Jurassic World : Renaissance, un bon blockbuster coincé dans une franchise qui n’évolue pas

Jurassic World : Renaissance, un bon blockbuster coincé dans une franchise qui n’évolue pas

Deuxième reboot, ou troisième série, pour la franchise Jurassic Park. 32 ans après l’arrivée des dinosaures sur les grands écrans, le succès est toujours là. Pourtant, hormis les deux premiers films réalisés par Steven Spielberg, la qualité a été plutôt variable, voire déclinante. Après un troisième Jurassic Park insipide, on nous a donc inventé un Jurassic World, qui a suivi la même courbe descendante : un premier opus rafraîchissant mais peu charismatique, le suivant moins convaincant, et un dernier à la limite du n’importe quoi.

Que faire de ces plus ou moins grosses bébêtes imaginées par Michael Crichton? Les producteurs et détenteurs des droits ont décidé de tout remettre à zéro. Un reset plutôt qu’un reboot. On ne revient pas aux origines, dans les années 1990. Nous sommes bien trois décennies plus tard. Les pauvres dinos n’en mènent plus large. Le dérèglement climatique, l’activité très polluante des humains, sans compter leur désintérêt pour ces « monstres » devenus ringards : tout les a contraint à (sur)vivre à l’écart des populations, autour de l’Equateur, là où la météo leur est encore familière.

On ne pourra jamais revivre la première impression d’émerveillement devant les diplos et de frayeurs avec les T-Rex (deux sensations plagiées dans ce Jurassic World : Renaissance). C’est toute l’enjeu de cette franchise : comment passionner le spectateur, à la fois blasé par les effets visuels et sollicité par d’autres récits héroïques ?

Retour aux sources

En rappelant David Koepp, scénariste des deux premiers films (mais aussi des deux derniers Indiana Jones et de La guerre des mondes), on pouvait croire qu’une véritable renaissance était possible.

De fait, Koepp revient aux basiques. Un prologue à la Spielberg (la plus grande menace n’est que « teasée »), une mécanique exploratrice (une île tropicale hostile et interdite), un groupe d’innocents plongés malgré eux dans une aventure possiblement fatale, un quatuor baroque (deux mercenaires, un scientifique, un capitaliste qui ne compte pas les dépenses), un final avec le dinosaure le plus terrifiant. Sans oublier la multiplication des clins d’œil aux six films précédents pour faire plaisir aux fans.

« – Joli tir! – Jolie fusée! »

Mais c’est là que la saga atteint sa limite. Une renaissance, sans aucun doute, mais point de révolution. Comme si les récits jurassiques étaient piégés par l’ADN crichtonien, à l’instar d’un moustique figé dans l’ambre. Il n’y aurait donc rien d’autre à raconter avec ces dinosaures que cette coexistence périlleuse avec les humains (même si là ce sont les homo sapiens qui leur cherchent des noises), où la chasse à l’espèce en voie d’extinction – les dinos – se transforme en traque de l’espèce menacée – les homos.

Nouvelles têtes, nouveaux monstres

Aussi n’est-on jamais surpris par le phasage du script. Prologue qui préfigure le final, installation des enjeux et des personnages, quête dangereuse des trois types de dinosaures, tentative d’échapper à une mort certaine. Au passage, quelques innocents (secondaires) y laisseront leur os pour bien révéler la cruauté de ces animaux préhistoriques (qui n’ont rien demandé depuis leur disparition) et l’imprévisibilité des situations.

Jurassic World : Renaissance ne cherche même pas à faire le lien avec les films qui l’ont précédé. Aucun personnage n’a connu les héros de Jurassic Park ou Jurassic World. On réinvente une tribu. C’est l’aspect le plus rafraîchissant du film : son casting. Scarlett Johansson parfaite en Lara Croft qui n’a pas froid aux yeux, Jonathan Bailey en paléonthologue aussi inadapté que ces actrices glamour malmenées par les films d’aventures hollywoodiens et le quinqua oscarisé Mahershala Ali dans le rôle inattendu d’un mercenaire filou au grand cœur forment un trio aussi attachant que qualitatif. On revient à de très bons comédiens (comme à l’ère Spielberg), qui ont à défendre des relations interpersonnelles et des tempéraments moins stéréotypés que dans la plupart des blockbusters récents. Ici, pas de romance, mais de l’amitié et de la solidarité d’un côté (le groupe « officiel ») et une famille bancale mais soudée de l’autre (les « clandestins » pas prévus).

