Festival des sortilèges 2025 : Focus sur l’Indonésie, entretien avec @CeliaAtParis, directrice du festival et programmatrice de cinéma

Festival des sortilèges 2025 : Focus sur l’Indonésie, entretien avec @CeliaAtParis, directrice du festival et programmatrice de cinéma

Sundelbolong de Sisworo Gautama Putra

Pour sa deuxième édition, le Festival des Sortilèges, festival féministe et inclusif ayant pour vocation de questionner les représentations de figures féminines stigmatisées et ostracisées à travers le cinéma et l’art, se concentre sur l’Indonésie. Cinéma, animation, documentaire, conférence et rencontres nous feront découvrir un aspect méconnu de cette culture riche et variée à travers un prisme moderne et engagé.

Avant le début du festival, qui se tiendra les 20 et 21 juin, nous avons rencontré Célia, directrice artistique du festival, afin de revenir sur son lien au cinéma et la création du festival.

Ecran noir : Quelle place a le cinéma dans votre vie ?

Célia : Je travaille dans le digital advertising, mais ma grande passion, ce sont les arts qui permettent de travailler le temps et l’espace, donc je suis toujours très sensible à ce qui peut parler de façon multidimensionnelle et le théâtre et le cinéma sont deux arts que j’aime beaucoup pour ça. J’ai travaillé dans la distribution, à la programmation, notamment ou la conception d’évènements spécifiques, ce qui m’a permis de comprendre toute la chaîne de vie d’un film et j’ai ensuite pu m’impliquer et comprendre comment l’art pouvait être porté par cette industrie. Le cinéma rythme ma vie : j’y consacre mes journées, mes nuits et j’accompagne des œuvres, je présente des films, je fais des cours de cinéma, je fais des podcasts, je fais plein de choses afin de permettre à différents publics de mieux s’imprégner de l’avant et de l’après de l’œuvre, de l’accueillir. Une partie de mon temps est dédiée à écrire des articles de fond, j’en fais extrêmement peu parce que j’en écris des très longs.
Si quelqu’un s’intéresse à un cinéma ou une œuvre, je ne veux pas qu’il ait une vision superficielle, parce que nous sommes maintenant dans un ton où tout est à la synthèse, tout est cantonné à un nombre de caractères maximum défini, j’ai envie de montrer que le cinéma n’est pas forcément un produit jetable.

EN : pourquoi avoir créé ce festival ?

Witch’s mask de Laura Nasir-Tamara

Célia : Après le phénomène #Metoo, puis son retour de bâton ultramasculiniste avec une violence misogyne, légitimée et délibérée depuis 3 – 4 ans, je me suis dit, il ne faut pas qu’on en reste là. Je me suis demandé ce que je pouvais faire, à mon niveau, avec mes compétences et mes savoir-faire, pour permettre de continuer un dialogue sur ce problème sociétal et j’ai pensé que le cinéma serait une bonne porte d’entrée.

Je mets un point d’honneur à chaque séance que je présente, de rappeler que dans notre environnement très proche, on a quelqu’un qui est concerné. J’ai aussi une page dédiée sur les VSS (violences sexistes et sexuelles) qui recense tous les numéros d’appel, les plates-formes d’écoute, les conseils sur comment décrypter qu’on est sous emprise, par exemple. Cette libération de la parole ne concerne pas toutes les personnes agressées, donc j’insiste sur le fait que c’est à nous, peut-être dans ce cas-là, d’être vigilants et d’aller vers cette personne et de lui proposer du temps, une écoute. Nous sommes dans un domaine culturel, un domaine de partage, et je transforme ce lieu pour un autre type de partage. Je suis extrêmement convaincue que cela peut être un endroit où les gens peuvent réaliser qu’ils ne sont pas seuls. Souvent, quand on voit un film, on se reconnaît, on vit avec le personnage, et au-delà des émotions, ça peut être un vecteur qui permette de se dire : ça va me permettre de franchir le pas et demander de l’aide à des spécialistes.

C’est pourquoi mon festival est profondément féministe et inclusif, parce qu’il permet de dire qu’il existe de la nuance, et qu’il n’y a pas qu’une prise en charge de la femme agressée, mais aussi une prise en charge de l’agresseur, quel qu’il soit. Nous sommes une société et il faut qu’on fasse ensemble. Il n’est aucunement question de stigmatiser. Avec ce festival j’essaie donc de questionner la représentation des femmes stigmatisées, ostracisées, mises au ban de la société, violentées, pour leur sexe/genre féminin dans différentes sociétés, à travers le motif de la sorcière.

Sundelbolong de Sisworo Gautama Putra

EN : Sur quels critères avez-vous fait votre programmation ?

