Brigitte Anne-Marie Bardot, née le 28 septembre 1934 à Paris, est décédée ce dimanche 28 décembre 2025. Avec elle disparaît l’une des figures les plus emblématiques du XXe siècle, celle qui incarna mieux que quiconque la révolution des mœurs et la libération de la femme dans les années 1950 et 1960.
Le destin de Brigitte Bardot semblait écrit dans les astres. Née à midi, « à l’heure où le soleil est au zénith », à deux pas du Champ de Mars et de la Tour Eiffel, celle que ses parents prénommèrent Brigitte — prénom allemand signifiant « déesse du feu » — reçut dès sa venue au monde les augures d’un avenir exceptionnel. Le Petit Parisien prédisait ce 28 septembre 1934 : « Les enfants de sexe féminin nés ce jour, sous le signe de la balance, seront promis à un avenir artistique brillant. » Le même journal titrait en première page : « Les producteurs de films ont confiance. » Une prophétie qui allait se réaliser au-delà de toute espérance.

De Brichetonne à BB
Issue d’une famille de la haute bourgeoisie du XVIe arrondissement parisien, la petite Brigitte — surnommée « Brichetonne » puis « Bri Bri » — grandit auprès de son père Louis, industriel, de sa mère Anne-Marie (« Tooty ») et de sa sœur cadette Marie-Jeanne (« Mijanou »). Derrière le vernis de cette enfance privilégiée se cachait pourtant une blessure fondatrice : suite à un incident domestique, ses parents la punirent sévèrement et décidèrent de la vouvoyer, créant une distance qu’elle ne comblerait jamais. Ce trauma familial forgea son caractère méfiant et son désir farouche d’indépendance.
Élève discrète à l’école, affublée de lunettes pour corriger un strabisme et d’un appareil dentaire, elle se métamorphosait dans les cours de danse classique, sa passion, où elle déployait une grâce que sa camarade Leslie Caron qualifierait plus tard de « merveilleuse », tout en notant sa paresse naturelle.
C’est par le mannequinat que Brigitte Bardot fit ses premiers pas vers la célébrité. Repérée par Hélène Lazareff, créatrice et directrice du magazine ELLE, elle fait la couverture en 1952 — ses parents exigeant que seules les initiales « BB » apparaissent pour préserver le nom de famille. Ces deux lettres allaient devenir mondialement célèbres.

Un jeune homme de 22 ans nommé Roger Vadim découvre son visage dans les pages du magazine. Assistant réalisateur, il fut immédiatement fasciné par ce « mélange de collégienne et de gitane ». Il la présente au cinéaste Marc Allégret, devint son Pygmalion, puis son amant. Malgré les réticences du père Bardot — qui gardait une arme à feu sous la main au cas où —, ils se marièrent en 1952. Vadim lui fit alors cette promesse sulfureuse : « Tu seras un jour le rêve impossible des hommes mariés. »
« Et Dieu créa la femme », naissance d’un scandale
L’été 1956, à Saint-Tropez, Roger Vadim tourne Et Dieu créa la femme, le film qui allait tout changer. Dans le rôle de Juliette Hardy, Brigitte Bardot créé un archétype : la femme-enfant libre, sensuelle, « qui s’habille d’un rien et se déshabille pour un rien ». Comme l’écrivt Marc Esposito : « Dès son premier grand rôle, c’était un personnage. D’entrée, sur l’écran, on ne voyait qu’elle. »

Le film a été d’abord un échec à Paris, retiré de l’affiche après des critiques au vitriol. Mais les États-Unis s’enflammèrent pour cette « blonde incendiaire ». Les manifestations vertueuses, les menaces d’excommunication catholique créèrent le buzz et lancèrent la « Bardot mania ». À l’Exposition universelle de Bruxelles en 1958, le Vatican expose sa photographie dans le pavillon consacré aux « méfaits du Mal », la désignant comme incarnation de la luxure.
Brigitte Bardot n’était plus une starlette : elle est devenue un mythe, « La créature de Satan » pour ses détracteurs, « Le charme français » pour ses admirateurs.

