Etiquetée comme la Méchante Sorcière de l’Ouest, Elphaba vit désormais en exil, cachée dans la forêt. Elle poursuit sa lutte pour la liberté des animaux muselés, tout en cherchant à révéler la véritable nature du Magicien d’Oz. Glinda, en revanche, est devenue l’incarnation même du glamour et de la vertu. Installée dans le palais d’Emeraude, elle jouit des privilèges de sa célébrité et œuvre, sous l’influence de Madame Morrible, à renforcer l’image du règne du Magicien auprès du peuple.
Alors qu’elle s’apprête à épouser le prince Fiyero lors d’un somptueux mariage « grandiOz », Glinda ne peut oublier Elphaba. Rongée par le remords, elle tente une réconciliation qui échoue et aggrave encore la situation de son ancienne amie. Les conséquences seront lourdes pour Fiyero, Boq et Nessarose, la sœur d’Elphaba, surtout lorsqu’une mystérieuse jeune fille venue du Kansas entre en scène. Face à une révolte populaire dirigée contre Elphaba, les deux sorcières doivent mettre de côté leurs différends.
Après un premier opus réjouissant et enlevé, Jon M. Chu se devait de livrer un final tout aussi spectaculaire pour l’adaptation du musical Wicked au cinéma. Et c’est peut de dire que cette seconde partie est frustrante. Certes, le show musical XXL est pensé pour les fans de ce préquel du Magicien d’Oz, mais le découpage en deux films (calqué sur les deux actes du spectacle) s’avère une mauvaise idée.
D’une part, le second film est en lui-même aussi pénible qu’ennuyeux. D’autre part, si on l’assemble au premier épisode, on constate que l’œuvre s’alourdit et s’étiole au fil des scènes.
Broadway vs Hollywood

Alors pourquoi? Souvent, si les secondes parties des musicals paraissent moins passionnantes ou mémorables, c’est d’abord une question de structure. Le premier acte est conçu pour séduire : il pose l’univers, les personnages, le ton, et aligne les numéros les plus sexys – chanson d’ouverture, grandes performances des héros ou héroïnes, gros ensembles et final d’entracte qui fait exploser la salle (Defying Gravity dans le cas de Wicked, One Day More pour Les Misérables, All I Ask of You pour Le Fantôme de l’Opéra, etc.). Les producteurs y placent la majorité des tubes pour être sûrs d’accrocher le public très vite, ce qui fait que le spectateur retient spontanément l’Acte I. À cela s’ajoute une réalité toute simple : au deuxième acte, le public est déjà saturé d’infos, d’images et de musique, donc un peu moins réceptif, même si la qualité reste au rendez-vous. Car cela reste du spectacle vivant.
Du côté de la narration, l’Acte II a de facto un rôle moins glamour. Il gère les conséquences, ferme les arcs narratifs, résout les intrigues, clarifie les enjeux politiques ou émotionnels. La musique y devient souvent plus fonctionnelle, avec des reprises de thèmes et des chansons plus courtes qui servent l’action, et plus sombre. C’est le temps des désillusions, pertes, sacrifices, ambiguïtés morales. L’introspection prime sur des grands « bangers » faciles à fredonner. Dramatiquement, c’est souvent plus riche, mais forcément moins « fun ». Quand on pousse encore plus loin cette logique, comme avec certains musicals adaptés en deux films, on prend le risque de transformer ce second mouvement en long tunnel de résolutions étalées : les hits sont déjà passés, on étire le dénouement, et la sensation que la deuxième partie est moins passionnante se trouve mécaniquement renforcée.

C’est exactement ce qui est arrivé au diptyque Wicked. Les conflits intérieurs de chacun se muent en ballades et lamentations sans aspérités, à une ou deux exceptions bien chantées par Cynthia Erivo. Le film s’enlise dans des dialogues bavards assez basiques où même les quelques notes de « Defying Gravity » entendues à l’arrière plan ne suffisent pas à mettre un peu de relief. Et les deux chansons créées pour le film (« The Girl in the Bubble » et « No place Like Home ») sont toutes aussi doucereuses, empêchant ce second film d’avoir un hit entraînant (et qui nous réveillerait).
Un univers platiste
Voici le problème de ce Wicked: For Good. Il fait l’effet d’un somnifère : un comble alors qu’il est plus court que le premier, qui flirtait avec le claquage musculaire tant il étirait le récit. Mais au moins, on s’emballait pour sa virtuosité et sa flamboyante. En voulant scinder le musical, Jon M. Chu a voulu étoffer les intrigues (pourtant très simplifiées), approfondir les liens émotionnels (jusqu’à la surdose de suspicions) et enrichir les histoires de chacun (qui restent néanmoins assez superficielles). Bref, il nous insatisfait de bout en bout.

