Cannes 2025 | Avec L’Aventura, en ouverture de l’ACID, Sophie Letourneur documente avec humour les hauts et les bas des vacances en famille

Cannes 2025 | Avec L’Aventura, en ouverture de l’ACID, Sophie Letourneur documente avec humour les hauts et les bas des vacances en famille

Le précédent s’appelait Voyages en Italie : référence décomplexée à Rossellini ; celui-ci évoque Antonioni (ou Stone et Charden, c’est selon). Changement de maître italien, et de décor (la Sardaigne, après la Sicile), mais pas de style, ni d’ambiance. Sophie Letourneur retrouve « Sophie et Jean-Phi », le couple qu’elle forme à l’écran avec Philippe Katerine, pour de nouvelles vacances transalpines.

Cette fois, pas d’atermoiements sur la destination : dès la première scène, ils sont déjà sur place. Autre nouveauté, le couple ne part plus en amoureux, pour se retrouver, mais en famille, avec leur fils de trois ans, et la fille aînée de Sophie. Des vacances placés donc sous de tout autres auspices – et dont, comme tous les parents du monde, ils ont vite conscience que pour eux, elles n’en seront pas vraiment. Il faudra supporter la logorrhée en continu de l’un, les sautes d’humeur de l’autre… en plus des travers habituels du / de la conjointe. Le farniente, les moments de détente, sans parler des pauses coquines (cette arlésienne des magazines féminins) : on oublie tout de suite. 

Ici, c’est plutôt l’organique qui est à l’œuvre, à commencer par les mouvements intestinaux de toute la famille, avec le gag récurrent du jeune fils qui est en plein apprentissage de la propreté (avant la première rentrée scolaire, tous les parents en sont passés par là).  Quitte à en faire des tonnes, et exaspérer les spectateurs les plus revêches, Sophie Letourneur s’amuse de ces outrances, et des mines dégoûtées qu’elles ne manqueront pas de susciter. Quoi, parler d’excréments et de constipation sur grand écran, lieu absolu du glamour, ou a minima de l’action et du récit ?

La poésie du banal

De récit par ailleurs, il faut bien avouer qu’il n’y en a pas vraiment… Plutôt une succession de moments. Plus que jamais, la réalisatrice assume un cinéma poil à gratter qui oscille pas mal, il est vrai, entre les séquences absolument hilarantes (dans lesquelles il est parfois facile de se reconnaître) et celles qui s’enferment un peu dans leur trivialité revendiquée. À contre-pied de l’imagerie créée par les réseaux sociaux, dans lesquels la vie de famille est forcément beautiful et idyllique, L’aventura montre des parents dépassés et des enfants pénibles, des situations embarrassantes ou sans intérêt… Des êtres vivants qui crient, râlent, pleurent et se chamaillent. Une banalité du quotidien qui, sous le regard attentif de la réalisatrice, deviendrait presque poétique, et incontestablement touchante.

Pour accentuer cette sensation quasi ethnologique, la réalisatrice réutilise, en le poussant à son paroxysme, un dispositif qu’elle avait déjà testé dans Le marin masqué ou Voyages en Italie, à savoir celui du récit a posteriori. Les 4 personnages passent en effet leur temps à se remémorer et se raconter les faits – marquants ou non – de leur séjour, des lieux visités aux activités pratiquées en passant par les menus et les trajets. Dans un jeu de récit gigogne assez malin, elle fait ainsi de chaque séquence de récit a posteriori l’objet d’un prochain récit a posteriori, avec ce que cela implique d’oublis sélectifs et de « révisions » plus ou moins involontaires, et donc de décalage humoristique. Mais aussi de matière à réflexion sur les effets de la mémoire et ceux de la parole.

Lorsque l’on sait comment travaille Sophie Letourneur en amont (enregistrant des conversations spontanées qui sont ensuite précisément rejouées pour le film), la dimension documentaire de sa démarche saute immanquablement aux yeux. Documenter non pas de hauts faits ou des événements historiques captivants, mais tous les à-côté de ce à quoi le cinéma s’attache habituellement. Tout ce qui constitue réellement le coeur de l’existence. Ainsi, ce qui lui importe réside probablement moins dans ce qui est raconté à l’écran (pour paraphraser le film lui-même : il ne se passe rien, il se passe tout) que ce que cela capte des interactions humaines, des dynamiques de groupe, et par extension, de la simple action de vivre sa vie au milieu des autres. 

Fiche technique
L'aventura de Sophie Letourneur (2025)
Avec Sophie Letourneur, Philippe Katerine, Bérénice Vernet, Esteban Melero...
Distribution : Arizona distribution
Sortie française : 2 juillet 2025