David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles.



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LA REINE BARDOT (1934 -1973)





Certains destins appellent la lumière et la gloire dès leur naissance. Le 28 septembre 1934, une petite fille choisit de naître vers midi, à l’heure où le soleil est au zénith, à deux pas du Champ de Mars et de la Tour Eiffel. Ses parents l’appellent Brigitte, prénom allemand qui signifie « déesse du feu ». L’horoscope du Petit Parisien prédit : « Les enfants de sexe féminin nés ce jour, sous le signe de la balance, seront promis à un avenir artistique brillant. ». Le même journal titre en première page : « Les producteurs de films ont confiance ». Avec ce bébé-là, ils le peuvent en effet et pour un bon bout de temps...

À l’automne 1934, les nouvelles de la terre murmurent qu’à l’Est,replica watches Adolf Hitler s’apprête à devenir le Führer des Allemands. À l’Ouest, dans Extase de Gustav Machaty, Hedy Lamarr fait rougir et choque Hollywood en folâtrant toute nue dans les bois et l’eau d’une rivière.

À des milliers de lieues de cet orgasme naturiste, la tendre enfance de Brigitte se déroule dans une atmosphère « bon ton bien comme il faut » du XVIe arrondissement. Elle grandit entourée de Louis, son père industriel, de sa mère Anne-Marie et de Marie-Jeanne, sa petite soeur. Dans la famille Bardot, tout le monde y va de son surnom. Le papa et la maman deviennent Pilou et Tooty. Marie-Jeanne : Mijanou. Et Brigitte ?... Brichetonne qui se décline au fil des ans en Bri Bri. Temps béni, bulle de perfection très « haute bourgeoisie » ? À voir... Sur la table de la salle à manger familiale trône une ancienne poterie chinoise, objet sacré aux yeux de Tooty. Un triste jour, Bri Bri et Mijanou jouent aux Indiens. Elles se réfugient sous la nappe, tirent ses pans devenus les parois d’un tipi. La chinoiserie déséquilibrée se brise sur le sol. Pour les punir, Louis assène aux fillettes des coups de cravache. Anne-Marie, elle, décide de vouvoyer ses enfants devenus à ses yeux des étrangères. Les parents ne lèveront pas l’interdiction et, à partir de cet incident, Brigitte ne tutoiera plus jamais ses géniteurs.

Ce trauma détermine le caractère méfiant jusqu’à la paranoïa dont ne cessera de faire preuve Bardot toute pendant sa carrière. Il provoque aussi chez l’enfant un goût farouche pour l’indépendance et la liberté. Dès ses jeunes années, une idée fixe obsède le petit bout timide et craintif : s’envoler hors du nid familial ne s’y sentant plus chez elle.

Jusqu’à la floraison de son identité dans le mannequinat, Brigitte se compare à un caméléon, état d’esprit propre aux actrices. La fillette compartimente les secteurs de son existence, se dédouble. À l’école, surnommée par Brichetonne « la corvée », le vilain petit canard doit porter des lunettes pour corriger un strabisme et aussi un appareil dentaire pour redresser une dentition trop avenante. Nul ne la remarque sur les photos de classe tant elle se semble se fondre dans le paysage. Dans les cours de danse classique, sa passion, c’est tout le contraire. Cygne brun en tutu blanc, elle affiche sa superbe, dresse son cou interminable et éclipse les autres petits rats. L’une de ses camarades d’entrechats, une certaine Leslie Caron, se souvient : « Brigitte était longue, mince et avait des gestes très élégants. Elle aurait pu devenir une merveilleuse danseuse si elle avait voulu s’en donner la peine. Mais elle était lente et un peu paresseuse. ».

