
Au bord du burn-out, le célèbre acteur de cinéma Jay Kelly entreprend un voyage qui va s’avérer introspectif. À travers l’Europe avec son staff et son fidèle manager, Ron, il cherche à se reconnecter à la vie réelle et doute de ses choix passés.
Noah Baumbach, cinéaste existentialiste? Au fil de ses œuvres, l’individu, seul, en couple ou en famille, est à chaque fois confronté à une remise en question.
Jay Kelly ne fait pas exception et représente même l’acmé de cette situation. Jay Kelly c’est le nom d’une star qui se sent vieille, usée, fatiguée. Le film débute par la fin d’un tournage. Un clap de fin pour un acteur qui pense toujours pouvoir faire mieux à chaque prise… Même quand il doit jouer sa mort dans un film qu’on devine noir.
Baumbach ne s’intéresse pas vraiment à Hollywood, même s’il se moque gentiment de ces stars entourées d’un aréopage de gens – agent, relations publiques, juridique, coiffure, maquillage, jardinier, etc. – dépendant de sa fortune et de sa gloire. Le genre d’acteur incapable de voyager autrement qu’avec douze malles de luxe. Pourtant, le réalisateur ne méprise personne dans cette virée européenne (Paris, Pienza en Italie). Chacun va vouloir reprendre sa liberté et le film rend hommage à ses petites mains qui finalement n’ont plus de vie en dehors de cette servitude consentie au système hollywoodien.
Jeux de dupes

Mais JK est aussi au bout du rouleau. « J’en peux plus de ce monde. J’ai envie de lâcher la barre. J’ai vécu la fin avant la fin ». Un burn-out qui rappelle l’un des plus beaux rôles de George Clooney, celui de Ryan Bingham dans Up in the Air. De la même manière, il fait le bilan, plutôt passable. Il n’a pas vu grandir sa cadette, parfaite jeune fille progressiste des temps modernes. Il n’a plus de lien avec sa fille aînée, partagée entre sa rancœur d’avoir été sacrifiée par la carrière de son père et une vie à des années lumière du cinéma. Il ne fait plus vraiment attention à tous ceux qui le protègent et lui permettent de vivre dans ce confort oisif entre deux films. Le temps passe vite, et on manque de temps.
Une crise existentielle de la soixantaine. Elle se déclenche en plusieurs étapes. Mais le véritable déclic se produit quand le cinéaste qui l’a révélé meurt (Jim Broadbent) et qu’il croise aux funérailles son ancien coloc et ex-meilleur ami (Billy Crudup, épatant dans ce rôle furtif). Deux événements qui font remonter le passé à la surface, des origines hasardeuses et injustes du succès à la double culpabilité, celle d’avoir pris la place d‘un acteur né pour le métier et celle d’avoir refusé le rôle de ce qui aurait été le dernier film de son mentor.
Ticket to Paradise
Pour ce film, Noah Baumbach décide lui aussi de prendre l’air. Plutôt que de s’enfermer dans le microcosme de Los Angeles, il se sert d’un prétexte pour que l’acteur effectue une retraite (plutôt que de prendre sa retraite) façon « Eat Play Love ». Une introspection rocambolesque qui force tout le monde à se regarder dans le miroir.

Derrière cette fausse « screwball comedy », le réalisateur réalise à la fois le portrait d’un « player » qui amorce sa période crépusculaire, le tableau d’un groupe iconoclaste, tous âges confondus, qui ne supporte plus d’être exploités ou assignés à un rôle, et la photo d’un duo interdépendant professionnellement, amicalement, affectivement, l’acteur et son manager (Clooney et Sandler respectivement). La narration, classique, s’appuie sur des flash-backs et des situations parfois absurdes. Cela n’en fait pas un film burlesque pour autant. Jay Kelly est plutôt chic et divertissant.
Cet alliage de tonalités compose la teinte réelle de ce film en apparence léger. Une profonde mélancolie se répand tout au long du récit, qui tantôt file à toute à l’allure, tantôt s’octroie des jolies pauses, comme cette ballade onirique en forêt. La réalisation est soignée, et cherche même quelques audaces visuelles pour la tirer vers le haut.
Intolérable cruauté
Plus que le rapport entre réalité et cinéma, entre routines quotidiennes de la classe moyenne et vie hors-sol d’une élite semi-divine, Baumbach s’intéresse à la relation humaine : comment elle se distend, comment elle peut se créer de manière fulgurante, … La survie sociale, l’incompréhension, la confusion des sentiments s’entremêlent dans ces liaisons malheureuses. Tous sont vulnérables, au bord de la crise de nerfs. Plutôt que nous emporter dans leurs excès, il ramène ce petit monde baignant dans l’irréel à une forme de réel.

Et c’est ce qui rend ce film si attachant. On peut toujours philosopher sur l’insatisfaction, les frustrations, les destinées, les rivalités, ou sur la dépossession (l’acteur est avant tout une marque, le talent ne suffit pas, etc…) et la cruauté de ce monde. Mais Jay Kelly est avant tout un composite sur les névroses qu’on trimballe et un puzzle d’une flopée de gens dysfonctionnels. Une sorte d’affaire toxique générale qui empoissonne chacun.
George Clooney, flambant vieux rayonnant, est le meilleur choix possible pour un tel film. Pas seulement parce qu’on a l’habitude de le voir en chef de bande solitaire et qu’il impose immédiatement son charisme naturel. Il sait aussi insuffler la dose d’émotion et de justesse nécessaires pour rendre son personnage plus humain que star. Tout comme Adam Sandler, dont on sait le talent quand il sort de son registre comique, scindé en deux, quitte à être submergé par son job de manager investi et confronté à ses incompétences en tant qu’époux et père.
Hors d’atteinte
Le temps passe vite, et on manque de temps. Baumbach est alors tenté de faire quelques pauses dans cette cavalcade sans issue. Dans une cuisine, sur une terrasse, au milieu de la foule pour danser… il y a quelques belles respirations très carpe diem et dolce vita. De quoi redonner de l’oxygène à un homme qui cherche à s’échapper de sa cage et à trouver un sens à cette vie hors-normes. C’est un peu ce que traversent tous les « héros baumbachiens ».
Jay Kelly montre au final le prix à payer pour accéder au sommet, et y rester. Un sacrifice empli d’amertume et un brin désenchanté. Mais aussi un hommage à ceux qui nous rendent heureux à travers le cinéma, à commencer par les acteurs/actrices. L’épilogue, et ses clins d’œil amusants à la star sexagénaire, fait écho à celui de Cinema Paradiso. Le bonheur c’est simple comme un bon film. Le cinéma est un paradis artificiel essentiel. Quant à la vie… elle ressemble à un enfer pavé de bonnes intentions.
Jay Kelly
Venise 2025. Compétition.
2h12
Sur Netflix le 5 décembre 2025.
Réalisation : Noah Baumbach
Scénario : Noah Baumbach et Emily Mortimer
Musique : Nicholas Britell
Image : Linus Sandgren
Avec George Clooney, Adam Sandler, Laura Dern, Billy Crudup, Riley Keough,
Grace Edwards, Stacy Keach, Jim Broadbent, Patrick Wilson, Greta Gerwig,
Alba Rohrwacher, Josh Hamilton, Emily Mortimer, Isla Fisher, Charlie Rowe, Louis Partridge...
