Cannes 2025 | Partir un jour : Amélie Bonnin rallonge la sauce

Cannes 2025 | Partir un jour : Amélie Bonnin rallonge la sauce

Est-il pertinent, lorsque l’on a réalisé un court métrage qui a eu un peu de succès, de l’adapter au format long ? Partir un jour relance le débat avec une exemplarité presque scolaire, en mode thèse-anti-thèse : oui, il est satisfaisant de pouvoir approfondir certaines thématiques et explorer plus longuement des situations qui nous tiennent à cœur, sans parler de renouer avec des personnages que l’on a aimés. Mais le risque est également grand de se répéter, et d’obtenir à la fin un film bancal qui réussit les mêmes choses que le court (en reprenant littéralement les mêmes répliques ou les mêmes situations), et se plante sur presque tout ce qu’il y a de nouveau (censé « dynamiser » une intrigue qui n’en avait peut-être pas besoin).

Ici, par exemple, Amélie Bonnin a choisi d’inverser ses personnages : c’est Cécile, incarnée par Juliette Armanet, qui revient au pays, toute auréolée de sa victoire dans l’émission de cuisine Top Chef. (Rappelons que dans le court métrage, le personnage principal était un écrivain – là aussi il y a eu glissement). Or, là où la jeune femme qu’elle incarnait dans le court était forte et menait clairement la danse, elle est devenue un être paumé, encombré par une grossesse non désirée, un petit ami cringe, et en pleine crise de doute. On a vu des enjeux narratifs moins convenus, surtout pour un personnage féminin. Et c’est donc Raphaël, incarné par Bastien Bouillon, qui a le beau rôle de l’ancien meilleur ami caustique et qui joue en terrain conquis.

Des chansons populaires pour exprimer les sentiments intérieurs

De la même manière, là où le court se concentrait presqu’exclusivement sur la nostalgie éprouvée par ses personnages, d’une manière très ténue qui faisait tout son charme, il a fallu dans le long créer de la tension et du conflit. Les conjoints des deux personnages, qui restaient hors champ, viennent donc avec leur gros sabots ajouter des notions de jalousie dont on n’avait pas vraiment besoin. Sofiane, par exemple, se conduit de manière si détestable qu’on ne comprend pas vraiment pourquoi Cécile finit par s’excuser auprès de lui. Quant à Nathalie, la femme de Raphaël, elle ne semble être là que pour chanter Je suis de celles de Bénabar.

Les chansons, parlons-en. Si elles viennent assez classiquement exprimer les sentiments intérieurs des personnages, certaines semblent franchement plaquées (Sensualité d’Axelle Red, par exemple) quand d’autres, il faut le reconnaître, réveillent joyeusement le récit. C’est le cas du magnifique duo entre Juliette Armanet et Dominique Blanc sur Paroles, Paroles de Dalida et Delon, réécrit pour l’occasion. Toute la complicité entre la mère et la fille passe à travers ce chant à deux voix, dans lequel elles se moquent de l’entêtement du père à poursuivre son activité de cuistot de restaurant routier.

Capter la nostalgie d’un passé révolu

Autre séquence particulièrement inspirée, celle de la patinoire (dans le court, cela se passait dans une piscine, et c’était aussi le plus beau moment du film). Bastien Bouillon et Juliette Armanet interprètent une version survitaminée et presque bouleversante de Femme like you de K. Maro. C’est l’un des rares moments où transperce le vrai sujet du récit, cette nostalgie folle face à une époque révolue à jamais, et la prise de conscience que les possibles se sont amenuisés et que, d’une certaine manière, les deux protagonistes ont laissé filer leur chance.

Ce regard sur le temps qui a passé est ce que réussit le mieux dans cette version longue de Partir un jour. Au-delà des atermoiements des uns et des autres (le père qui ne veut pas prendre sa retraite, la jeune chef sous pression, le compagnon jaloux), c’est en effet ce sentiment mince que capte le plus habilement la réalisatrice, entre illusion que rien n’a changé depuis l’époque du lycée, et conscience aigüe du fait qu’il n’est pourtant pas possible de reprendre le cours des choses. Ce n’est pas beaucoup, et ce n’est pas assez. Mais au moins, c’est une émotion universelle, facilement compréhensible par un public international. Ce qui n’est pas vraiment le cas des chansons qui jalonnent le récit, trop franco-françaises pour avoir l’écho recherché en dehors de nos frontières, et risquant donc de laisser une partie des spectateurs sur le bord de la route.

Fiche technique
Partir un jour
Cannes 2025. Hors-compétition. Film d'ouverture.
Réalisation : Amélie Bonnin (2025)
Scénario : Amélie Bonnin, Dimitri Lucas
Avec Juliette Armanet, Bastien Bouillon, François Rollin, Tewfik Jallab, Dominique Blanc...
1h34
Ensalles le 14 mai 2025
Distribution : Pathé Films