brigitte bardot


Modèle au top

Le destin de Bri Bri s’accélère grâce à sa mère. Dans un élan d’émancipation tardif, Tooty ouvre un magasin de chapeaux. Comme le moindre couvre-chef donne à l’aînée l’allure d’une petite sirène, Brigitte est choisie pour présenter la première collection ! Dans un salon guindé, à des lustres des frasques trioliques de Blow up de Michelangelo Antonioni, la jeune fille fait trois petits tours devant les clientes et file changer de coiffure en cabine. Ses sourcils relevés par une surprise perpétuelle abritent une paire d’yeux en amande immenses et brillants qui semble découvrir quelque chose d’extraordinaire invisible au commun des mortels. Son nez petit et un peu aplati laisse éclore juste en-dessous une paire de lèvres épanouies qui sourit, puis se relâche soudain dans une moue. Cette moue « bardotienne », unique, exprime la rébellion secrète d’une femme-enfant-objet qui se retient de dire ce qu’elle pense du monde Petits-bourgeois qui l’entoure. Elle attend son heure pour lui clouer le bec et tourner le dos à son fatras de préjugés et de conventions.

Du bibi à la capeline, Brigitte a la tête à ça et subjugue les relations de sa mère. Parmi elles, Jean Barthet, le futur créateur des costumes et des chapeaux des Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy. Le créateur repère aussitôt le profil « raboté comme celui d’un pékinois » de l’adolescente. Christine Gouze-Rénal, l’une de ses plus grandes amies, décrit à la perfection le visage singulier de Brigitte Bardot : « Ce qui fait sa beauté, c’est l’épaisseur de ses traits : tout ce qui condamnerait une autre. Cela lui donne quelque chose d’unique et de vrai qui la rend exceptionnelle. Elle est typée, sans doute la première beauté de caractère, et ce caractère, on ne le retrouve pas chez d’autres.»

De pince en chapeau, puis de fil en aiguille, Brigitte acquiert une petite notoriété de top modèle dans le Tout-Paris. Hélène Lazarreff, dirigeante du magazine ELLE qui propose une image de la mode française à la pointe pour les observateurs étrangers, repère la longue gamine brune. En 1950, elle lui offre une première couverture très Lolita où les fameuses initiales BB apparaissent pour la première fois car Tooty ne souhaite pas que le patronyme familial s’étale dans la presse. L’avenir va la gâter…

brigitte bardot


Baby Doll, la prem’s !

Le temps passe et embrouille les mémoires. Beaucoup pensent que les styles « teenage », puis « casual » proviennent des Etats-Unis avec Caroll Baker en 1956 suçant son pouce au fond d’un lit-cage dans Baby Doll d’Elia Kazan. Le phénomène éclate d’abord d’une façon plus discrète en France et il a pour nom : Brigitte Bardot. Elle est la première femme-enfant qui influence le cinéma américain et cristallise la mutation baby-boom de la société d’après-guerre. Comme à son habitude, Hollywood s’empare de la tendance, la dévore, la digère, la régurgite, la magnifie et, à l’aube des sixties, la renverra en Europe comme un boomerang avec la vague des Yéyés.

En 1950, un Bobo avant l’heure feuillette un numéro de Elle où BB, mélange de collégienne et de gitane, sourit avec espièglerie. Il s’arrête un temps sur la couverture. Ce jeune slave a une bouche sublime dessinée comme une blessure au couteau. Il n’est pas rasé, porte un perpétuel col roulé et ne sait pas qu’entre ses mains se trouve un charmant minois qui va, grâce à lui, exploser comme une bombe sexuelle à la face du monde entier. Ce lecteur de 22 ans, c’est Roger Vadim, alors assistant du réalisateur Marc Allégret. Fils du vice consul de France en Égypte, il possède un point commun avec BB, son horreur pour ses origines bourgeoises. Ce grand séducteur les tient à distance en revendiquant un style bohème.
Persuadé qu’il vient de tomber sur la nouvelle Simone Simon, révélée par Marc Allégret dans Le lac aux dames en 1933, il entre en contact avec les parents de Mademoiselle Bardot et, avec leur accord, la présente au cinéaste. Peut-être rendu myope par la buée des souvenirs, Allégret ne discerne rien de son égérie en Brigitte et ne comprend pas l’engouement de son assistant. Pygmalion dans l’âme, Vadim pétri d’ambition cinématographique, s’acharne, croit si fort en la nymphette qu’il en tombe amoureux. Bri Bri, subjuguée par le charisme anti-conventionnel du futur artiste, succombe à ses charmes en moins de deux. Grâce aux relations de Vadim dans le petit monde du cinéma français alors d’envergure artisanale comparé à l’industrie hollywoodienne, Bardot apprend petit à petit son métier d’actrice dans une quinzaine de films. Parmi eux : Le trou normand de Jean Boyer avec Bourvil, Si Versailles m’était conté de Sacha Guitry avec Jean Marais, Les grandes manoeuvres de René Clair, En effeuillant la marguerite de Marc Allégret avec Daniel Gélin.

