« Lumière ! L’aventure continue » : une exploration fascinante des origines du cinéma

« Lumière ! L’aventure continue » : une exploration fascinante des origines du cinéma

Il y a neuf ans, Thierry Frémaux nous émerveillait avec Lumière ! L’aventure commence, œuvre hybride entre documentaire, films antiques, discours pédagogique et musique de Camille Saint-Saëns. À travers 108 films des frères Lumière, on nous racontait la naissance du 7e art.

Lumière ! L’aventure continue est une expédition similaire. À peu près le même nombre de films, dont deux inédits en 75mm, soit une infime portion de la production des frères Lumière et de leurs opérateurs, et pour accompagner ce récit la musique de leur contemporain, Gabriel Fauré.

Globalement, le propos est identique. Thierry Frémaux varie légèrement le sens de ce travail fantastique mêlant restauration de vieux films de 50 secondes et assemblages thématiques servant à mieux décrypter l’image.

Cette fois-ci, il s’agit de montrer comment est né le cinéma, en tant que spectacle destiné au public. De manière ludique, on suit parallèlement les péripéties d’un art en formation et d’un divertissement en gestation.

130 ans après la sortie d’usine de Monplaisir, ces films courts et silencieux n’ont rien perdu de leur charme et de leur valeur artistique. Le spectateur voyage ainsi en train ou en bateau, à New York, Venise, Alger, Vienne, Genève, ou au Japon, en Allemagne et à travers la France. Nous observons ces gens, des gens comme nous, tout juste vêtus différemment, dans leur travail ou leur quotidien familial, flânant ou jouant, au milieu des foules ou en représentation. Les chevaux, les chiens, et même un chat, sans doute le premier félin star d’une cat-video, s’invitent à l’écran. C’est un film aussi ethnologique et historique que sociologique et anthropologique.

Ça tourne!

Si vous n’avez pas vu le premier film, ce n’est pas grave. Ses idées essentielles sont de nouveau énoncées dans ce second opus. Notamment, celle de l’invention d’un langage, avec sa propre grammaire technique et son vocabulaire visuel. Toutes les fondations sont posées : le remake, le gag, les trucages, les travellings (nota bene : ne manquez pas le splendide travelling arrière dans la ville blanche), la plongée et la contre-plongée, le rythme, le scénario, la multiplicité des actions, ou encore la perspective, le cadrage, la profondeur de champs, l’action en arrière-plan, etc.

Finalement, hormis les nouvelles techniques, les diverses esthétiques selon les époques et le jeu des interprètes, pas grand chose n’a bougé depuis ces temps anciens.

Tout cela était déjà raconté. Mais en composant un nouveau puzzle, Thierry Frémaux varie l’angle, décalant légèrement son cadre, éclairant différemment son sujet. Et c’est tout aussi somptueux et hypnotisant. Sa connaissance du cinéma lui permet évidemment d’enrichir son propos sur l’influence des films des Lumière. Il cite ainsi Rossellini, Visconti, Pialat, Ford, Godard, Ozu (en exhumant un formidable film d’un diner nippon à hauteur de tatami), Vigo, Bresson, Ackerman, Varda, Kiarostami, Gance, Griffith, etc. Et en effet, ressurgissent devant nos yeux des plans fameux de ces cinéastes illustres qui rendent hommage aux inventeurs lyonnais. De même, il souligne les références picturales – Turner, Manet, Renoir, Caillebotte, Luce, Millet et tant d’autres – des premiers films mis en boîte.

Clap clap clap

Mais il y a un chemin long et incertain entre un numéro filmé par une petite équipe pour quelques curieux adeptes de spectacles innovants et une industrie artistique mondialisée et collective. Ainsi, Frémaux raconte les aléas de leur « cinématographe », boîte enregistreuse d’images en mouvement qui fonctionne en tournant une manivelle. D’où le mot tournage. Non seulement il faut que le visionnage sur écran s’impose mais il est tout aussi nécessaire d’attirer du public.

Pour cela, les prises de vues réelles à hauteur d’hommes ne suffisent pas. Il faut imaginer des gags, souvent issus du cabaret et du cirque, attendrir avec des scènes familiales, créer des sensations en mettant la caméra à un endroit inhabituel ou en cadrant avec justesse une séquence spectaculaire, changer notre représentation du monde en filmant des contrées éloignées, et changer notre regard sur nous-mêmes en observant nos gestes et nos allures.

Le cinéma est une promesse esthétique mais aussi un art où les points de vue s’interpellent. Le spectateur n’est jamais passif. Le talent de ces primo-cinéastes est bien de le captiver. Car, reconnaissons que les équipe des Lumière savaient y faire. Pas étonnant dans ce cas que le cinéma soit devenu si populaire. Ainsi cette chevauchée filmée en plan fixe et qui s’approche progressivement de nous. Ou ce plan large sur sept hommes en costumes sombres, alignés, avec en arrière plan l’immense bâiment blanc de l’exposition universelle. De vraies scènes de western.

Et la lumière jaillit…

Telle une carte postale arrivée après quelques décennies, le film modifie notre perspective, notre regard, notre implication. À l’instar de ce que les Lumière souhaitaient : une autre vision, une autre promesse du monde, comme l’écrivait Blaise Cendrars quelques années plus tard.

Un monde en perpétuel mouvement, magnifié dans toute sa beauté, avec ses vues panoramiques, sa poésie, son humanité, son humour, ses maladresses… . Un monde où le réel a, par la suite, été souvent manipulé. Les Lumière ont préféré une forme d’art brut. Où même l’erreur a droit de cité. Où la spontanéité l’emporte parfois sur la perfection. C’est le principe du wasa-sabi, soit un objet ou un sujet dont la beauté est liée à ses imperfections et ses fêlures. Le cinéma se mue alors en art du kintsugi, qui consiste à souligner les failles avec de l’or. De ces fissures jaillit une lumière singulière, tout autant qu’elle accomplit son rôle : nous envoûter.

Dans le prolongement des impressionnistes, cette nouvelle écriture de l’image s’allie gracieusement avec une chorégraphie de la réalité. Les choses de la vie ou plutôt la simplicité des choses en premier plan, devant des lignes de fuite où le noir et le blanc se transcendent en contrastes sublimes dignes des plus grands maîtres.

Pourtant de toute cette aventure continuelle, on retient essentiellement les visages de ces personnes disparues. Si loin, si proches. Leur espièglerie, leur fatigue, leur routine, leur dignité impriment la pellicule et impressionnent le spectateur. Avec la caméra, ils ont, inconsciemment, conjuré la mort. Ils existent encore. C’est la différence avec un tableau (représentatif) ou une photo (souvenir figé), illustrations artistiques défaillantes d’une existence. Le cinéma les rend vivants, et ces images éternelles montrent bien que l’aventure n’est pas terminée. D’autant qu’on a désormais tous les moyens techniques pour sauvegarder ces précieux films primitifs.