Cannes 2025 |  Caravane : le conte d’été de Zuzana Kirchnerová-Spidlova

Cannes 2025 | Caravane : le conte d’été de Zuzana Kirchnerová-Spidlova

Ester est mère célibataire d’un fils handicapé mental, David. Elle n’a qu’un seul petit rêve : passer deux semaines en Italie dans la maison de son vieil ami sans son fils. Au dernier moment, les plans changent et elle n’a d’autre choix que d’emmener David avec elle.

Voyage en Italie et à bord d’un mobile home. Zuzana Kirchnerová-Spidlova s’écarte des sentiers battus en suivant l’errance improvisée d’une mère, célibataire, et de son fils, handicapé, jusqu’au fin fond d’une Calabre aussi rurale que peu glamour.

Avec Caravan, la réalisatrice tchèque esquisse le profil d’une combattante, à la fois mère aimante et femme délaissée. Espérant passer de jolies vacances dans une villa cossue en bord de mer, elle ne se doute pas que le handicap de son fils va la marginaliser un peu plus de ce monde qui ne se soucie jamais d’elle. La mesquinerie des bourgeois, leur mépris de classe et leur condescendance abjecte la mettent au rancart. Elle dérange les gens trop rangés.

Rejetée par ces hypocrites qui ont oublié d’où ils venaient, elle s’en va. Coup de tête. L’aventure qui, en cours de route, lui font rencontrer une « fée » aux cheveux roses, une jeune femme libre et imprévisible, comme elle. Deux paumées, assumant leur aspect « cinglées ».

Mon fils, ma bataille

Dans cette première partie, dans la lignée du film de Paolo Virzi, Folles de joie, tout est vif et coloré, joyeux et insouciant. Autant dire que la cinéaste nous embarque avec aisance dans ce road-movie solaire et sociable. Le fils, élément a priori perturbateur, incontrôlable, apparaît tel qu’il est : émouvant, drôle, attachant. C’est le désordre dans un monde qui se veut sage et ordonné.

La mise en scène insiste sur les aspects les plus sensoriels : la chaleur sur la peau, les câlins complices, la brise légère. Ls dialogues sont réduits au minimum. Quelques plans font sourire comme ces trois plagistes allongés sur leur transat, lunettes de soleil vissées au nez, alors qu’on est en pleine nuit. On ressent l’esprit de liberté que veut insuffler la caméra…

Mais assez abruptement, Caravan change de registre. Plus il va au sud, plus les zones d’ombres émergent. Le récit se recentre sur la mère, de plus en plus épuisée, comme si le fils devenant finalement encombrant, comme si, pour son épanouissement, elle avait besoin de retrouver cette liberté, sans attachement.

« Je ne sais pas si je vais tenir le coup. »

C’est le plaisir gênant qui l’envahit quand elle touche le pénis bien raide et enflé d’un vieux fermier. C’est le plaisir coupable qui la comble quand elle fait l’amour avec son employeur éphémère, qui, au passage, exploite des immigrés clandestins.

Ma vie, ma liberté

Cette seconde partie, moins solide, plus relâchée dans l’écriture, ne parvient plus à donner corps à ses autres personnages, lâchés en pleine nature, sans que l’on sache vraiment ce qui leur advient. Et tandis que le cadre devient plus rustre et même grisâtre, la lente dérive de la mère n’est accompagnée d’aucun événement pour nous captiver complètement. Il faut l’épilogue, assez furtif, qui surgit de nulle part, pour comprendre que cette femme accepte de refermer la parenthèse, résignée à rester « la mère de ».

Aňa Geislerovà trouve ici un rôle formidable à la palette très large dans ce film dichotomique. Mais son seul talent ne suffit pas à combler les quelques trous dans le scénario. Le rythme s’alanguit bien trop et le fil conducteur perd de sa consistance. Plus la fin de l’été approche, plus on perçoit un montage de séquences qui s’entrechoquent un peu trop brutalement, sans fluidité, laissant presque un goût d’inachevé.

Au-delà de ce portrait d’une femme qui se maintient coûte que coûte en équilibre, il reste le tableau d’une Europe des déclassés, où cohabitent ceux qui tentent de survivre et ceux qui se sentent exclus, dont cette femme en sera l’incarnation symbolique. En cela, ce voyage en caravane n’est pas vain, et expose de façon sensible la condition d’une mère isolée.

Caravane (Karavan)
Cannes 2025. Un certain regard.
Durée : 1h40
Réalisation : Zuzana Kirchnerová-Spidlova
Scénario : Zuzana Kirchnerová-Spidlova, Tomáš Bojar
Distribution : Les alchimistes
Avec Aňa Geislerovà, David Vostrčil, Juliana Olhová