brigitte bardot


La créature de Satan

En 1952, malgré la réticence de Louis Bardot qui garde sous la main une arme à feu au cas où son fantasque de gendre ferait du mal à sa fille, Brigitte devient Madame Vadim. Dans la corbeille de mariage, l’époux glisse une promesse sulfureuse à sa moitié encore mineure : « Tu seras un jour le rêve impossible des hommes mariés. ».

L’été de l’année suivante, à Saint-Tropez, le rêve devient réalité quand débute le tournage d’un long-métrage au titre sublime où la déesse Bardot devient une « blonde solaire farouche ébouriffée » pour s’associer au diable Vadim et créer Juliette Hardy, un archétype de femme qui s'habille d'un rien et se déshabille pour un rien.
Dans Studio magazine, Marc Esposito écrit en 1987 : « Dès son premier grand rôle dans Et Dieu créa la femme, c’était un personnage. D’entrée, sur l’écran, on ne voyait qu’elle. Si, comme dans La rose pourpre du Caire de Woody Allen, elle était sortie du film pour entraîner n’importe quel homme par la main, ils l’auraient suivie, abandonnant femme et enfant sans réfléchir. Toutes les jeunes filles rêvaient de lui ressembler, de percer le mystère de sa séduction ravageuse. Toutes les femmes qui ne pouvaient plus changer, toutes les braves épouses vertueuses étaient blêmes de haine. Bardot, c’était un fantasme. Un fantasme en chair et en os. En chair surtout».
Dans ses mémoires Le goût du bonheur, Roger Vadim se souvient : « Et Dieu créa la femme, est celui de mes films que je préfère, celui où j’ai été le plus libre de raconter ce qui me tenait à coeur. J’attribue son succès au personnage de Brigitte, physique d’abord, puis son rôle qui lui a permis de montrer ce qu’elle avait d’angoisse, de dynamisme, de confiance, totalement libre dans son comportement sexuel. Je n’ai jamais voulu peindre la jeune fille de 1956, mais ce personnage d’exception n’aurait pu exister à une autre époque ».

Et Dieu créa la femme sort à l’hiver 1956 dans les salles parisiennes. Le succès est loin d’être au rendez-vous. La critique juge Bardot sans indulgence, lui accorde au vitriol un physique de boniche et une façon de parler propre aux illettrés. Avant d’avoir le temps de faire scandale, la première œuvre de Vadim est déjà retirée de l’affiche. Ce sont les États-Unis qui s’enflamment pour la blonde incendiaire et lancent le coup d’envoi de la « Bardot mania ». Dès la sortie de ce « brûlot cinématographique », de violentes manifestations vertueuses et des menaces d'excommunication par les instances catholiques « créent le buzz », attise la curiosité du public qui se rue en masse dans les salles. Les dés de la gloire sont jetés. Double six !
Brigitte Bardot n'est plus une starlette, mais devient un mythe avec son premier rôle principal. Une idole pour beaucoup. Un objet de scandale iconoclaste pour d’autres qui n’hésitent pas à la surnommer « La créature de Satan ».
À l’Exposition universelle de Bruxelles en 1958, le Vatican tient salon en proposant aux visiteurs un pavillon composée de deux salles. La première est réservée aux miracles du Bien. La seconde, dédiée aux méfaits du Mal. Pour représenter la luxure de l’enfer, les autorités ecclésiastiques affichent la photographie de la star en transe dansant le mambo frénétique de Et Dieu créa la femme.
Le nom de Bardot est désormais associé à une réputation immorale qui émane un parfum de péché de chair, de décadence et de dépravation. Fragrance lourde à porter pour une toute jeune fille qui, sans le vouloir, fait un formidable pied de nez et donne un grand coup de pied dans la fourmilière bourgeoise franchouillarde très « collier de perles » des années 1950.