3… 2… 1…Sembunyi Jangan Cari d’ElisabethLim

Célia : Il y a des œuvres plus fragiles, plus invisibilisées et il y a tout un travail spécifique à faire, donc ça m’a donné goût à plébisciter des cinéastes, des pays, des œuvres parce qu’elles n’étaient pas forcément programmées et vues. Je voulais être complémentaire des distributeurs, et permettre cette diversité qu’on a dans le monde, totalement unique et singulière. J’ai envie de travailler des cinématographies qui ne sont pas encore suffisamment travaillées et qui ne manquent pas d’intérêt, montrer des films inédits contemporains et de patrimoine. Et comme justement il y a une surpondération masculine à la réalisation, je me fais un devoir de programmer des jeunes réalisatrices et montrer ce qui se fait en ce moment dans le pays que je vais aller visiter. C’est pourquoi chaque année, je dédie une partie du budget à acheter les droits de projection de courts-métrages de réalisatrices et montrer leurs œuvres. Le rôle du festival est aussi d’aider à visibiliser ces femmes.

EN : Pourquoi ce premier focus sur l’Indonésie ?

Célia : Je suis toujours curieuse de comment les gens travaillent les mêmes émotions dans d’autres cultures, et le festival permet chaque année de faire un tour du monde dans un pays, une culture différente. Cette année, c’est l’Indonésie ! Ça peut paraître bizarre et tant mieux, parce qu’en Asie les premiers pays auxquels on va penser, c’est toujours le Japon, la Chine, Hong Kong et la Corée, et moins les autres. C’est un cinéma que je trouve intéressant à découvrir parce qu’on ne le connaît pas forcément, ou alors on a des clichés dessus, mais aussi parce que cette année ce sont les 75 ans de relations diplomatiques entre la France et l’Indonésie. Le cinéma Indonésien a du mal émerger et n’a jamais eu l’ambition pendant quelques décennies, d’être autre chose qu’un cinéma pour sa population. C’est aussi surtout un cinéma qui était sous influence, puisqu’il a été colonisé par les Néerlandais et les Japonais. Bref, ça a été extrêmement houleux culturellement pour eux parce que ce n’était pas tellement une priorité.

Sundelbolong de Sisworo Gautama Putra

L’âge d’or du cinéma Indonésien a débuté dans les années 70, alors que les genres majoritaires étaient surtout des drames, le cinéma est devenu de plus en plus érotique avec le phénomène des bom seks : qui mettait en scène des femmes très jeunes et sexy. Suzzanna a été l’une des pionnières de ce phénomène puisqu’elle a commencé le cinéma très tôt. D’où le fait de programmer le documentaire Suzzanna: The Queen of Black Magic de David Gregory (1h28) lors de la première soirée, afin de faire découvrir cette vedette qui représente la transition du cinéma classique, conventionnel, vers un cinéma de genre, voire de cinéma bis. Je trouvais ça intéressant, dans un festival féministe, de programmer une femme qui d’abord a eu cet aspect sexy dans un monde d’homme, dans une production masculine, avant de devenir une femme qui a conscience de sa beauté, de son pouvoir de séduction, et qui décide d’en jouer.

EN : Comment se fait la préparation du festival ?

Célia : Chaque début de séance, je présente tout ce qui m’a aidé à constituer la programmation : que ce soit les films ou les livres, et je fais gagner un DVD du documentaire Garuda Power de de Bastian Meiresonne, qui est sur le cinéma d’action indonésien. Le deuxième soir, c’est un livre culte qui a été écrit sur l’Indonésie, dans le but d’inviter le public à creuser, à approfondir ses connaissances. Je travaille en partenariat avec des médiathèques pour mettre en avant leurs fonds, parce que ce qui est aussi très important pour moi, c’est de soutenir le service public, donc dans ce petit mouvement pédagogique de début de séance, je rappelle que j’emprunte énormément en médiathèque. A la médiathèque François Truffaut notamment, je leur ai tout emprunté. J’ai aussi quelques bibliothèques en partenariat qui ont fait une petite tablée spéciale en mettant en avant la culture indonésienne et la représentation des sorcières. Grâce aux médiathèques, le cinéma et la littérature Indonésienne est accessible à tous, peu importe la classe sociale.

Pour la programmation, j’ai aussi un mini comité de sélection pour les courts-métrages, je cherche à trouver un équilibre entre des choses inédites dans le cinéma de genre et des œuvres plus abordables. Je me fais toujours aider par des scientifiques, des anthropologues ou des personnes qui connaissent les pays pour le programme : je fais intervenir des chercheurs, cette année on aura une conférence sur les sorcières indonésiennes avec Kati Basset qui a vécu et s’est imprégnée de la culture Indonésienne.

