Cannes 2025 | Kokuho de Lee Sang-il ou le kabuki pour les nuls

Cannes 2025 | Kokuho de Lee Sang-il ou le kabuki pour les nuls

Kokuho est sans l’ombre d’un doute la fresque familiale qui vous fera aimer toutes les histoires, les erreurs et les doutes de vos aînés, surtout s’il s’agit d’acteurs légendaires. Assurément, l’un des grands films de cette Quinzaine des Cinéastes !

L’histoire d’une… de deux vies !

À la mort de son père, chef d’un gang de yakuzas, Kikuo est pris sous l’aile du célèbre acteur de Kabuki, Hanjiro Hanai. Il devient son disciple aux côtés de Shunsuke, le fils unique de Hanjiro. Les deux jeunes hommes décident de consacrer leur vie à l’art du Kabuki. À travers cinquante années d’histoire, ils connaissent la gloire et la chute, les scandales et les triomphes, l’amitié et la trahison.

Pour son nouveau long-métrage, Lee Sang-il signe un véritable chef-d’œuvre. Oui, le mot est lancé tant sa fresque est réussie de bout en bout, captivante jusque dans les moments les plus insignifiants de la vie de ses personnages particulièrement complexes. Déjà auteur du remake japonais du film Impitoyable de Clint Eastwood (présenté à la Mostra de Venise), le cinéaste a un talent certain pour conter les histoires du sur un temps long.

De 1964 à 2014, il nous fait ainsi vivre de manière la plus réaliste possible les rebondissements que Kikuo et Shunsuke connaissent. Il faut dire qu’en cinquante ans, les deux garçons – qui deviennent des hommes puis des petits vieux – vont particulièrement changer. De la témérité de leur jeunesse à l’égoïsme de la célébrité en passant par les doutes liés à la paternité, la honte née après un scandale, le déni des sentiments de l’autre ou encore les regrets propres aux non-dits, Lee Sang-il s’offre une analyse profonde et complexe de la psyché masculine.

Une fresque grandiose

Grâce à des mentors particulièrement castés (notamment Ken Watanabe), Kokuho réussit à sauter du film initiatique sur le kabuki au véritable récit d’apprentissage sans jamais nous perdre. Avec ses pièces expliquées en préambule (et en une phrase !), ses sauts dans le temps très judicieux et ses personnages qui évoluent, reculent, se quittent et se retrouvent, on ne peut qu’en ressortir avec le sentiment de quitter de vieux amis dont on connaît toute la vie. Le scénario de Satoko Okudera nous apporte d’ailleurs une grande satisfaction en refermant chaque intrigue entamée : la séparation du duo Han-To, la fille de Kikuo avec la geisha, le départ de Shunsuke de la « troupe », etc.

Classique dans sa forme (le film fait des sauts dans le temps qui nous permettent de retrouver les personnages presque là où on les a laissés à chaque fois), Kokuho est un must-see pour la théâtralité pleinement assumée et nécessaire à ces fameuses scènes de kabuki. Car tandis que certains apprentis passent une vie à être au niveau de leurs aînés, les deux comédiens principaux ont eu seulement un an et demi pour manier cet art créé au 17e siècle.

Plateaux immenses, productions spectaculaires, costumes somptueux, pièces jouées et rejouées, rien n’empêche Lee Sang-il de faire du grand cinéma grâce aux codes du théâtre japonais. On en vient d’ailleurs à penser que si tous les spectacles pouvaient être aussi bien filmés, nombreux sont ceux qui se découvriraient une passion pour le théâtre.

Porté par un duo d’acteurs extrêmement justes et consistants pour incarner Kikuo (Ryo Yoshizawa) et Shunsuke (Ryusei Yokohama), Kokuho montre sans détour aucun toute la difficulté que cela représente d’être un homme honorable dans un milieu artistique gangréné par des impératifs financiers. Le montage de Tsuyoshi Imai y est d’ailleurs pour beaucoup, tantôt effréné, tantôt empli d’une poésie douce-amère.

Certains argueront qu’il est toujours possible de raccourci un film de 174 minutes. Ce à quoi nous répondrons qu’il faut parfois prendre son temps, même si cela signifie 174 minutes pour faire le bilan de sa vie.

Kokuho (Le Maître du kabuki)
Cannes 2025. Quinzaine des Cinéastes.
2h54
En salles : 5 novembre 2025
Réalisation : Lee Sang-il
Scénario : Satoko Okudera
Photographie : Sofian El Fani
Montage : Tsuyoshi Imai
Décors : Yohei Taneda
Adapté de KOKUHO de Shuichi Yoshida
Son : Mitsugu Shiratori
Musique : Marihiko Hara
Avec Ryo Yoshizawa (Kikuo), Ryusei Yokohama (Shunsuke), Mitsuki Takahata (Harue), Shinobu Terajima (Sachiko), Soya Kurokawa (le jeune Kikuo), Keitatsu Koshiyama (le jeune Shunsuke), Min Tanaka (Mangiku), Ken Watanabe (Hanjiro)