La négresse blonde

brigitte bardot


Avec ce talent de paraître nue même lorsqu’elle est habillée, avec cette beauté tellurique qui semble l’avoir posée sur terre pour évoluer en toute liberté parmi les plantes et les animaux, BB avance sans entrave et devance la révolution sexuelle Peace and Love des seventies avec cette démarche unique en tire bouchon qui cambre ses hanches, arrondit ses fesses et fait onduler sa crinière couleur blé. Féline, souple, exotique à couper le souffle, BB avec ses traits épais à l’équilibre pourtant si délicat, si parfait, est une véritable « négresse blonde » qui annonce, par son comportement indépendant, l’émergence de la femme occidentale de la seconde moitié du XXe siècle. Cette femme qui travaille, divorce, avorte. Qui s’émancipe, s’affranchit du joug masculin par son autonomie financière, mais aussi par la parole.

Comme sa mère Tooty et influencée par Vadim qui l’initie à l’argot, Brigitte a la langue bien pendue et ses réparties malicieuses, voire insolentes, font mouche en toutes circonstances. En 1965, lors de la promotion de Viva Maria de Louis Malle à Los Angeles, un reporter lui demande en pleine conférence de presse :
"- Qui êtes-vous Brigitte Bardot ?"
BB se lève, fait un tour sur elle-même, se rassoit et dit dans un anglais saupoudré d’un « french accent » hypertrophié :
"- Voilà, vous avez tout vu.
- Mais qui êtes-vous vraiment ? insiste le journaliste
- Venez vivre avec moi pendant huit jours, vous le saurez.
- Mais je suis marié.
- Dans ce cas, venez avec votre femme !"

Cette façon de faire le clown avec esprit, d’avoir le dernier mot enchante les interlocuteurs du monde entier qui transcendent l’enveloppe du sex-symbol et surnomment bientôt BB : « Le charme français ».

En 1956, ce charme est encore en herbe quand, auréolée du succès de Et Dieu créa la femme, la jeune star est présentée à la reine Elizabeth II d’Angleterre. Cette mondanité surannée fait pour une fois rêver car elle réunit les deux bombes sexuelles planétaires du deuxième versant du XXe siècle : BB et MM alias Brigitte Bardot et Marilyn Monroe !

Marilyn Bardot et Brigitte Monroe

La comparaison entre les deux actrices est inévitable tant de nombreux points communs les unissent. D’abord, leur plastique bouleversante, mais aussi leur diction tant récriée autrefois. Imitée et sublimée, aujourd’hui. Faisant fi des critiques qui ne cessent de les assassiner au fil de leur carrière, MM et BB prennent à la lettre la célèbre phrase de Jean Cocteau : « Ce que le public te reproche, cultive le, c’est toi. ». Toutes deux s’appliquent à singulariser leur voix, sculpter leurs propos en géminant les consonnes. Marilyn double, triple, quadruple les « p » et les « d » comme le prouve son fameux poo poo pidoo de I Wanna be loved by you dans Certains l’aiment chaud de Billy Wilder. Pour obtenir cet effet des plus érotiques, la langue s’attarde plus longtemps que nécessaire contre le palais avant de s’abaisser en caressant les dents. Brigitte, elle, prononce délibérément les « e » muets et accentue la diction en traînant chaque syllabe avec une précision extrême. Cette impression de lenteur appuyée lui apporte un air « tombé du lit tout ensommeillé » des plus ravissants pendant sa jeunesse. Il revêt une connotation toute différente à l’heure de la maturité : celle de la supériorité, du pouvoir. Comme si Bardot, la reine incontestée du cinéma français, donnait un ordre à chacune de ses paroles. Dans la chanson Je t’aime moi non plus écrite par Serge Gainsbourg en 1967, les strophes "Je t’aime/Je t’aime/Oh oui, je t’aime" sont scandés avec volonté dans l’assurance, la puissance et l’accomplissement d’une féminité comparable à celle des héroïnes de la mythologie.