Plutôt que de réécrire complètement cet Acte II, pour lui donner une véritable dimension cinématographique, il y est tellement fidèle qu’il en oublie les principes mêmes de ce genre de cinéma : la dramatisation et l’émotion. Tout semble plat et et rien ne nous happe. On assiste à un long feuilleton de soap-opéra où les sentiments dégoulinent de sirop et où les personnages sont entravés. Aucune énergie ne les stimule. Et rien ne nous secoue.
Clairement, c’est à la fois un problème de mise en scène et de scénario. Les interprètes ne sont pas en cause. Cynthia Erivo est parfaite en Elphaba et surclasse tout le monde musicalement. Ariana Grande, quand elle ne doit pas jouer une poupée Barbie de cire et de sons, parvient à faire sourire et à émouvoir. Jonathan Bailey, malgré un rôle un peu trop court, est impeccable (comme son brushing) en prince vaillant et charmant (il mérite assurément son titre d’Homme le plus sexy du monde de l’année). Michelle Yeoh et Jeff Goldblum font ce qu’ils peuvent (en chant comme en jeu) avec des personnages secondaires dont on ne saisit jamais vraiment la dangerosité (contrairement au premier film).
« Des mensonges qu’ils voulaient entendre. »
Le scénario n’aide que les deux actrices à se confronter à leurs dilemmes intimes. Pour les autres, ce ne sont que des faire-valoir, parfois rapidement évincés de l’histoire. Si bien que l’action se resserre autour d’une chasse aux sorcières sans grand intérêt. Et malgré quelques revirements de situations, parfois bâclés, on est rarement surpris.

Alors, oui, il y a le sous-texte politique. Toutes ces valeurs – la liberté, l’inclusivité, le vivre-ensemble – menacées par un régime oppressif sous le diktat d’un charlatan mégalo, d’une sorcière manipulatrice ou d’une gouverneure possessive et mal-aimée. Le discours est limpide comme de l’eau de roche (niveau collège) et entre résistance, rébellion, soumission, compromission ou monarchie éclairée, il faudra choisir. Chacun sa croix, chacun sa voie. Et surtout des femmes insatisfaites (et paradoxalement « puissantes ») qui vont négocier avec le concept de sororité (trahison ou union). Là aussi, le script aurait pu creuser le sujet, passionnant.
The Witch Projects
Bref, rien de bien neuf si ce n’est peut-être une forme de justesse sur la critique de la propagande (par la peur et la désignation d’un ennemi). Le mécanisme despotique pour manipuler les masses est, ici, plutôt bien mis en place et éclairant. Pas de quoi s’éterniser pendant plus de deux heures cependant. Alors qu’on quittait Oz au moment où la bataille s’annonçait, on y revient avec un récit bancal et sans relief. Dans ce duel rose vs vert, deux couleurs complémentaires a priori, le mélange vire au brun/gris terne. Le manque d’action, n’arrange rien. L’exode des animaux comme la terrible sort qui s’abat sur des personnages centraux sont filmés de manière plan-plan et sans dramatisation.

Car c’est bien là que pèche le film de Jon M. Chu. Inspiré et audacieux dans la première partie, sa mise en scène se dilue dans une succession de champs–contrechamps paresseux ou de plans fixes figeant les scènes. Le spectacle est derrière nous. Quelques flash-backs alourdissent même certaines séquences, comme si l’imagination était asséchée pour les illustrer. Du remplissage. Ce manque de créativité contraste avec la première partie, bien plus emballante. On peut tout juste s’amuser du pastiche du Dictateur de Chaplin avec son globe terrestre et de l’insertion de Dorothy (axa l’héroïne du magicien d’Oz) et ses trois comparses (le lion, ingrat, l’homme de fer, vengeur, et l’épouvantail, martyr, dont on connait désormais leurs origines) dans des moments presque meta.
« On leur fait gober n’importe quoi. »
Le manque d’inventivité à l’image doublé d’un scénario trop fidèle au musical originel plombent finalement cette seconde partie. Une fois de plus, l’adaptation contentera sans doute les fans du spectacle mais frustrera les spectateurs du film. Ce qui est jubilatoire dans un théâtre ne l’est pas forcément dans une salle de cinéma ou chez soi. Wicked, partie II aurait mérité de trahir le matériau de Broadway pour s’émanciper et s’épanouir en tant qu’objet cinématographique.
Pour cela il fallait revoir la construction du second acte, insuffler davantage de suspense, mieux incarner les rôles secondaires, ajouter un propos politique plus malin, jouer avec les codes du 7e art plutôt que de se calquer sur un déroulé de musical. Ce qu’a réussi Spielberg avec West Side Story, injustement mal aimé, Fosse avec Cabaret, Oz avec La petite boutique des horreurs, Burton avec Sweeney Todd ou Marshall avec Chicago, qui prend de la valeur au fil des années. Autant d’exemples qui prouvent que le cinéma peut s’emparer d’un musical à condition de ne pas oublier qu’il s’agit de cinéma…
Wicked : partie II (Wicked : For Good)
2h17
Sortie en salles : 19 novembre 2025
Réalisation : Jon M. Chu
Scénario : Winnie Holzman et Dana Fox, d'après la comédie-musicale éponyme et le roman Wicked : La Véritable Histoire de la méchante sorcière de l'Ouest de Gregory Maguire
Image : Alice Brooks
Musique : John Powell et Stephen Schwartz (musique de scène) et Stephen Schwartz (chansons)
Distribution : Universal Pictures France
Avec : Cynthia Erivo, Ariana Grande, Jonathan Bailey, Ethan Slater, Marissa Bode, Michelle Yeoh, Jeff Goldblum...
