
C’est bien évidemment à Cannes, dans la section Cannes Classics, que ce documentaire inédit sur Bo Widerberg se devait de faire sa première, comme une manière de revenir aux sources de sa reconnaissance internationale. Le cinéaste suédois a en effet souvent eu les honneurs de la croisette, où il a présenté son deuxième long métrage Le Quartier du corbeau (1964), avant de revenir régulièrement pour Elvira Madigan (1967, prix d’interprétation féminine pour Pia Degermark), Ådalen 31 (1969, Grand prix spécial du jury), Joe Hill (1971, prix du jury ex-aequo), Victoria (1979) et Le Chemin du serpent (1987).
Réunissant des extraits de son oeuvre, des archives et des témoignages recueillis auprès de ses proches et collaborateurs, le film de Jon Asp et Mattias Nohrborg nous invite à redécouvrir la personnalité et la vision de celui qui parvint à se hisser au firmament du cinéma suédois – malgré l’ombre écrasante d’Ingmar Bergman. On découvre justement au fil du documentaire son ressenti (particulièrement tranché) vis-à-vis du cinéma suédois de l’époque, ainsi que son ambition de marcher dans les pas de la nouvelle vague française pour porter à l’écran les réalités de la société suédoise.
Lui-même critique de films au début des années 60, en parallèle d’une carrière d’écrivain qui bientôt ne lui suffit plus, Bo Widerberg a rapidement une très haute idée de l’outil cinématographique, dont il voit le plein potentiel pour relayer ses idées esthétiques comme politiques. Dès Le pêché suédois (1963), son premier long métrage, il marche dans les pas de la Nouvelle Vague, et s’essaye à des audaces formelles (caméra qui tourne sur elle-même, angles de vues atypiques, récit ultra elliptique, images qui se figent, zooms…) qui donnent d’emblée un ton extrêmement libre au récit. Son propos est également d’une grande modernité : son héroïne choisit la voie de l’émancipation et décide d’élever seule son enfant tout en gardant le géniteur comme un « sex friend » avant l’heure.
Un cinéaste de principes

Il met aussi beaucoup de lui-même dans ses films (et n’hésite pas à y impliquer sa famille, à l’image de son fils Johan qui est l’interprète principal de La Beauté des choses), et tente en parallèle d’appliquer dans sa propre vie les principes exposés par son cinéma. L’une des (nombreuses) anecdotes qui émaillent le documentaire rappelle par exemple qu’en 1969, le cinéaste avait refusé d’assister à la projection officielle d’Ådalen 31 parce que certains des membres de son équipe s’étaient vus refoulés à l’entrée en raison de leur tenue vestimentaire (la dictature du fameux dress code cannois, déjà à l’époque !). Entre les lignes, et parfois même de manière relativement frontale, émerge ainsi l’image d’un homme au caractère entier, peu enclin à la concession ou à la tiédeur, entièrement porté par son art et ses convictions, et en perpétuelle quête d’une forme d’absolu artistique. Mais aussi – justement en raison de son engagement permanent – une figure attachante et sincère, dont la complexité est indissociable du talent.
On pourra trouver un brin démonstrative (et sans réelle surprise) l’élégie faite par les différentes personnalités présentes dans le film, d’Olivier Assayas à Lars von Trier, en passant par Ruben Östlund, Tarik Saleh et Mia Hansen-Løve, mais cela fait partie dans une certaine mesure des codes du genre, name dropping compris. À la fin, on aura surtout envie de se replonger dans l’oeuvre du cinéaste (dont certains films, ressortis au mois de juin, sont toujours à l’affiche), preuve que Jon Asp et Mattias Nohrborg ont parfaitement atteint leur but.
Fiche technique
Being Bo Widerberg de Jon Asp et Mattias Nohrborg (2025)
Avec Tommy Berggren, Jan Troell, Olivier Assayas, Ruben Östlund, Tarik Saleh, Mia Hansen-Løve... 1h45
Sortie française : 2 juillet 2025
Distribution : Malavida
Mis à jour le 1er juillet 2025