Présenté durant l’édition 2024 de la Quinzaine des Cinéastes, Eat the Night est le thriller queer et technophile dont la Croisette avait terriblement besoin !
« Un jour ça va se retourner contre toi »
Pablo et sa petite sœur Apolline ont grandi ensemble en jouant à Darknoon, jeu vidéo en ligne d’heroic fantasy. Mais alors que les serveurs de Darknoon seront bientôt mis hors service – rendant le jeu inaccessible à jamais -, Pablo entame une relation tumultueuse avec Night, en plus d’en faire son partenaire de vente d’ecstasy. Débute alors une violente descente aux enfers !
Dans Tant qu’il nous reste des fusils à pompe (2014), le couple que forment Caroline Poggi et Jonathan Vinel nous proposait déjà un testament de leur cinéma : brut, étrange et ancré dans le réel. Ce que Eat the Night ne fait que confirmer tant la dimension gaming de leur second long-métrage commun vient accentuer la dureté du quotidien de nos protagonistes, convaincus qu’un ailleurs (meilleur) les attend quelque part (dans Darknoon pour Apolline, loin de là où ils sont selon Night).
Et c’est certainement ce qui permet à Eat the Night de jouer sur les tous les tableaux. Avec facilité, Caroline Poggi et Jonathan Vinel nous emmènent dans les péripéties de frangins qui n’ont pas eu la vie facile et qui rêvent avant tout d’être heureux avec le minimum que cela implique (paix et richesse pour se payer cette paix). Malheureusement, et comme c’est souvent le cas lorsque l’un de nos héros décide de se lancer dans le trafic de drogue, la route vers le bonheur peut s’avérer particulièrement riche en imprévus.
Le spectateur découvre en effet et dans l’ordre le quotidien de Pablo et Apolline, se passionne pour cette idylle entre Pablo et Moon, s’inquiète en comprenant qu’ils fraient avec de très gros poissons, avant d’espérer qu’ils arriveront tous ensemble jusqu’à la ligne d’arrivée (le générique de fin). Voilà pourquoi sur le plan de la narration Eat the Night ne révolutionne pas le genre. Ce qui tombe bien car c’est ailleurs que le film captive et réjouit.
« Je préférais quand t’étais pas là »
Avec son trio d’acteurs parfaitement choisi, Caroline Poggi et Jonathan Vinel ont le champ libre pour exprimer à la caméra toute la beauté du sentiment amoureux et de ce qui en découle (confiance, loyauté, respect). Voilà pourquoi dès les premières minutes, on croit en la filiation entre Théo Cholbi (Pablo) et Lila Gueneau (Apolline). Chacun avec sa gouaille, ils nous offrent de très beaux personnages principaux, à la fois accessibles et complexes. A tel point qu’Erwan Kepoa Falé (Night) devient alors une cerise sur le gâteau tant l’acteur vu dans Passages et Le Lycéen propose un jeu extrêmement subtil.
Mais pour rendre ce trio aussi tangible que sexy (les scènes de sexe entre Pablo et Night et le cosplay d’Apolline sont à ne pas manquer), les deux réalisateurs font le pari de l’hyperviolence. Ce qui n’est pas pour nous déplaire tant le visage de Théo Cholbi semble fait pour cet usage. Cela pourrait en bouleverser certains tandis que les autres y trouveront la juste réponse à l’ultraviolence présentée dans les séquences de gaming. Ces dernières sont d’ailleurs à couper le souffle et méritent à elles seules que l’on se déplace en salle pour découvrir Eat the Night. Et il en va de même pour la tension dramatique qui hante les 107 minutes de ce thriller dont on ne ressort pas indemne.
Avec la fin du jeu Darknoon comme échéancier et ces rêves croisés, Eat the Night pourrait bien finir sa course comme le film culte d’une génération désabusée, convaincue que le virtuel est la seule extension possible au réel et non un univers qui n’existe qu’en opposition à lui. Une génération pour qui les études ne sont plus synonyme de réussite sociale, pour qui les parents absents sont monnaie courante, pour qui « faire de l’argent » est un but en soi et surtout, pour qui le bonheur est ailleurs. Le jeu vidéo devient alors la matérialisation d’un refuge, d’une seconde maison, virtuelle cette fois et fait s’élever Eat the Night jusqu’à son sommet.
Car si ce film est ce que des cinéastes gamers peuvent faire de mieux, c’est aussi la preuve que le cinéma queer peut parler à tous, à des degrés divers. De quoi nous rendre impatients de voir ce que Caroline Poggi et Jonathan Vinel proposeront par la suite.
Eat the Night de Caroline Poggi et Jonathan Vinel
Présenté à la Quinzaine des Cinéaste 2024
Avec Théo Cholbi, Lila Gueneau et Erwan Kepoa Falé
Duré : 1h47
Sortie prévue le 17 juillet 2024