

Trois longs métrages, trois sélections prestigieuses dans un grand festival international : Carla Simon peut se targuer d’un palmarès que certains cinéastes chevronnés n’obtiendront jamais. D’autant que pour sa première fois en compétition à Cannes (avec le film Romería), la réalisatrice catalane arrive toute auréolée de l’Ours d’or qu’elle a gagné en 2022 à Berlin pour son 2e long métrage Nos soleils – 5 ans exactement après le prix du meilleur premier film obtenu également à la Berlinale avec Été 93.
Si c’est à cette occasion que la planète cinéphile avait globalement découvert la cinéaste, elle a auparavant réalisé plusieurs courts, et n’a d’ailleurs jamais totalement arrêté : deux films expérimentaux aux Etats-Unis, cosigné avec Marco Businaro : Women (2009) et Lovers (2010), puis deux autres films à Londres : Born positive (2012) et Lipstick (2013), et enfin Las pequeñas cosas (2015), Llacunes (2016), Et après (2019), Correspondencia avec Dominga Sotomayor (2020) et Carta a mi madre para mi hijo (2022).
Démarche personnelle

Ce qui hante son œuvre, c’est tout d’abord son histoire personnelle : la mort de ses parents à cause du VIH lorsqu’elle était enfant. Elle raconte partiellement cet événement fondateur dans Été 93, mais il infuse d’une manière ou d’une autre la majorité de ses films. De manière évidente, lorsqu’elle réalise un documentaire sur des jeunes nés avec le VIH (Born positive) et une fiction sur un jeune homme apprenant qu’il a le VIH (Et après) ou s’adresse directement à sa mère et parle d’elle à son fils à naître dans le très intime Carta a mi madre para mi hijo (Lettre à ma mère pour mon fils), ou encore s’appuie sur des lettres écrites par la défunte (llacunes). Faisant un pas de côté, et en lien avec la mort de son grand-père, Lipstick et Las pequenas cosas mettent quant à eux en scène des enfants confrontés à la mort d’un grand-parent.
De manière générale, la cinéaste a à cœur de parler de choses qui lui sont proches, ou qui l’interrogent, dans une démarche volontairement personnelle. Été 93, qui raconte comment la petite Frida renaît lentement à la vie lorsque son oncle et sa tante l’accueillent après la mort de ses parents, assumait sa part autobiographique mâtinée de fiction. Dans Nos soleils, c’est une démarche presque documentaire qui l’anime, en s’attachant à une famille de cultivateurs chassés de leur terre par les ravages du capitalisme. Elle filme à Alcarras, dans la province de Lleida en Catalogne, là où ses oncles cultivent eux-aussi des pêches. Elle tourne par ailleurs avec des comédiens non professionnels, et raconte une histoire tristement banale : celle de personnes qui ne peuvent plus vivre de leur travail, et sont chassés des terres qu’ils ont entretenues pendant des dizaines d’années.
Chef de file du jeune cinéma espagnol
Dans les deux films, on retrouve un goût pour une narration ténue et une cinématographie sensorielle, et le désir de capter les petits riens du quotidien, souvent à hauteur d’enfant. Une démarche à la fois naturaliste et intimiste qui brosse un portrait coloré et complexe des microcosmes auxquels elle s’attache, dans les deux cas des familles avec leur propre mécanique interne, traversées par des multitudes d’émotions, et laissant à distance les rebondissements dramatiques et les acmés spectaculaires. Ce regard aigu et précis qu’elle porte sur ce qui l’entoure lui vient de sa mère, qui l’incitait, enfant, à faire attention à tout ce qu’elle voyait. On peut s’attendre à ce que Romería, qui suit une jeune fille adoptée devant renouer avec une partie de sa famille biologique, s’inscrive dans la même veine.
En seulement deux longs métrages, la cinéaste s’est ainsi imposée comme l’une des représentantes incontournables de ce jeune cinéma espagnol (souvent féminin) qui est parmi les plus dynamiques d’Europe, et cherche à raconter à la juste distance des histoires personnelles, ne se laissant pas tenter par les sirènes d’un cinéma performatif et ostentatoire. On rapprochera ainsi le travail de Carla Simon de celui de quelqu’un comme Estibaliz Urresola Solaguren qui, avec 20 000 espèces d’abeilles, empruntait des chemins similaires pour parler elle aussi de famille, de transmission et d’identité. Excellente nouvelle, donc, de retrouver Romería au firmament du cinéma mondial.
Fiche technique
Romería de Carla Simon (2025)
Avec Llúcia Garcia, Mitch, Tristan Ulloa, Alberto Gracia...
Distribution : Ad Vitam