Cette année encore, les courts métrages d’Annecy ont su nous surprendre, tant dans leurs variétés de sujets que dans leurs multiples approches artistiques : écran d’épingle, 2D, 3D, stop-motion, IA, et beaucoup de mix média auront animé les écrans durant ces chaudes journées de festival. Compétition officielle, étudiante, off-limit et rétrospective : chaque sélection est riche de nouveautés, nécessaires au renouvellement graphique et scénaristique du cinéma d’animation, dont le court métrage demeure le format-phare, permettant d’en explorer les mille et une facettes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, cette année, le directeur artistique Marcel Jean avait décidé d’ouvrir le festival avec l’un des programmes de courts en compétition, proposant une très belle soirée de gala qui donnait immédiatement le ton du reste de la semaine.
Un court-métrage qui sort du lot

Il rafle à lui seul pas moins de trois récompenses : Cristal du court métrage, prix du public et prix André Martin pour un court métrage français – impossible de ne pas évoquer le court métrage piquant de Pierre-Luc GRANJON, Les bottes de la nuit. Réalisé sur écran d’épingles (technique inventée par Alexandre Alexeieff et Claire Parker dans la première moitié du XXe siècle, dans l’idée de reproduire à l’écran les effets de la gravure), ce court métrage accessible dès le plus jeune âge n’est pourtant pas seulement destiné à une cible jeunesse, et c’est ce qui justifie sa place bien méritée dans la compétition officielle. Au-delà de la prouesse technique, et d’une image bouleversante de douceur, le scénario modeste et juste nous raconte sous l’allure d’un conte, la naissance d’une amitié inattendue entre deux êtres opposés, réunis par la quête d’un monstre. Rempli de tendresse et faisant appel à nos cœurs d’enfants, ce court métrage universellement touchant, questionne aussi subtilement les adultes sur leurs agissements d’humains modernes.
Le reste des récompenses laissées par Les bottes de la nuit sont attribués à Dollhouse Elephant de Jenny JOKELA (prix Sacem pour une musique origniale), un univers très pop dans lequel la peinture saturée nous guide entre les joies et difficultés de la vie en logement collectif ; le très poétique Zwermen de Janneke SWINKELS et Tim FRIJSINGER (prix Jean-Luc Xiberras de la première œuvre) qui met en parallèle la vieillesse et la mort à l’envol d’un oiseau ; Rakugaki de Ryo ORIKASA pour la compétition off limits, qui, comme pour Misérable Miracle, joue avec les lettres et le langage pour philosopher avec poésie sur la place du graffiti ; la richesse visuelle et la douceur de Sappho de Rosana URBES obtient le prix Alexeieff ; At Night de Pooya AFZAL évoquant l’espoir et les souvenirs dans des temps de guerre a été récompensé du prix france TV et Les bêtes de Michael GRANBERRY, nuances de gris et stop-motion mettant en scène un renversement de pouvoir des créatures étranges supposées divertir une cour, reçoit quant à lui deux récompenses : prix du jury et prix vimeo staff pick.
Pluridisciplinarité de l’animation
Cette édition 2025 confirme une nouvelle fois que l’animation est un art total et qu’il est bel et bien le lieu d’intersection de nombreux médiums. Convoquant diverses qualités plastiques et artistiques, rassemblées grâce au montage : le dessin, la peinture, le volume, le théâtre, la mise en scène et le numérique, nous offrent une multitude de possibilités d’inventions scénaristique dont les courts métrages du festival d’Annecy sont les premiers témoins. Dans cette liste non exhaustive, nous retracerons certains des temps forts de cette année.

Sous l’apparence d’un jeu vidéo aux allures de science fiction, La fille qui explose de Caroline POGGI et Jonathan VINEL nous emmène explorer dans une sorte de pamphlet la colère montante d’une population face à la violence de notre société. Sur fond de voix off, on suit l’histoire inexplicable d’une jeune fille qui explose et se reconstruit en permanence. Maladie physiologique ou cri social, nous sillonnons entre le figuratif et l’abstrait, offrant ainsi l’opportunité d’y placer notre propre interprétation et de faire de cette œuvre, une réflexion personnelle. Mix and match visuel gore, ce court représente aussi l’ambiance globale dérangeante de la compétition officielle 3 au sein duquel il était projeté, aux côtés de Luna Rossa ou encore Quai Sisowath qui naviguent entre photographie, 2D et 3D. Ce dernier court partage aussi son regard désenchanté sur le monde, en proposant un parallèle entre légende et contamination.

Theodore USHEV est un habitué du festival puisque son film Vaysha, l’aveugle a remporté deux prix lors de l’édition 2016 : le prix spécial du jury et le prix du jury junior. Il a également reçu le cristal en 2020 avec Physique de la tristesse. Son dernier court en date, La vie avec un idiot, est animé par des dialogues chantés qui amusent et raconte l’histoire d’un couple qui se défait, à cause d’un idiot, au point d’en devenir fous. Son animation à l’aquarelle et à l’encre est vibrante, mais aussi vivante et dynamique. Ce film nous propose avec ironie une remise en question de notre vision de « l’idiot », en ne manquant pas au passage, de cibler quelques visages célèbres.

Le festival est lieu de création mais également de réinvention comme en témoigne Star Wars vision : Black de Shinya OHIRA qui reprend sous des allures plus expérimentales les codes de la saga. Dans une palette de couleurs limitée, les visuels proposés par le réalisateur sont plus abstraits, nous plongeant ainsi dans une ambiance flottante et explosive, qui masque cependant un peu plus la violence du conflit, nous faisant ainsi presque oublier qu’il est question de guerre. Ce court plastiquement riche, proposant une vraie réinterprétation artistique, nous rend toutefois légèrement confus par les quelques flash-backs qui rythment cet enchaînement de paysages flamboyants.

