Matthias est à louer : ami cultivé, fils idéal, père ou encore réceptacle émotionnel ; il saura s’adapter pour répondre à tous vos besoins relationnels, mais à quel point pourra-t-il jouer les faux semblants ?
Pour son premier long-métrage, Bernhard Wenger dépeint dans une comédie noire, servie par des décors impeccables et l’apparence irréprochable de son protagoniste, un monde parfait, aseptisé, design, dans lequel tout se consomme, se remplace : d’un animal de compagnie à un ami. Cette sphère moderne, qui se veut rassurante et idéale, se verra fissurée grâce aux différents arcs narratifs empruntés par le personnage principal, Matthias, nous provoquant avec dérision sur nos rapports sociaux ainsi que notre vision consumériste.
Où sont nos limites ?
Matthias, homme idéal de service, n’a pourtant pas de succès dans ses relations amoureuses. Sourire aux bons moments, pleurer lorsqu’il le faut : son manuel sur les réactions émotionnelles ne lui sera d’aucun service avec ses proches. Il finira même par perdre sa compagne qui ne croit plus en ses actes, ni en ses sentiments, et chaque tentative de récupération sera rejetée par manque de confiance dans la véracité de ses intentions. Puis, lorsque viendra son tour de rencontrer quelqu’un, ce sera finalement lui qui doutera de sa sincérité.
Le réalisateur réussit brillamment à jouer avec son public et nous rendre confus au bon moment : nous ne savons plus discerner les artifices des coïncidences. Un autre personnage sera également impacté indirectement par le travail de Matthias, Johann, qui lui reproche une implication bouleversante pour son couple, redessinant ainsi les limites entre professionnel et personnel. Le film prendra parfois des aspects de thriller, assisté par des ambiances lumineuses mystérieuses, qui évoqueront une quête, créant une connexion entre public et protagoniste à la recherche de la vérité, dans un monde remplis de faux-semblants, et faisant ainsi écho à la fin du titre du film « Suis-je réel ? ».

Satire d’un monde faillible
Bien équilibré, Peacock utilise l’absurde sans tomber dans la lourdeur. Que ce soit par le rythme ou encore la profondeur des plans, Bernhard Wenger arrive à nous surprendre, en installant durant tout le film une subtile ambiance comique qui nous rappelle avec ironie que ce sont bien nos propres modes de vie qui sont critiqués. Si une agence de location d’amis peut sembler absurde aux premiers abords, elle n’en est pas moins déjà réelle, car cette pratique qui n’est pas installée en occident existe pourtant au Japon sous le nom de « Shoji Morimoto ».
À travers ce phénomène, le film tente d’interroger les causes de notre solitude, ainsi que notre besoin perfectionniste d’auto-promotion. La technologie, qui est aussi critiquée pour ses failles à de nombreuses reprises dans le parcours de Matthias, peut être désignée en partie responsable de ce renfermement, dès lors qu’on fait un parallèle avec notre rapport au superficiel, notamment avec les réseaux sociaux. Sur cette même thématique du paraître et de l’esthétisme, l’art est lui aussi tourné en dérision pour son élitisme, et sa sacralisation, dans une scène dans laquelle un public embourgeoisé est sérieusement captivé par la performance clownesque d’un homme nu qui s’englue de peinture avant de se jeter contre des toiles blanches. Comme d’autres artistes avant lui, Bernhard Wenger moque la crédulité d’un public privilégié qui cherche « l’art » n’importe où, dans la poursuite de sensations toujours plus intenses.

A travers le prisme de la nudité, le réalisateur s’attaque également à une autre problématique, celle de la quête excessive de développement personnel. Cette obsession contemporaine est dénoncés de manière burlesque, quoique plus classique : on assiste à des scènes caricaturales de yoga nu en plein air, qui s’accompagne d’un désir de « reconnexion à la nature » vers la recherche du bien-être et de la zénitude. Cette revalorisation abusive de « l’humain » est également pointée du doigt à travers des métiers «robots », qui ne nécessitent pas plus de capacités qu’un panneau d’affichage : guide qui indique une seule direction ou encore réceptionniste qui répète une unique réplique en boucle. Ces jobs grotesques sont malheureusement crédibles et leur présence est évocatrice de notre besoin futile de produits à usage unique et jetable, ainsi que de nos échecs sur le plan du réel épanouissement professionnel.
La dernière scène entrecroisera pour finir ces différents motifs dans un bouquet final tragi-comique, qui symbolise la déperdition totale d’un protagoniste à bout, qui n’arrive plus à faire semblant, dans un monde qui a perdu sa raisonnabilité et où la folie, tant qu’elle n’est pas violente, ne choque plus. C’est donc un succès pour ce premier long-métrage profondément moqueur, témoin ultra-contemporain de nos contradictions, qui s’avère aussi intelligent que drôle.
Fiche technique
Peacock : Suis-je réel ? (2025)
Réalisateur et scénariste : Bernhard Wenger
1h42
Sortie française : 18 Juin 2025
Distribution : Pyramide distribution