Avec sa démarche unique « en tire-bouchon », sa crinière couleur blé et son talent pour « paraître nue même lorsqu’elle est habillée », BB devance la révolution sexuelle des années 1970. Cette « négresse blonde » aux traits épais mais à l’équilibre si délicat annonce l’émergence de la femme occidentale moderne : celle qui travaille, divorce, avorte, s’émancipe du joug masculin par son autonomie financière et par la parole.
Car Brigitte a aussi la langue bien pendue. En 1965, lors de la promotion de Viva Maria à Los Angeles, un reporter lui demande : « Qui êtes-vous Brigitte Bardot ? » Elle se lève, fait un tour sur elle-même et répond : « Voilà, vous avez tout vu. » Puis, au journaliste insistant : « Venez vivre avec moi pendant huit jours, vous le saurez. — Mais je suis marié. — Dans ce cas, venez avec votre femme ! »
Marilyn Monroe et Jean Gabin
En 1956, auréolée du succès naissant d’Et Dieu créa la femme, BB est présentée à la reine Elizabeth II d’Angleterre, aux côtés de l’autre bombe planétaire du siècle : Marilyn Monroe. Les deux femmes partagent de nombreux points communs — leur plastique bouleversante, leur diction singulière, leur grâce absolue à l’écran. Comme le note un critique, elles possédaient cette capacité unique d’« imprimer sur la pellicule l’espace d’un instant et le transformer en un moment d’éternité ».
Pourtant, ce soir-là, aucun photographe ne pense à immortaliser les deux icônes ensemble. Seul un miroir des toilettes du Savoy a été témoin de leur rencontre silencieuse, sans un mot échangé. « Au crépuscule de l’ascension, la petite BB était trop impressionnée devant l’immense MM aspirée déjà par les limbes du déclin », raconte-t-elle dans ses mémoires.
Avant de devenir l’icône mondiale, Brigitte Bardot a fait ses armes dans une quinzaine de films où elle apprit son métier d’actrice. De Le Trou normand (1952) de Jean Boyer aux côtés de Bourvil à Si Versailles m’était conté (1954) de Sacha Guitry avec Jean Marais, elle accumule l’expérience. Dans Les Grandes Manœuvres (1955) de René Clair et En effeuillant la marguerite (1956) de Marc Allégret avec Daniel Gélin, elle affine sa présence à l’écran, développant cette capacité unique à capter la lumière et à magnétiser le regard du spectateur. Ces rôles, souvent légers, lui permirent de rodier ce mélange de sensualité innocente et de malice qui ferait bientôt sa signature.
Consciente d’être cantonnée à des rôles de « ravissante idiote », Brigitte Bardot cherche à prouver ses talents dramatiques. En 1957, elle relève le défi avec En cas de malheur de Claude Autant-Lara, aux côtés de Jean Gabin — qui avait d’abord refusé de tourner avec « cette chose qui se promène toute nue ». Pétrifiée lors de leur première scène, elle a été touchée par la bienveillance du monstre sacré qui fait exprès de se tromper pour la détendre.
Le film, présenté avec faste au festival de Venise où des avions à réaction tracent ses initiales dans le ciel, est un triomphe. Dans le rôle d’Yvette Maudet, jeune femme déchue qui séduit un avocat en proie au démon de midi, elle apporta une vulnérabilité et une profondeur inédites à son jeu.
Clouzot et Godard
En 1960, elle atteignit les sommets avec La Vérité d’Henri-Georges Clouzot, qui lui permit de s’élever « au niveau d’une grande tragédienne », selon les mots de Roger Vadim. En 1963, dans Le Mépris de Jean-Luc Godard, elle offre l’une de ses interprétations les plus mémorables, arpentant les marches de la villa Malaparte à Capri avec cette grâce langoureuse qui la caractérisait. C’est sans doute là que le mythe BB est à son paroxysme. Vadim a créé BB, Godard a sculpté Bardot.
L’année 1965 la vit briller dans Viva Maria! de Louis Malle, formant un duo explosif avec Jeanne Moreau dans cette comédie d’aventures révolutionnaire. Chacun de ces rôles démontra qu’au-delà du sex-symbol se cachait une véritable actrice, capable d’incarner la complexité, la fragilité et la force des femmes modernes.
Entre désillusion et adieux, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, Brigitte Bardot tourne ses derniers films dans une alternance de comédies légères et de quelques projets plus personnels. En 1969, La Fille de paille lui permet d’interpréter la chanson Je voudrais perdre la mémoire, tandis qu’en 1970, elle joue dans Les Novices aux côtés d’Annie Girardot.
Mais lassée par le poids écrasant de son image, épuisée par vingt ans de traque médiatique incessante, harcelée par les paparazzis au point d’avoir attenté à ses jours en 1960, BB multipliait les signes de fatigue face à une industrie qui ne voyait en elle qu’un mythe dévorant l’actrice. Ses derniers films témoignaient de ce désenchantement croissant envers un métier qui l’a autant glorifiée qu’emprisonnée. En 1973, elle tourne le dos définitivement au cinéma, refermant un chapitre glorieux mais douloureux de son existence.
Une cinquantaine de films en 20 ans de carrière. Et une poignée de grandes œuvres. Et sinon Vie privée de Louis Malle, Paparazzi de Jacques Rozier, Une ravissante idiote d’Édouard Molinaro, L’Ours et la Poupée de Michel Deville, Boulevard du rhum de Robert Enrico et Les Pétroleuses de Christian-Jaque, où elle partage l’affiche avec la regrettée Claudia Cardinale, éteinte en septembre dernier.
