Depuis ses 16 ans, entre Paris et Rome, Chloé a filmé ses amours. Coup de cœur adolescent, relation à distance, passion charnelle… alors qu’elle vivait une histoire, elle en fabriquait déjà le souvenir. Mais de quoi se souviennent ces ex ? Quelle est leur version des faits ? Douze d’entre eux se livrent pour reconstituer un parcours sentimental aussi singulier qu’universel.
On dit que Paris est la ville de l’amour. Fragments d’un parcours amoureux en est la preuve alors qu’il relate la naissance et la fin des amours de Chloé Barreau au cœur de la capitale. On est ensuite emporté à Londres et jusqu’à Rome où les monuments antiques parlent de cet état du cœur comme d’un sentiment intemporel. Avec l’image de Notre-Dame en flamme, le documentaire nous fait voir l’amour en tant que monument tout aussi fragile que magnifique, que nous visitons au moyen d’interviews et de films pris sur le vif. Archiviste de sa propre vie, dès son premier copain, Chloé Barreau film, photographie, enregistre consciencieusement son histoire. Frôlant le voyeurisme, le documentaire dessine le portrait d’une amoureuse, de l’intimité du couple, et touche par la diversité des histoires à une universalité du sentiment amoureux.

Caméra subjective
Assez déroutante, la mise en scène du documentaire est avant tout une mise en scène de soi. Chloé Barreau produit, par la réactivation de la mémoire amoureuse, un récit de sa propre vie. Pour autant, la cinéaste est quasiment absente à l’écran. D’autant plus que ce n’est pas elle qui mène les interviews. La somme des discours dessine progressivement le portrait choral, aux contours encore flous, d’« elle », de Chloé. Que ce soit dans ces discours ou dans la forme même, le film travaille le décalage.
Le décalage d’un récit autocentré raconté par l’autre, le décalage des temporalités ou encore le décalage entre romantisme des archives et amertume de certains personnages. Finalement, au-delà de la mythologie personnelle qui prend forme à l’écran, on a accès à un trésor d’authenticité au travers des archives, et par là, à un discours sur l’amour plus général. Même si les musiques un peu mélodramatiques tendent à orienter notre perception, les interviews nous apparaissent d’une grande sincérité et on se plonge sans peine à chaque fois dans une nouvelle histoire.
« Quand elle rentre dans ta vie, c’est comme un attentat »
Le film connaît un gros buzz, et surtout auprès du jeune public, depuis sa diffusion à la Mostra de Venise. Ce succès se comprend, alors qu’à côté du thème de l’amour, se dessine en filigrane un éloge de la liberté. Les douze interviews abordent des thèmes différents et notamment l’homosexualité qui permet de dépeindre le contexte des années 1990 et de mesurer les progrès acquis depuis, vers une plus grande liberté sexuelle.

Par ailleurs, la pluralité des formes que peut prendre l’amour élargi sa dimension purement romantique et permet de former un puzzle à l’image d’une société qui se constitue dans l’union des individualités. Sans fausse pudeur et toujours avec une grande bienveillance, Chloé Barreau nous offre une ode féministe qui sublime son parcours et ses personnages, non pas en tant qu’objets mais bien en tant que sujets à part entière.
Tel un récit d’apprentissage, le regard rétrospectif et pluriel sur ses relations amoureuses permet à Chloé Barreau d’explorer les questions de l’identité, de la liberté et plus largement encore de l’existence. Fragments d’un parcours amoureux semble trouver un sens à ces questions dans la beauté et la pureté des rencontres qui inscrivent en chacun des personnages une mémoire de l’autre, une trace inaltérable, la preuve même de son existence.
Alice Dollon
Fragments d'un parcours amoureux
Venise 2024
1h35
En salles : 4 juin 2025
Réalisation : Chloé Barreau
Scénario : Chloé Barreau, Marco Pérez, Gilia Sbernini
Musique : Andrea Moscianese
Image : Andres Arce Maldonado
Distribution : Destiny Films
Avec Rebecca Zlotowski, Anna Mouglalis, Anne Berest, Jeanne Rosa