Le second point commun des deux stars, c’est l’absence totale de disgrâce que leur corps et leurs gestes renvoient à l’image dans tous leurs films. Amusez-vous à visionner au ralenti la séquence de Bus stop de Joshua Logan où Marilyn s’évente avec la feuille d’un journal sur le rebord d’une fenêtre pour dissiper la chaleur de la nuit. Exécutez le même exercice avec Bardot arpentant sous le soleil les marches de la villa Malaparte à Capri dans Le mépris de Jean-Luc Godard.

brigitte bardot


Au-delà de la perfection de leur plastique, ce sont les pores de leur peau laiteuse qui absorbent et réfléchissent la lumière, le mouvement abandonné d’un bras chez Monroe, le déhanché alangui d’une démarche chez Bardot qui apportent au cinéma toute la noblesse de son ambition : imprimer sur la pellicule l’espace d’un instant et le transformer en un moment d’éternité. En admirant les deux miracles cinématographiques que sont MM et BB, la phrase du critique Jean Auriol « Le cinéma est l’art de faire faire de jolies choses aux jolies femmes » prend tout son sens et restitue l’identité la plus profonde du septième art : un écrin féminin à la triple écriture d’une sophistication extrême dans sa visualisation à la fois totalement incarnée et irrémédiablement virtuelle.

En plus de cette grâce absolue, les deux blondes sont de brillantes chanteuses de variété qui swinguent avec la même sensualité. Ces deux-là, avec le culot, l’à propos et la fantaisie qui les font briller dans les comédies, ont le tempo du jeu jazz dans la peau. Il m’a toujours semblé que leur répertoire de très grande qualité était interchangeable. Marilyn pourrait murmurer en anglais d’une voix acidulée sur un accord de guitare : « Sidonie a plus d’un amant… » tandis que Brigitte, dans un clin d’œil délicieux, lui répondrait en toute candeur : « Mon cœur est à papa… ».

God save les trois reines

En 1956, c’est une BB célibataire qui débarque à Londres puisque sa liaison avec Jean-Louis Trintignant sur le tournage de Et Dieu créa la femme provoque sa séparation avec Roger Vadim. La chroniqueuse Gelys Jones est présente à son arrivée : « Elle descendit du train-bateau à la gare de Victoria, portant une chemise et une cravate d’homme comme pour affirmer sa nouvelle indépendance. Même sans Vadim et son goût pour la publicité, elle semblait avoir tout orchestré. Elle avait perdu ses bagages et n’avait rien à se mettre, attirant immédiatement l’attention sur elle. Elle alla au Savoy et se fit discrète, disant qu’elle ne l’avait pas suffisamment été par le passé, et que maintenant qu’elle allait rencontrer la reine, c’était le moment de se tenir tranquille. ».

BB, avec son art de conteuse, évoque la cérémonie face à Gilles Jacob, alors journaliste au Matin : « Nous devions être présentées toutes deux à la reine. J’étais à moitié morte de peur. Un peu avant la présentation, j’essayais de rajuster mes cheveux de mes mains tremblantes. Nous nous trouvions dans un salon spécial, qui était réservé. Marilyn entra d’un trait, comme une coulée d’air frais. Elle était tout ébouriffée comme si elle venait de sortir de son lit. On nous avait dit qu’on ne pouvait endosser de robe trop collante, mais la sienne l’était, et comment ! Marilyn donnait l’impression de la liberté la plus absolue, de la désinvolture la plus totale. Quelqu’un a écrit après que ses yeux exprimaient l’angoisse pendant qu’elle se trouvait en face de la reine et qu’elle n’avait pas pu faire la révérence. Des blagues ! Marilyn était embêtée à cause de sa robe collante, mais elle fit la révérence. Et je vous assure qu’il n’y avait pas trace d’angoisse dans son regard. Plutôt une lueur arrogante. ».
Par un mystère aussi étrange que malheureux, aucun des photographes présents à l’évènement ne pense à immortaliser Marilyn Monroe et Brigitte Bardot dans un même cliché. Seul, l’un des miroirs des toilettes du Savoy se souvient des deux créatures qui se croisent et se repoudrent le nez en silence. Aucune des deux n'échange un mot. Au crépuscule de l’ascension, la petite BB est trop impressionnée devant l’immense MM aspirée déjà par les limbes du déclin…