Sur les plateaux, elle aura cotoyé Jean-Louis Trintignant, Marcello Mastroianni, Michel Piccoli, Sean Connery, Anthony Perkins, James Stewart, Lino Ventura, Gérard Philipe, Jean Marais, Kirk Douglas, Louis Jourdan, Curd Jürgens, Robert Hossein, Maurice Ronet, Jean-Pierre Cassel, Jean-Pierre Marielle, Laurent Terzieff, Jean Rochefort, Jane Birkin, Jack Palance… et bien sûr Alain Delon, son ami, disparu l’an dernier.
Mais déjà, dans ce début des années 1970, le cinéma français est accro à Jeanne Moreau, Annie Girardot et Catherine Deneuve, trois femmes plus modernes, qui monopolisent les grands cinéastes européens. L’ère BB s’achève près de dix ans après la disparition de Marilyn.
Eclectique et décliniste
Au-delà du cinéma, Brigitte Bardot a connu dans cette décennie le succès dans la chanson. De Sidonie (1962) aux coquillages et crsutacés de La Madrague (1963), de Bonnie and Clyde à Harley Davidson (1968), elle collabora avec les plus grands, notamment Serge Gainsbourg avec qui elle enregistra en 1967 le sulfureux Je t’aime… moi non plus. Ses albums et singles marquèrent les années 1960 et 1970, ajoutant une dimension supplémentaire à sa légende. D’autant qu’en tant que chanteuse, elle s’affirme comme l’une des meilleures interprètes de son époque.
Sa vie sentimentale fut à l’image de sa carrière : passionnée et médiatisée. Mariée quatre fois — à Roger Vadim (1952), Jacques Charrier (1959), Gunter Sachs (1966) et enfin Bernard d’Ormale (1992) —, elle a connu de nombreuses liaisons avec Jean-Louis Trintignant, Gilbert Bécaud, Sacha Distel, Samy Frey, Serge Gainsbourg, Warren Beatty et Allain Bougrain-Dubourg. Chaque relation alimente la légende, chaque rupture fait la une des journaux. Si bien que, même à sa retraite d’actrice, elle reste vivante dans le patrimoine mémoriel des Français…
La retraite à Saint-Tropez
Car en 1973, après 21 ans de carrière et 48 films, Brigitte Bardot tourne le dos au cinéma. « J’en avais marre d’être jolie tous les jours. Aujourd’hui, je suis moche tous les jours, ça rattrape le temps perdu ! » déclara-t-elle plus tard avec son franc-parler caractéristique.
Elle se retire dans ses propriétés — La Madrague et La Garrigue à Saint-Tropez, son appartement rue de la Tour dans le XVIe arrondissement de Paris, et Bazoches-sur-Guyonne qu’elle légua à sa fondation. C’est là qu’elle se consacre entièrement à la cause animale, créant en 1986 la Fondation Brigitte-Bardot dont elle demeura la présidente jusqu’à sa mort. « Si je n’avais pas ma fondation et les animaux, je serais morte », confia-t-elle. Dans le même temps, elle commence à livrer ses opinions politiques. Gaulliste, chiraquienne, elle épouse de plus en plus la rhétorique de l’extrême-droite, abimant sa réputation définitivement. BB est ainsi scindée en deux. L’actrice populaire (mais qui ne sera jamais la grande comédienne qu’elle aurait voulu être) et la femme controversée. Une française insoumise jusqu’au bout. Mais pourquoi tous ces propos xénophobes et homophobes? Pourquoi s’être renfermée sur elle-même au point de devenir le symbole d’une France rance quand ona été l’égérie d’une France libre?
Reste les animaux. À une époque où l’écologie et le vivant n’étaient pas un sujet de société, elle a été persévérante pour les défendre. Militante intransigeante, elle publia plusieurs ouvrages sur la cause animale : Noonoah, le petit phoque blanc (1978), Un cri dans le silence (2003), Pourquoi ? (2006), Mes as de cœur en collaboration avec François Bagnaud (2014), et Larmes de combat avec Anne-Cécile Huprelle (2018). Elle livra également ses mémoires en deux tomes : Initiales B.B. (1996, réédité en 2020) et Le Carré de Pluton (1999). Quelques mois avant sa disparition, elle publia Mon BBCdaire, illustré par Ayoub Bougria, ultime témoignage de son engagement animaliste.
Un héritage indélébile
« Je ne suis pas quelqu’un qui fait semblant. Je ne compose pas. Jamais. Lorsque j’ai quelque chose à dire, je le balance. Et je n’y vais pas par quatre chemins », disait-elle. Cette authenticité brutale, cette refus du compromis caractérisèrent toute son existence.

Brigitte Bardot laisse derrière elle bien plus qu’une filmographie ou une discographie. Elle incarne une révolution culturelle, invente les concepts de femme-enfant et de people, transforme Saint-Tropez en lieu mythique, attire les paparazzis en France. Elle a été la première « beauté de caractère », celle dont les « traits épais » auraient « condamné une autre » mais qui lui donnèrent « quelque chose d’unique et de vrai qui la rend exceptionnelle », selon les mots de son amie Christine Gouze-Rénal.
« La beauté, c’est quelque chose qui peut être séduisant un temps, ça peut être un moment de séduction. Mais l’intelligence, la profondeur, le talent, la tendresse, c’est bien plus important et ça dure beaucoup plus longtemps », aimait-elle rappeler. La Fondation Brigitte-Bardot, dont elle fut la fondatrice et la présidente, poursuivra son combat pour la protection des animaux. Avec quelques films et de bonnes chansons, c’est ce qui restera de BB. Lointains vestiges d’une femme émancipée.
