Cannes 2021 | Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier, portrait tendre et sensible

Cannes 2021 | Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier, portrait tendre et sensible

Joachim Trier revient à ses premières amours : un film norvégien intimiste, avec son acteur fétiche Anders Danielsen Lie (magistral), qui dresse le portrait doux amer d’une jeune femme, Julie (Renate Reinsve, elle aussi très bien), dont une voix off omnisciente nous apprend d’emblée qu’elle souffre d’insatisfaction chronique, mais aussi d’un énorme manque de confiance en elle. 

La construction en douze chapitres, un prologue et un épilogue, est doctement annoncée dès le départ. Cela pourrait sembler un peu scolaire, mais ce serait mal connaître le réalisateur. Il s’amuse de cette contrainte choisie et en profite pour varier le rythme et la tonalité de chaque séquence, oscillant entre humour et mélancolie, anecdotes brèves et passages plus intenses. 

Le risque, bien sûr, était d’avoir un film inégal. Mais puisque nous sommes dans un portrait, construit par petites touches subjectives, ces variations permettent au contraire de raconter les différentes facettes de la jeune fille, couplées à des épisodes plus ou moins marquants de son existence, et retraçant en filigrane le chemin parcouru, entre émancipation et apprentissage.  Chaque partie apporte ainsi des nuances au personnage, empruntant parfois des chemins de traverse, ou se faisant plus profond à d’autres moments. 

Bien sûr, on s’aperçoit rapidement que Julie est surtout perçue par le prisme de ses relations amoureuses. A croire qu’il n’y a pas grand chose d’autre qui l’intéresse, ou qui la définisse. Dès le prologue, elle rencontre un auteur de BD avec lequel elle s’installe. Plus âgé qu’elle, il veut très vite des enfants, ce qui n’est pas son cas (c’est le thème du premier chapitre, puis du quatrième et en partie du onzième). Dès le chapitre 2, la tentation d’une aventure, voire d’une autre histoire d’amour, se profile. Elle se poursuit dans le chapitre 5, puis les doutes l’assaillent dans les suivants, et ainsi de suite. Proportionnellement, son rapport conflictuel avec son père et ses ambitions personnelles (écrire, faire de la photographie) semblent des détails périphériques.

De la même manière, Joachim Trier s’amuse de la veine #MeToo (curieusement, à Cannes cette année, les souffrances révélées par ce mouvement semblent plus souvent source de blagues que de réelles réflexions) mais sans rien en dire de véritablement passionnant. Il se contente de la croquer au cours de deux courtes séquences ironiques dans lesquelles le cinéaste reconnaît presque implicitement qu’il se sait du côté des hommes dépassés par leur époque, à l’image de son protagoniste masculin principal. Il nous intéresse d’ailleurs beaucoup plus lorsqu’il amène précisément ce personnage à réfléchir sur son existence, faisant le bilan mitigé d’une vie qui n’a pas tourné comme il l’aurait souhaité. Peut-être Trier est-il définitivement plus doué pour la mélancolie que pour la satire sociale, et surtout plus à l’aise avec des personnages masculins qui lui ressemblent. 

C’est sans doute là la limite de Julie (en 12 chapitres). On ne s’ennuie jamais, on rit souvent et l’on est quelquefois bouleversé, mais lorsque le film s’achève, ce qu’il cherche à nous raconter, au-delà du destin particulier de cette jeune femme et des hommes qu’elle aime, semble filer entre nos doigts. On retiendra bien sûr quelques passages virtuoses (une rencontre impromptue entre deux êtres qui refusent de céder à leurs pulsions, une soirée ponctuée par la prise de champignons hallucinogènes) et un regard ténu sur l’époque, mais on ne peut s’empêcher de regretter que Joachim Trier n’ait pas su faire preuve de la même sensibilité à fleur de peau envers Julie qu’envers le héros de Oslo, 31 août, dont elle est une petite cousine éloignée. 

Fiche technique
Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier (Norvège, France, 2021)
Avec Renate Reinsve, Anders Danielsen Lie... 2 h 01
Sortie : 13 octobre 2021
En compétition officielle