brigitte bardot


Depuis son adolescence jusqu’au premier film de Vadim, à son corps défendant mais souvent montré, Brigitte Bardot invente les concepts de la femme-enfant et du people, hisse le métier de mannequinat au rang de top modèle, « jet-settise » Saint-Tropez le petit port de pêcheurs bien avant Eddy Barclay, attire en France les paparazzis chers à La dolce vita de Federico Fellini. Dorénavant, dangereux comme un essaim d’insectes armés de téléobjectifs, ils ne cesseront de traquer jour et nuit une BB si affolée qu’elle attente à ses jours et frôle la mort en 1960. Mais, à la fin des fiveties, critiquée par les censeurs et loin d’être encensée par la critique, Brigitte, piquée au vif, va s’employer à interpréter des rôles dramatiques pour prouver ses dons de comédienne. Le phénomène Bardot si écrasant y parviendra-t-il tant bien que mal ou tant mal que bien ?...

La peur des hommes

De l’ombre relative du mannequinat au plein feu de la starification, les cheveux de BB abandonnent le brun, virent au roux avant d’épouser le blond « paille ensoleillée ». Comme les pièces montées capillaires de Marie-Antoinette, les cheveux de Brigitte Bardot s’échafaudent au-dessus de sa tête, gonflent et grimpent haut, toujours plus haut au fur et à mesure de son ascension au royaume du cinéma. Lors du passage des fiftties aux sixties, les coquettes, avec des bonheurs différents, s’empressent d’adopter la fameuse « choucroute » composée de mèches emmêlées dans un négligé des plus extravagants. Quant au prénom de Brigitte, il fait des ravages sur les actes de naissance.

Face à la déferlante Bardot qui ne cesse d’envahir la une des tabloïds, l’actrice, étouffée par l’ampleur du phénomène, a bien du mal à exister. Depuis Et Dieu créa la femme, BB enchaîne les films, mais les metteurs en scène démunis devant l’impact de la bombe sexuelle font preuve d’une inspiration microscopique en la cantonnant dans des rôles légers de ravissante idiote ou de sauvageonne innocente. Écart infime pour une ex-danseuse !

Pourquoi une telle frilosité ?... Parce que pendant près d’une décennie, la Bardot mania embrase et consume tout sur son passage : les sujets des cinéastes en premier lieu, mais aussi les partenaires masculins. Dans l’univers machiste du cinéma, les monstres sacrés aiment enlacer les stars à condition que le glamour de celles-ci les accroche de plus belle sur leur piédestal.

Au fil des années 1960, Hollywood fait les yeux doux, offre des ponts d’or à BB. Les projets affluent, mais Franck Sinatra ou encore David Niven préfèrent se retirer de peur que l’aura vampirisante de l’idole ne les éclipse. Seul, en 1965, James Stewart accepte de frôler le mythe dans Dear Brigitte de Henry Koster. Mais attention ! Juste frôler Brigitte car Bardot apparaît en tout et pour tout dix minutes dans le film en jouant… son propre rôle ! Première fois dans l’histoire du septième art qu’une star s’auto interprète dans un caméo. Cette participation montre bien combien l’industrie des images rêve d’intégrer les initiales BB dans ses génériques, mais s’en méfie, voire s’en effraie tout autant. Tout le monde cinématographique ?... Non, en 1957, trois vieux de la vieille relèvent le défi de ne pas être écrasés par la notoriété de la belle et, cerise sur le gâteau, de lui offrir une vraie partition dramatique. Ce trio courageux n’est autre que Georges Simenon, Claude Autant-Lara et Jean Gabin prêts pour l’aventure du film En cas de malheur. Titre non prémonitoire puisque ce drame bourgeois s’avère l’un des plus beaux fleurons et des grands succès de la carrière de Brigitte Bardot.