Si bien que la mégaproduction estivale oscille entre le convenu et le vintage, l’efficacité technique et un découpage très classique. Divertissante de bout en bout. Il y a tous les ingrédients pour un spectacle familial transgénérationnel : des personnages un peu dingues, une pincée de dérision, des dinos « freaks » (comprendre des expériences ratées, comme ce D-Rex, mix d’Alien et de Predator), de l’action, … tout ce qu’on a déjà eu dans les Jurassic Park / World. Un show copié sur les autres, exploitant jusqu’à l’usure son concept dont il ne parvient pas à s’émanciper.

Au fur et à mesure des obstacles et épreuves, on se fiche même de l’intrigue (fabriquer un médoc pour éliminer les maladies cardiaques). Les héros et accompagnateurs délivreront alors un message progressiste (pour ne pas dire socialiste) au milieu de ce barnum ultra-capitaliste (exploitation, colonisation, vampirisation, cupidité, orgueil, etc.).

Récit à l’ancienne

Gareth Edwards n’a pas lésiné ni sur le fantastique ni sur l’imaginaire. En bon élève de Spielberg, sans qu’il n’y mette réellement sa touche personnelle, il nous offre quelques séquences formidables. Mentions spéciales au chapitre en pleine mer, qui n’est rien d’autre qu’une réplique puissance 1000 de la seconde partie des Dents de la mer (50 ans déjà et toujours aussi fondateur), et à celui vertigineux à flan de falaise (qui, hélas s’achève dans un sale raccord espace-temps complètement incohérent, et donc ridicule). Le cinéaste pille aussi du côté de Destination finale (version soft), King Kong (sans les sentiments) et Indiana Jones. Grâce au scénario de Koepp, il peut délivrer un film bon enfant, presque naïf, tout en évitant le simplisme de Jurassic World.

De fait, ce Renaissance résonne comme un retour aux origines. Les moments de tension (à défaut d’une émotion complexe), la confrontation au monde sauvage (à l’opposé de celui des dinos domestiqués pour nos loisirs), et le retour de sensations cinématographiques plus traditionnelles (le hors-champs peut s’avérer bien plus terrifiant qu’un plan frontal) permettent au film de se rapprocher du Jurassic Park de 1993. Ce n’est pas rien.

Et d’ailleurs, dans les deux premiers tiers du récit, on se laisse facilement embarquer dans ce film qui passe de Moby Dick à Delivrance. Transformer le blockbuster en thriller survivaliste s’avère la véritable réussite du projet. De même Edwards parvient à allier une forme d’aventure « innocente » avec quelques moments dramatiques suffisamment intenses pour nous rappeler que nous ne sommes pas au pays de Candy ou des Bisounours ou de Denver.

« – Cet océan est à nous! »

À défaut de surprendre ou d’épater, ce Jurassic 7 surfe sur cette hype d’un retour au film d’été fédérateur, qui parle autant aux boomers qu’aux millenials ou à la Gen Z (d’où le cast). Il charme par son authenticité, s’amuse de sa propre mythologie et assume son côté rétro. Il propose une bonne vieille histoire déjà vue, satisfaisant les nostalgiques, même s’il frustre par son manque de singularité ou d’audace.

Une fin qui laisse sur la faim

Pour preuve ce dernier quart, ce « grande finale » qu’on aurait aimé un peu plus nerveux et surtout moins baclé. Bref un dernier quart qui aurait mérité un quart d’heure de plus. Alors que le film savait prendre son temps pour faire monter la pression, tout en laissant de la place à un peu de psychologie, tout s’accélère dans un synchronisme aussi hasardeux que mal emboîté. Si le réalisateur réussit à fluidifier toutes les situations (là encore certaines sont des redites des opus antérieurs), elles se dilluent dans un trop grand nombre d’actions sur un mode binaire (l’héroïne a son moment de gloire, le salaud est séparé du groupe).

