Cannes 2021 | De son vivant : confrontations d’égos pas égaux

Cannes 2021 | De son vivant : confrontations d’égos pas égaux

Sept ans après avoir fait l’ouverture de la compétition cannoise, Emmanuelle Bercot revient sur la Croisette avec Benoît Magimel et Catherine Deneuve dans un mélodrame intime, qui rend hommage aux soignants et à la vie.

C’est toujours un peu les montagnes russes avec Emmanuelle Bercot, cinéaste. Il y a quelque chose d’attachant, de sincère qui se dessine à travers sa filmographie de réalisatrice. D’un film à l’autre se détache des portraits (souvent de femmes) remplis d’émotions face à l’adversité. Emmanuel Bercot aime les fortes personnalités. Les combattants pugnaces face à un système ou une fatalité, ou d’autres qui décident de reconquérir leur liberté. Cela donne des films parfois brillants (Elle s’en va, La fille de Brest) et d’autres plus maladroits (La tête haute, Backstage). Des films qui privilégient l’intime (Clément, Elle s’en va), d’autres qui décortiquent un système (Backstage, La tête haute, La fille de Brest).

De son vivant est un mix des deux, ce qui le rend un peu bancal. Un fils, la quarantaine un peu ravagée, sous l’emprise d’une mère possessive, doit affronter un cancer qui s’annonce fatal. Un oncologue va tenter de l’accompagner dans les derniers mois de sa vie, pour partir en paix, pour résoudre tous les conflits d’une vie. Mélodrame assuré.

Passons sur la présence de Cécile de France, grande actrice ici clairement sous employée avec un rôle peu écrit. Il nous reste donc Benoît Magimel dans le rôle césarisable en diable d’un homme qui va décliner vers sa mort, Catherine Deneuve magistrale dans celui d’une mère envahissante et trop aimante (et mal aimante aussi), et le Dr Gabriel Sara en médecin iconoclaste qui alterne thérapies classiques et méthodes psycho-positivistes (notamment en ressoudant ses équipes par le chant).

Trois égos, pas égaux. Heureusement que Magimel sert de pivot. Car, sans cela, on aurait l’impression d’assister à trois histoires sans lien. Trop de bienveillance et de compassion d’un côté. Trop de psychodrames et d’incommunicabilité de l’autre.

Mais voilà, si le scénario est mal articulé, usant de tous les artifices du mélo, trop prévisible et mortifère, Emmanuelle Bercot sauve son film grâce à ses comédiens, qu’elle dirige parfaitement, et un sens inné pour rendre hommage à la vie à travers quelques très belles séquences presque théâtrales. Chacun a son moment de gloire. On en revient à l’égo-trip, pour nous prendre aux trippes.

Trio désaccordé

Benoît Magimel prouve une fois de plus son perfectionnisme et sa capacité façon Actor’s studio à s’emparer d’un personnage dont la transformation physique impressionne. Il en dévorerait presque le film si, face à lui, il n’y avait pas Deneuve. Formidable couple de cinéma. L’actrice joue sa partition sans fausse note, de la colère à la peur en passant par la souffrance. Face aux étudiants de son fils, sur scène (fantasme de cinéaste comme Truffaut ou Wargnier avant Bercot de voir la Catherine sur des planches), elle impose toujours une présence fascinante à l’écran, avec un monologue récité de façon si naturelle. Quant à Sara, il n’a pas besoin de grand chose pour jouer le personnage qu’il est dans la vie. Avec sa bonhommie et son parcours, il donne une authenticité et offre sa singularité permettant à ce genre d’histoire de sortir des sentiers battus. Un médecin pas comme les autres qui incarne a beauté du service public. Car, comme dans La tête haute et La fille de Brest, la réalisatrice rend hommage à ceux qui militent pour l’intérêt général, servent la République et sauvent l’individu sans se soucier de leurs origines ou de leurs classes. Ici, elle porte un regard empathique envers les soignants.

Plein de bons sentiments, De son vivant est une ode à la vie, au présent, aux relations humaines. Ne soyons pas blasés ou cyniques. Mais, il ne faut pas non plus avoir les idées noires quand on va le voir.

L’impuissance et la solitude

Regrettable alors que ces trois magnifiques personnages ne trouvent pas le lien, le liant, qui le fasse exister au-delà d’un drame et de l’injustice d’une mort prématurée. Tout aussi dommageable, ces histoires secondaires qui ne trouvent jamais leur place dans la chronologie des faits.

Trop d’égos inégaux. Il faut attendre l’enchaînement final pour qu’on cesse de regarder le film comme on nous lit une histoire. Ce sont les derniers instants de vie du fils. La mère s’absente pour aller aux toilettes. Le médecin est parti en week-end. Trois existences distinctes, trois impuissances face au crabe, trois solitudes. Le fait que la mère n’ait pas pu voir son fils mourir, quelques secondes avant son retour dans la chambre d’hôpital, cet acte manqué cruel et douloureux, nous interpelle (enfin). C’est le moment le plus beau que saisit Bercot. Il ne s’agit pas de préparer ou de faire le deuil. Il faut accepter, désemparés, la fatalité. De son vivant est un récit sur la consolation. Celle que l’on doit affronter du vivant et celle avec laquelle on doit vivre après la mort. Les survivants font face au vide quand une vie s’en va. On est tous seuls face aux morts.