Mais ne te promène donc pas toute nue

Dans un premier temps, Jean Gabin ne déroge pas à la règle et refuse de tourner avec « cette chose qui se promène toute nue ». L’acteur a ses raisons. Il revient de loin. Vieilli avant l’âge sur le front de la seconde guerre mondiale, il entame une longue traversée du désert avant d’être ressuscité sous les sunlights grâce à Touchez pas au Grisbi de Jean Becker et à French Cancan de Jean Renoir. Il décroche les rôles de ces deux films en sachant, à chaque fois, qu’il n’est que le second choix. Trois courtes années après son retour, l’acteur s’est refait une santé au box-office en incarnant à la perfection la maturité patriarcale. C’est pourquoi il n’a pas l’intention de laisser ternir cette aura de dignité par le tapage médiatique que provoque la pin-up. Malgré son flair et ses années de métier, Gabin a tout faux. C’est grâce à la réputation immorale de Bardot qu’il peut composer et ciseler, avec encore plus de respectabilité, le personnage d’André Gobillot, un avocat en proie au démon de midi. La différence d’âge laisse à l’acteur le champ libre pour la domination. Quant à Yvette Maudet, le rôle de la jeune cliente, il symbolise la dérive de la jeunesse d’après-guerre et apporte de la vulnérabilité à Brigitte. Cette promesse de profondeur qui lui fait tant défaut et qu’elle brigue pour gagner ses galons de comédienne.

Sur le tournage, Jean Gabin est ému par « la môme ». De son côté, BB est pétrifiée. Lors de leur première scène, il lui est impossible de jouer ses répliques. Elle ses souvient : « Sentant mon angoisse, ma timidité, il a fait exprès de se tromper à la prise suivante. Il a détendu l’atmosphère et j’ai enfin pu enfin dire mon dialogue sans me tromper. » Jean Gabin s’évertue à faire rire sa partenaire entre les prises. Aux commandes, Claude Autant-Lara est aussi touché par l’acharnement au travail de Brigitte qui va jusqu’à mimer les expressions de son personnage face à un miroir pour mieux les retranscrire devant la caméra.

Au final, la censure coupe la scène où Yvette Maudet s’assoit sur le coin du bureau de l’avocat. Face à elle, impassible, Maître André Gobillot l’observe, les poings serrés de désir dans les poches. BB remonte lentement sa jupe. Le tissu découvre une paire de fesses jeunes et parfaites. Face à En cas de malheur, la critique fait la fine bouche malgré François Truffaut, Jacques Doniol-Valcroze et Claude Mauriac qui, dans un même élan, prennent la défense de BB. Le public, lui, fonce et remplit les salles. Cette œuvre présentée avec faste au festival de Venise, déclenche dans le ciel un ballet d’avions à réaction qui tracent le double B désormais mondialement célèbre. Si Brigitte Bardot est devenue une institution nationale au même titre que la régie Renault, il lui faut encore enfoncer le clou pour accéder au panthéon des actrices dites « sérieuses » comme, par exemple, Jeanne Moreau.

Suite à une poignée de films oubliables, la reine Bardot peut enfin saisir cette opportunité avec Henri-Georges le Terrible. Tous deux se réunissent en 1960 pour exprimer artistiquement leur version de La vérité. Brigitte plus Clouzot égale une alliance bénie par Roger Vadim. Grand prince, il confie à L’Express : « Brigitte s’est élevée au niveau d’une grande tragédienne - on l’a dit, on le dira, personnellement je n’ai jamais douté de ses possibilités - mais au-delà encore il y avait cette grâce. Cette grâce de savoir aimer. ».

benoît


 
 
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