Jurassic World : une saga qui a perdu d’ADN de la franchise

Jurassic World : une saga qui a perdu d’ADN de la franchise

En deux trilogies, on aura pu comprendre les risques de ressusciter des dinosaures, fussent-ils sur une île à l’écart de la civilisation. Et le résultat est toujours le même. Les troisièmes opus de Jurassic Park comme de Jurassic World laissent un goût amer de gâchis complet.

Certes. Rien ne vaudra jamais l’émerveillement du premier film réalisé en 1993 (grâce aux effets d’ILM). Jurassic Park changea radicalement notre vision du cinéma en rendant réaliste ce qui était improbable. Cependant, la saga n’avait pas de quoi rougir quant à ses qualités : de bons divertissements, épiques, ressassant épisode après épisode les dangers de la manipulation génétique et la cupidité stupide des milliardaires.

Jurassic Park (1993)

Jurassic World : le monde d’après clôt ce double cycle en faisant revenir les trois personnages principaux du premier film (Laura Dern, Sam Neill, Jeff Goldblum), qui croisent ainsi la route du duo Chris PrattBryce Dallas Howard, héros des reboots des années 2010. En trente ans, le numérique s’est imposé comme un acteur incontournable des blockbusters et les scénarios hollywoodiens se sont appauvris, se calquant les uns les autres.

Jurassic World : le monde d’après se veut une quintessence de la franchise. Pourtant, il souffre de multiples maux : trop de personnages (on réinvite tout le monde pour un dernier tour de piste), des intrigues humaines simplistes, une mise en scène brouillonne dans l’action, un rythme trop inégal entre les séquences, et surtout, grosse faille du système, un manque patent de réinvention.

Jurassic Park : Le monde perdu (1997)

Mais si ce Jurassic 6 déçoit énormément (sans faire l’affront de le comparer avec Jurassic 1), c’est bien parce que les dinosaures ne sont plus au centre du jeu. Ils sont un déclencheur du récit, mais jamais la menace réelle. Les protagonistes se battent entre eux pour les conquérir plutôt que de vouloir survivre ou les fuir. Jurassic World : le monde d’après a oublié son ADN : le dinosaure est le danger. Ici, il est devenu accessoire, est un guest parmi d’autres. Une présence bâclée au profit d’histoires humaines sans intérêt.

Même le catastrophique Jurassic Park 3 (le plus mauvais scénario de la série, en plus de personnages très fades) se dotait de séquences spectaculaires et intenses avec des dinosaures cruels et violents. Dans le sixième film, ils sont méfiants, survivalistes, ou relativement apprivoisés. Les espèces deviennent protégées. L’humain est l’ennemi. Si bien que cela dénature complètement la série, qui s’achève comme un sous James Bond, sans originalité (et sans frayeurs). À croire qu’il y a une malédiction du troisième opus.

Jurassic Park III (2001)

Bien sûr, dans cet ultime opus jurassique, ça fait plaisir de revoir Laura Dern, Sam Neill et Jeff Goldblum réunis ensemble près de trente années plus tard. Mais leurs dialogues insipides, le manque de suspense, les rebondissements mal enchaînés, l’absence de peur font du blockbuster un Disney familial à l’ancienne. C’est la dérive logique de ce qu’on a pu voir avec Jurassic World et Jurassic World : Fallen Kingdom, qui au moins avaient fait quelques efforts dans leur enjeu et leur réalisation. On ne s’adresse plus vraiment aux adultes, mais aux ados et aux enfants. Il n’y a plus de subversivité. Ni même de perversité. On est passé à la familiarité.

Ce déclin d’une série adorée ne peut que nous confronter au constat actuel : les studios ne savent plus produire des blockbusters surprenants et intéressants. Les schémas familiaux sont convenus (et toujours dominés par des blancs hétéros). On donne un peu plus de place aux rôles féminins (désormais des femmes puissantes et pas fantoches). Il y a toujours un enfant à sauver, puisqu’il sert d’appât pour les dinos ou les méchants. Dans ce dernier opus, la gamine ne va pas être déçue : elle est bonne pour une vie sur le divan d’un psy.

Jurassic World (2015)

Hormis cela, on est en terrain balisé, comme on se promène dans une jungle aménagée pour des touristes.

Si bien qu’on se doit de revenir sur Jurassic Park et sa suite Le monde perdu (1997), tous deux réalisés par Steven Spielberg. Ils ont posé les fondamentaux de cette franchise (qui a rapporté plus de 5 milliards de dollars de recettes dans le monde). Adapté du roman de Michael Crichton, Jurassic Park s’est imposé comme une révolution cinématographique dès l’apparition des dinosaures. S’est ajouté le savoir-faire du réalisateur, qui savait faire monter la tension, rendre les personnages attachants, et nous emmener dans un grand huit d’émotions sans perdre de vue son amour pour la série B et sa passion pour les sciences et techniques. Chaque plan est étudié. Quelques uns sont encore parmi les plus connus du cinéma américain contemporain.

Lorsqu’il accepte de réaliser la suite, Jurassic Park : Le monde perdu, quatre ans plus tard, il est confronté à un changement de casting et a l’envie de ne pas trop se répéter. Comme pour Indiana Jones, il décide d’assombrir le propos, de plonger le parc dans le noir. Plus « dark », donc, mais aussi plus violent. Le salaud est un vrai méchant. Le dino devient tantôt complice, tantôt menace. Et il nous offre surtout une très longue séquence anthologique (en matière de mise en scène) quand il place l’enfant sur une tour de guet à hauteur de crocs de T-Rex et le duo Julianne Moore/Jeff Goldblum dans un mobile-home basculant dans le vide au dessus d’un océan enragé.

Jurassic World: Fallen Kingdom (2018)

Jamais, dans les films suivants, nous n’avons retrouvé la magie du premier et l’intensité du deuxième Jurassic. Les récits et enjeux sont devenus répétitifs, les personnages de plus en plus stéréotypés, les actions banalisées par un manque d’imagination, et même l’esthétique n’a pas su êre renouvelée.

Il était peut-être temps, en effet, que cette franchise s’arrête. Même si, on n’en doute pas vu la rentabilité de l’affaire, Universal la relancera d’une manière ou d’une autre. On peut alors conseiller aux décideurs de se pencher sur l’histoire de l’industrie du cinéma. Quitte à se taper une nouvelle trilogie, rendez-nous les dinosaures plus sauvages et donnez-nous des héros plus complexes. Proposez-nous des scènes mémorables, pas de simples plagiats d’actions déjà vues ici ou ailleurs..

De Tarzan à King Kong ou Godzilla, de Star Wars à Indiana Jones, de La Planète des singes à Alien, sans oublier James Bond ou Mission : Impossible évidemment, il est plus facile d’abaisser le niveau que de le réhausser. À moins d’avoir un vrai réalisateur, un bon scénario, où le drame l’emporte sur les bonnes intentions moralistes, et d’imaginer l’infini et au-delà en terme d’aventures. Toutes les séries qui ont réussi à traversé le temps ou à se relancer se sont réinventées grâce à une vision d’ensemble et une réelle ambition spectaculaire, sans effacer leurs gènes ni renier notre plaisir.

Jurassic World : Le monde d’après (2022)