Les traductions des films indonésiens ont été faits par une personne d’origine indonésienne qui parle indonésien. C’est important de me dire que le travail que j’ai fait en sous-titrage, c’est pas de reprendre la version anglaise, mais de reprendre la langue d’origine du film et de la traduire directement en français afin de transmettre plus directement au public français, les intentions des répliques, des jeux de mots, des blagues.

Sundelbolong de Sisworo Gautama Putra

EN : Quels sont les temps forts de cette édition ?

Witch’s mask de Laura Nasir-Tamara

Célia : Cette année, les sujets sont extrêmement forts parce que ça soulève notamment une question importante : comment font des femmes quand elles ont un enfant non désiré suite à un viol ? On se pose déjà cette question en 1981 dans Sundelbolong de Sisworo Gautama Putra, et moi ce que j’aime beaucoup, c’est que ça se rattache à une légende populaire indonésienne, la Sundel Bolong, ce personnage de la dame à la robe blanche qui a un trou dans son dos. C’est une figure qui est connue de tous les Indonésiens et qui arrive à rencontrer des problématiques sociales et sociétales. C’est une femme qui a tellement honte et est tellement embarrassée qu’elle ne sait pas quoi faire avec cette grossesse, personne ne va l’aider pour avorter et donc l’issue fatale c’est un choix tragique et c’est là que le fantastique arrive.

Par le tronquement d’une légende, on peut aborder des sujets qui, même plus de 40 ans, nous travaillent encore. Actuellement, une femme n’a pas son total libre-arbitre et n’a pas le choix de pouvoir demander une IVG parce qu’elle a été violée. C’est ce que nous voyons depuis un an et demi aux États-Unis ou la Pologne avec des états qui ont régressé là-dessus, on avait acquis des droits mais comme quoi il faut rester vigilant et vigilantes. C’est ça qui sera aussi à découvrir dans le documentaire de la première soirée, il y a une universitaire qui se pose la question parce qu’elle s’est spécialisée sur Suzzanna : pourquoi les femmes sont obligées d’être mortes pour pouvoir se venger, pour pouvoir réclamer justice parce que de leur vivant elle n’y arrivent pas ?

On a aussi des stands indonésiens et l’idée c’est de mettre en avant des artisans et des artistes donc il y aura à découvrir des choses sur les stands avec nos partenaires : solidarité Indonésie et la maison de l’Indonésie. L’idée c’est de faire connaître, un petit peu de façon holistique, la culture indonésienne en en sortant de l’exotisation habituelle qu’on a de l’Indonésie, c’est à dire, danse et musique traditionnelle. Il y aura un écran d’attente avec des musiques indonésiennes, mais pas forcément ce à quoi on s’attend :
J’ai envie de faire découvrir des personnes qui jouent du rock dans les années 70 comme des gens qui rappent en 2025.

EN : Quelles seront les nouveautés de cette édition et tes envies pour les prochaines ?

Célia : L’année dernière, c’était assez sérieux, et c’était un peu démoralisant parce qu’il y avait The Witch de Robert Eagers, avec comme thématique : la toxicité ne vient pas de l’extérieur, elle vient de l’intérieur, elle vient de la famille. Là cette année je me suis dit, on va quand même un peu plus rigoler, donc j’ai choisi de prendre une espèce de comédie horrifique, il y a une dimension burlesque et grotesque dans Sundelbolong qui permet d’équilibrer tous ces sujets un peu lourds : on voit un peu les effets spéciaux c’est du système D, c’est pas très très crédible, mais à l’époque les publics étaient suffisamment effrayés quand ils les voyaient pour la première fois.

Chaque année on va changer de continent : l’année prochaine ça sera l’Afrique et l’année d’après c’est l’Amérique latine et je sais déjà quel pays je veux faire. Je voudrais que ce soit plus pluridisciplinaire, parce que depuis plusieurs années, ce motif de la sorcière est devenu extrêmement populaire pour des revendications féministes, et que ce n’est plus que le cinéma et la littérature, mais maintenant ça devient tous les arts et disciplines (de plus en plus dans la BD par exemple).

ℹ️ www.festivaldessortileges.fr/2025.html

📆 www.facebook.com/events/707994621563657

Réservation : https://achat.espacesaintmichel.com/reserver

L’article sur l’Indonésie : www.culturopoing.com/cinema/4e-le-maudit-festival-voyage-vers-lorient-du-30-01-au-04-02-grenoble/20240220

La page sur les VSS : https://festivaldessortileges.fr/vss.html