Si certains courts-métrages se font discrets sur leur utilisation de l’IA, fortement critiquée et critiquable, il n’en est rien pour le film Gerhard de Ulu BRAUN qui fabrique presque sans retouches, toutes ses images directement issues d’une IA. Des visuels grotesques, semblables à un enchaînement de photomontages ratés, dans lequel des personnages réalistes se métamorphosent sans cesse, parfois même avec le décor, jusqu’à en devenir monstrueux et terrifiants : profondément inconfortable mais aussi très drôle. Nous suivons ainsi une sorte de biopic d’un peintre de renom, glorifié pour ses qualités artistiques et pédagogiques. Provocation franche, Gerhard moque autant les IA que les artistes dans un discours kitch au possible, qui ne manque pas de faire rire. Ridicule tant dans les dialogues, que les images et l’interprétation, insultant et autocritique, ce court est la preuve que l’utilisation d’IA assumée, peut être mise en parallèle d’un cynisme et d’une réflexion sur l’art, ouvrant ainsi le débat de manière plus détendue sur l’utilisation des intelligences artificielles dans la création.

Comme le film précédent, SKFRR de Corrie Francis PARKS et Daniel NUDERSCHER appartient à la compétition off limits, qui rassemble les courts métrages les plus expérimentaux et novateurs. Ce court au nom imprononçable fait écho à la technique qui accompagne sa narration : celle du grattage sur murs urbains et du bruit des bombes de peintures. En effet, le concept de ce film réside dans un dialogue avec les multiples couches d’affiches et de peintures qui se sont accumulées les unes sur les autres dans nos villes. Proposant également une alternative à l’innovation classique : au lieu de rajouter de la matière, pourquoi pas créer en faisant chemin inverse, c’est à dire en la retirant. Ces trous muraux, qui s’agrandissent et se transforment sous nos yeux nous donnent l’impression de regarder un paysage mouvant de fossiles colorés, une manière de rediscuter le temps, l’espace ainsi que l’art urbain.
La Hongrie mise à l’honneur
A l’occasion du focus sur la Hongrie, qui était l’invité d’honneur de cette édition 2025, nous avons pu (re)découvrir des classiques de l’animation hongroise comme le superbe court La mouche (A légy) de Rofusv FERENC, nommé lors la 31 édition du festival de Cannes, dans lequel on suit, à travers ses yeux, le parcours d’une mouche qui cherche un refuge dans une maison, malheureusement pour elle, déjà habitée. Le paysage défile et les sons nous immergent complètement dans le point de vue subjectif de l’insecte, une approche du personnage originale qui fonctionne parfaitement et attise notre empathie.

Stop motion, 2D ou encore 3D, il s’agit d’une rétrospective variée, très agréable et pleine d’humour qui retrace notamment un regard sur la vie urbaine avec des courts comme Ooooh ces haricots ! de Otto FOKY qui rappelle d’ailleurs Ovo de Pierre BOUCHON et José-Miguel RIBEIRO, Le balcon de David DELL’EDERA ou encore Attention à la marche de István OROSZ.

Films de fins d’études
Pendant ces longues séances de compétitions, nous aurons découvert avec beaucoup de plaisir les courts métrages étudiants de cette édition 2025, dont le niveau frôle, si ce n’est équivaut souvent, les compétitions officielles. Au palmarès, pour le cristal nous avons Zootrope de Léna MARTINEZ qui vient de l’ENSAD : une balade spatiale dans une image très douce et bruitée, évoquant les derniers souvenirs d’un zoo, Q de Masataka KIHARA de la TAMA Art University pour le prix Lotte Reiniger qui raconte avec minimalisme un tragique accident à moto, et Entre les jours de Martin BONNIN – une conversation téléphonique bouleversante – qui remporte le prix du jury. La mise en scène de ce dernier film, utilisant à la fois des jeux de lumières et les sons urbains, permet un dialogue très équilibré entre différents contrastes : figuratif et abstrait, personnel et commun, ou encore ressenti et réalité, au service d’un propos sur l’éphémère des relations humaines.

Au-delà du palmarès, de nombreux courts sont notables, comme par exemple Detlev de Ferdinand EHRHARDT : film de marionnettes en stop-motion présentant dans un univers glacé, les habitudes de vie de son personnage principal, un ouvrier dont la seule étincelle de vie se trouve dans un toast chaud, qu’il achète chaque soir dans une station service isolée, pour se brûler le crâne. Son quotidien basculera cependant avec l’arrivée d’un tiers qui tente de se rapprocher de lui et l’aidera à briser ce cycle autodestructeur. Sous couvert de l’absurde, il est avant tout question d’addiction dans ce court qui maitrise le rythme et la narration avec subtilité.

Enfin, toujours en stop-motion en volume, c’est Qui part à la chasse de Léa Favre qui retient également l’attention. Léger voire enfantin au début, il suit Léa, jeune photographe en quête d’un nouveau sujet d’étude qui fait une mauvaise rencontre. Le film nous plonge dans une longue prise d’otage avec un écran noir angoissant, dans lequel nous sommes pris au piège de la voix d’un homme qui nous faire vivre une véritable scène d’agression verbale. On retrouvait déjà ce processus terriblement efficace dans le film Her de Spike Jonze, nous laissant ainsi dans un état de choc et rappelant la violence inattendue que peut parfois avoir le quotidien.

Zoé Mottin