Cannes 2025 | Avec Die my love, Lynne Ramsay explore les méandres d’une psyché blessée

Cannes 2025 | Avec Die my love, Lynne Ramsay explore les méandres d’une psyché blessée

Imparfait et malaisant, Die my love est un film puissant qui assume pleinement sa subjectivité. Si c’est ce qui le nourrit, c’est aussi probablement ce qui l’empêche de se livrer totalement. Quoi qu’on fasse, quelque chose résiste dans ce portrait impressionniste d’une jeune femme sombrant dans une dépression sévère après la naissance de son premier enfant. 

Cela ne tient pas à la cinématographie de Lynne Ramsay, qui fait ce qu’elle sait le mieux faire : fragmenter son récit, s’attacher aux sensations plus qu’aux faits, nous emporter dans son univers intime et visuel qui n’est jamais fade, jamais mièvre, mais au contraire débordant d’émotions, de sécrétions, de corporalité.

Grace, son personnage, aime se promener nue, se traîne à même le sol, lèche les vitres, dessine sur les murs avec son sang… C’est une jeune femme en souffrance qui nous demeure désespérément opaque, inaccessible. Nous n’aurons ni voix-off pour nous guider auprès d’elle, ni psychologisation prête à l’emploi pour la comprendre. Nous voilà définitivement seuls, confrontés à un comportement qu’il nous est impossible de décoder. Autour d’elle, et c’est fascinant, tout le monde prétend comprendre son état, mais personne n’est capable de l’aider. Là voilà emmurée en elle-même, évoluant dans un monde parallèle où tous les standards sont chamboulés, où les repères diffèrent, et où les perceptions sont d’une violence extrême.

Une mère à la dérive

Lynne Ramsay essaye de nous faire entrer dans la tête de son héroïne pour nous faire ressentir de l’intérieur la condition qui est la sienne, nous permettant d’éprouver pour elle une empathie réelle. Elle capte ainsi, de manière ténue et difficile à exprimer avec des mots, quelque chose de très juste, mais aussi de violent et mal aimable, sur les troubles de la santé mentale, l’un des derniers grands tabous de nos sociétés. Elle le fait avec un excès qui nous éloigne parfois de son propos : montage clippé, allers et retours dans la temporalité, voies parallèles qui ne sont pas identifiées comme telles, bribes entremêlées, situations gênantes étirées…

Il faut parler de Jennifer Lawrence qui incarne avec une brutalité solaire cette mère à la dérive, hantée par son propre esprit, jouet de mouvements autodestructeurs qui la dépassent. L’actrice donne corps à l’irrépressible douleur qui torture Grace, tout en laissant paraître en pointillés d’autres facettes plus apaisées de sa personnalité. Si le manichéisme est à l’oeuvre, c’est pour mieux coller aux symptômes du mal qui l’étreint, ces montagnes russes émotionnelles imprévisibles et incontrôlables

Inconfort et incompréhension

Le risque est évidemment grand que le spectateur rejette en bloc le personnage et le film. Ce serait pourtant une forme de paresse de penser que tout ce qui le dérange et l’insupporte est une maladresse de la part de Lynne Ramsay – quand au contraire tout est ardemment pensé pour le mettre dans cet état d’inconfort et d’incompréhension déroutante. Le débordement et l’outrance sont même des motifs volontaires de son écriture, qui expriment à la fois les sentiments intérieurs de la jeune femme – débordée par elle-même – et la détresse impuissante de son entourage.

Même s’il a tendance à nous laisser au bord de la route, et parfois à nous perdre totalement, on aurait donc tort de rejeter le film en bloc. Par ce qu’il propose et par ce qu’il accomplit, c’est une tentative passionnante de rendre perceptibles des sensations intimes complexes non par la parole, mais de manière purement sensorielle. Sans doute cela ne fonctionne-t-il pas à tous les plans, mais on préférera toujours un film ambitieux qui expérimente, quitte à échouer, à ceux qui se contentent de répéter en boucle les mêmes recettes.

Fiche technique
Die my love de Lynne Ramsay (2025)
Avec Jennifer Lawrence, Robert Pattinson, Lakeith Stanfield, Sissy Spacek,
Nick Nolte... 1h58