Cannes 2021 | François Ozon, sage et digne adaptation du récit d’Emmanuèle Bernheim

Cannes 2021 | François Ozon, sage et digne adaptation du récit d’Emmanuèle Bernheim

Avec Tout s’est bien passé, en compétition au festival de Cannes, François Ozon filme l’histoire vraie de son ancienne coscénariste Emmanuèle Bernheim, en adaptant le résit de la fin de vie de son père. Il filme pour la première fois Sophie Marceau et André Dussollier.

Le film

L’histoire est assez simple : un vieil homme est victime d’un AVC qui le diminue soudainement. Tyrannique, narcissique, cruel, égoïste, il décide de vouloir en finir après une « belle vie ». Pas simple dans un pays où sauver un agonisant est un sacerdoce, et l’aide à mourir dans la dignité un chemin de croix semé d’embûches. Pour arriver à ses fins, il demande à l’une de ses filles, l’écrivaine, de l’aider « à en finir »., sans se soucier de la douleur intime qu’il lui impose.

Fiche technique
Tout s'est bien passé, 1h53 
En salles le 22 septembre 2021
Réalisation et scénario : François Ozon, librement adapté du livre Tout s’est bien passé d’Emmanuèle Bernheim (Gallimard)
Avec Sophie Marceau, André Dussollier, Géraldine Pailhas, Charlotte Rampling, Eric Caravaca, Hanna Schygulla et Gregory Gadebois
Distribution: Diaphana
En compétition au Festival de Cannes 2021

La critique

François Ozon contrôle ses films, de l’écriture au cadrage. Dans Tout s’est bien passé, on retrouve ses thèmes comme le sujet de société du moment (à l’instar de Grâce à Dieu), la mort et sa cohorte de fantômes (Sous le sable, Le temps qui reste), le père qu’il faut tuer (Sitcom, Huit femmes) et les pervers narcissiques (Dans la maison, Gouttes d’eau…), le personnage de l’écrivain (Swimming Pool), etc.

Et ajoutons à cela, son amour des actrices : Sophie Marceau est de quasiment tous les plans, la filmant dans son quotidien et ne loupant aucune de ses émotions, Géraldine Pailhas tient son rang en sœur mal aimée, Charlotte Rampling n’a besoin que de trois scènes pour comprendre son effondrement intérieur, et Hannah Schygulla est merveilleuse de douceur dans son rôle de « passeuse ».

François Ozon et Sophie Marceau sur le tournage de « Tout s’est bien passé »

Pourtant, le film nous laisse un peu à distance. Trop poli, trop lisse, trop sage sans doute. Ce n’est pas la faute du scénario. Le récit est parfaitement conduit de bout en bout, passant du drame familial banal à une forme de comédie ironique existentielle pour finir en faux thriller à suspense. Ce n’est pas la faute des interprètes. Si les comédiennes sont dans une registre attendu, André Dussollier (et dans une moindre mesure Grégory Gadebois, son amant esseulé et perdu) réalise une performance à l’américaine, volant chacune des scènes où il apparaît.

Tout s’est effectivement bien passé dans ce film, même si on ne ressent pas l’émotion voulue (avec un tel sujet, Mar Adentro et Quelques heures de printemps ont davantage tiré nos larmes). Ozon réalise un parfait film à thème sur un débat d’actualité, mais il lui manque de l’énergie, de l’audace, de l’imprévisibilité pour lui donner la vitalité nécessaire. On suit l’histoire comme on assiste à de belles funérailles, comme on nous raconte les derniers mois d’une vie après un long silence. On ne se souvient finalement que de la magnifique relation des deux sœurs ou l’entreprise de démolition verbale du père, qui ne manque pas d’humour, surtout quand il est involontaire. À La souffrance des filles, qui doivent obéir au désir de mourir de leur géniteur homosexuel et despote, s’ajoute leur résignation à subir la violence psychologique que ce mauvais père assène par moments. Le film prend finalement parce que ce père est loin d’être idéal.

Géraldine Pailhas et Sophie Marceau

L’humiliation est une constante chez Ozon. Ici, il lui donne de l’oxygène avec des anecdotes touchantes, des regards attendris et aimants ou des répliques caustiques. Cette forme d’humour noir qui nimbe ces humeurs sombres sauve le drame d’une morale trop pesante ou d’un pathos inapproprié, deux écueils habilement évités. Reste l’impression d’avoir passé un beau moment avec cette famille de névrosés tout en ne sentant pas vraiment concerné par leur querelles intimes.

L’écrivaine

Emmanuèle Berhneim (que joue Sophie Marceau) était la compagne de Serge Toubiana depuis 1987 (interprété dans le film par Eric Caravaca). Elle est morte en mai 2017 des suites d’un cancer.

Emmanuèle Bernheim

On lui doit six livres, notamment Sa femme, prix Médicis, Stallone, où elle raconte sa fascination pour l’acteur américain, et son amour du cinéma. Elle est aussi scénariste, au générique de Partir de Catherine Corisini, des Invisibles de Thierry Jousse, de Vendredi soir de Claire Denis et de quatre films de François Ozon : Sous le sable, Swimming Pool, 5×2 et Ricky. Fille du collectionneur d’art André Bernheim (André Dussollier) et de la sculptrice Claude de Soria (Charlotte Rampling), elle raconte le décès volontaire de son père dans Tout s’est bien passé, paru en 2013. Sur la fin de sa vie, elle travaille à une adaptation de ce récit personnel avec Alain Cavalier: Être vivant et le savoir, présenté à Cannes en 2019.

Le livre

Relativement fidèle au récit, même s’il a écarté ou synthétisé de nombreuses anecdotes et étapes du crépuscule du père, le film de François Ozon reprend l’idée de « la cavale » dans le temps éprouvée par l’auteure et racontée à la première personne, en filmant avant tout le point de vue de Sophie Marceau/Emmanuèle.

Tout comme le livre, le film ne s’embarrase pas de fioritures et suit le parcours du combattant des deux sœurs pour exaucer le vœu de leur monstre de père. L’écriture de Berheim et le cinéma de Ozon se répondent par le sens du rythme, la vivacité des scènes, et des paroles percutantes pour ne pas perdre de temps, peu importe si les coups font mal.

Si le cinéma réclame des larmes, le livre se fait un devoir de rester digne : aucun jugement, pas d’apitoiement, juste la force mentale, l’entraide et l’acceptation. Et comme le livre, le film n’est pas une grande œuvre mais avant tout un témoignage sensible pour un débat utile.

La réplique

« – Ça va coûter dans les combien ?

10000 euros et quelques, hors frais d’ambulances.

Je me demande comment font les pauvres.

Ils attendent leur mort.

Les pauvres… »