient attachant, et même touchant. On comprend bien avant lui, grâce à "ses" parti-pris de "réalisateur", où tout cela va le conduire. La frayeur de cette grande inconnue, cet émaillage de petits incidents et d’accidents jamais tout à fait inconscients, cette obsession du vertige va le bousculer et le faire basculer. C’est sans aucun doute l’un des films les plus authentiques sur le mal être de la jeunesse (loin des stats et des clichés), sur sa manière d’appréhender les différents sauts dans le vide (compétition, amour, dialogue...).
Mais avant tout, Ducastel et Martineau nous ont montrés comment naît le désir. Ce qu’est ce désir (ici masculin, et même homosexuel, mais ça n’a aucune importance). C’est à dire l’envie du toucher, du baiser, des mots pour le dire, l’envie de voir et de se montrer, de partager la sexualité, le corps. Certes, le cas est simpliste : absence du père, complexe oedipien et en plus patineur artistique, Etienne n’est pas gay par hasard. Mais ça le rend triste, parce que personne ne voit son désir, personne ne lui renvoie les questions qu’il pose aux autres plutôt que de se les poser à lui même.
En une année scolaire, en 100 minutes, il est passé de l’insouciante adolescence à l’avenir le plus prometteur. Etonnement pudique, et même humble, la mise en scène ne laisse passer aucun détail : tous les plans dirigent notre regard vers ses pensées secrètes. Ce drôle d’Etienne attend son garçon formidable. Sa vraie vie, alors, se passera ailleurs.
 
vincy

 
 
 
 

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