Cannes 2021 | Benedetta, malaise de chair et de sang

Cannes 2021 | Benedetta, malaise de chair et de sang

Paul Verhoeven, cinq ans après Elle, revient dans la compétition cannoise avec l’histoire vraie d’une sainte italienne, accusée de liens charnels avec une autre femme. Entre la peste noire et la foi, une religion affairiste et une sexualité tabou, Benedetta se mélange les genres, sans être convaincant dans son ensemble.

Etrange voyage dans le temps que propose Paul Verhoeven avec Benedetta. Après avoir été incapable financièrement de faire ses films dans son pays natal, les Pays-Bas, puis de se confronter au puritanisme américain, le cinéaste poursuit son exploration du féminin dans le territoire français plus accueillant au niveau des budgets comme des mœurs, et sans aucun doute plus bienveillant avec sa cinématographie.

Fiche technique
Benedetta, 2h07. Sortie le 9 juillet 2021.
Réalisation: Paul Verhoeven
Scénario final: David Birke et Paul Verhoeven, d'après l'ouvrage historique Sœur Benedetta, entre sainte et lesbienne de Judith C. Brown (Gallimard)
Musique: Anne Dudley
Production: SBS Productions et Pathé 
Distribution: Pathé
Avec Virginie Efira, Charlotte Rampling, Daphné Patakia, Lambert Wilson, Olivier Rabourdin, Louise Chevillotte et Clotilde Courau
En compétition à Cannes 2021

Sainte et seins

Mais le voyage pour le spectateur est loin de celui qu’il attend. L’histoire est celle d’une jeune fille donnée à Dieu par ses parents, en la faisant entrer dès son plus jeune âge dans un couvent toscan. Or, habitée par la Vierge, voyant et parlant avec Jésus, cette sœur va connaître un destin étrange. D’abord, un lien sacré avec le fils de Dieu, son époux (très sexy, mais sans phallus), avec qui elle va partager les stigmates jusque dans sa chair et avec son sang. Elle a une foi inébranlable, à moins que ce ne soit une mascarade pour asseoir son pouvoir sur cette communauté bien ordonnée. Ensuite, la liaison dangereuse avec la novice Bartolomea, son amante et Judas, avec qui elle va partager son lit, ses désirs, son plaisir charnel, et leur jouissance. Cette scission dans son corps est une dialectique assez classique entre l’esprit et le corps, ou le bien et le mal.

Sauf que chez Verhoeven, le corps n’est pas forcément le mal. Blasphématoire en diable, Benedetta est surtout un film hybride, mélangeant un érotisme explicite, au voyeurisme très masculin et hétérosexuel, une fresque historique et politique, non dénuée d’humour corrosif et satirique, un portrait de femme puissante et une série B violente et de mauvais goût ?

« Je n’ai pas souhaité qu’elle meurre. Pas si vite en tout cas »

Dans Belle de jour, Luis Bunuel explorait les fantasmes féminins en gardant toujours la distance et l’élégance nécessaires pour ne jamais être vulgaires. Dans Benedetta, Paul Verhoeven préfère être cru, cruel parfois, et ne s’embarrasse d’aucune pudeur. Quitte à être grotesque, frôler le navet à la manière d’un Polanski dans La neuvième porte. En sortant des sentiers battus d’un biopic sur l’un des premiers cas occidentaux d’homosexualité féminine documenté, il livre un film inconstant, plaçant le spectateur dans une position délicate : doit-on rire, être scandalisé, être tout simplement mal à l’aise face à certaines séquences outrancières, ridicules, inutilement gores ou scato ? Sans parler de cet épilogue malhabile et mal écrit où Benedetta en tenue d’Eve quitte son paradis…

Cependant, le plus surprenant dans le film est ailleurs. Il est drôle (les joutes verbales entre notables ambitieux et cyniques sont un régal démontrant l’hypocrisie de l’église) et il n’a rien de subversif. Verhoeven n’étant pas réputé pour la comédie mais plutôt pour la transgression, il y a de quoi être dérouté, à défaut d’être (hélas) dérangé. Pas un gramme de souffre mais des dialogues désopilants. La religion (déjà objet de culte de ses premiers films hollandais) est ainsi filmée comme un business, la foi comme un théâtre d’illusions, le sexe comme un Emmanuelle des années 1970, et le féminin n’est toujours qu’une histoire de rivalités. Toutes les âmes ici sont damnées, finissant en suicide, sur le bûcher, poignardé, mutilé…

« Aucun miracle ne se produit dans un lit, croyez-moi »

Benedetta n’est pas une étrangère dans l’œuvre de Verhoeven. Il y a en elle de la Catherine Tramell (Sharon Stone dans Basic Instinct), personnage ambivalent et ambiguë, dont on ne sait jamais si elle est coupable ou victime des circonstances, manipulatrice ou juste malicieuse. Il y a également du Nomi Malone (Elizabeth Berkley dans Showgirls), dans cette arrogance, cette affirmation de son corps, et cette ambition qui la pousse à dominer sa congrégation. Il y a enfin de la Michèle Leblanc (Isabelle Huppert dans Elle) dans l’acceptation de ses délires sado-masochistes et l’autodestruction qui va avec.

Si on ne ressent en rien une quelconque élévation, l’illumination du personnage produit surtout un film rempli d’hallucinations du réalisateur : femmes se godant (avec un Jésus un peu « rugueux »), sein tranché à vif, fiente d’oiseau sur un œil, instrument de torture vaginal, viol en groupe, cunnilingus orgasmique, flagellation exhibitionniste… Au moins peut-on lui reconnaître que le mâle est ici très mal traité et le féminin sublimé esthétiquement.

« Ton pire ennemi c’est ton corps. Il ne faut pas s’y sentir bien ».

Insolent, le film se fiche de l’humiliation. Elle ne « laisse pas de trace ». Verhoeven assume crânement ses obsessions, ses thèmes et son envie d’un cinéma provocateur, incarné par des acteurs techniquement au point (sans se transcender). Particulièrement, Charlotte Rampling, qui y déploie tout son génie et sa folie.

On cherche malgré tout à comprendre ses intentions. Il réussit à démontrer qu’ils sont tous coupables de se servir de Dieu et de parler en son nom en dictant des Lois pour leur seul profit. Mais il échoue à faire passer son message de l’amour pour tous. Ironique vu le sujet. Finalement, Verhoeven nous a leurré. Et c’est peut-être là le véritable éclat de son film. Si Benedetta n’a rien d’une grande œuvre sur l’amour féminin (qui peut prendre plusieurs formes), c’est une belle satire sur le pouvoir et le mensonge.