Si bien qu’aucune d’entre elles ne nous scotche au siège. On attend juste que les humains s’en sortent ; certains allant plus vite en courant dans un tunnel qu’un autre qui, dans une voiture à pleine vitesse et pourtant parti bien avant, arrive à « bon port » après eux. Ha, si! Il y a peut-être ce twist autour d’un des personnages principaux. Le sacrifie-t-on? Ou pas? Trop cher pour une suite? Ou pas?

« – Qu’est-ce qu’on fait maintenant? – Essaie de pas crever. »

Il y a une autre raison à la lassitude éprouvée. Au fil de ces deux heures, le spectateur anticipe de mieux en mieux l’issue des scènes. Une longueur d’avance dont la cause est un tic de mise en scène (ou une absence de créativité). Ainsi, la caméra se concentre souvent sur un personnage au premier plan quand une forme menaçante se déplace en arrière plan. On devine également le chaos que va engendrer un emballage de sneakers qui virevolte dans l’air… Parfois c’est drôle (comme lorsque Xavier pisse en pleine jungle – quelle idée d’aller uriner si loin – alors qu’un dino s’approche), parfois c’est ingénieusement elliptique (la victime sur la plage), mais souvent c’est trop visible pour qu’on soit « choqué ».

Si bien qu’à la fin, en plein carnage, on est un peu repus de tous ces croque-monsieurs (et croque-madame). Il nous manque une bonne dose d’adrénalyne pour nous émoustiller et nous maintenir en haleine. L’ultime bataille manque de suspense et le scénario ne prévoit ni stupeur ni tremblement.

Pourquoi changer une formule rentable?

Au moins, la morale est intéressante et une suite permettrait d’approfondir ce droit à exister des dinos, même ceux qui sont ratés ou trop laids pour séduire le public. Plaidoyer pour la biodiversité, critique sur la financiarisation de la science tout comme sur l’appropriation de la nature, il aurait pu être davantage subversif.

Malheureusement, on ne bouleverse pas une recette qui rapporte. Oui, les dinos doivent vivre en paix, non ils ne sont pas tous des ennemis, mais surtout il faut pouvoir en tirer profit. Aussi, la plupart des dinos se doit de dévorer les gens. Mais on invente un gentil Aquilops – un herbivore de la taille d’un chiot – , qu’on adopte et qu’on nomme Dolores. Dolores est le dino parfait : il ne mange pas les gens et il peut se décliner en peluche pour Noël.

La renaissance à Hollywood est donc toute relative. Celle de la franchise Jurassic aussi. Cet épisode, même en s’approchant de la qualité narrative des premiers films, n’apporte rien de neuf à la série. Un peu comme un upgrade dont on ne voit pas trop les nouveaux atouts. En tout cas, ni David Koepp, sans doute trop attaché aux premiers films, ni Gareth Edwards, sans doute trop impressionné par l’idée de succéder à Spielberg, ne démontrent qu’ils ont une vision pour la « marque » Jurassic Park/World. Clairement, on espérait une toute nouvelle direction. Or, on réalise qu’on a opéré un demi-tour.

Heureusement, le plaisir, pas si coupable, est au rendez-vous.

Jurassic World : Renaissance (Jurassic World Rebirth)
2025
2h14
En salles le 4 juillet 2025
Avec Scarlett Johansson, Mahershala Ali, Jonathan Bailey, Rupert Friend, Manuel Garcia-Rulfo, Luna Blaise, David Iacono, Audrina Miranda, Bechir Sylvain, Ed Skrein...
Réalisation : Gareth Edwards
Scénario : David Koepp, d'après l’œuvre de Michael Crichton
Musique : Alexandre Desplat
Image : John Mathieson
Distribution : Universal International Pictures