Cannes 2021 | La Colline où rugissent les lionnes, premier film coup de poing de Luàna Bajrami

Cannes 2021 | La Colline où rugissent les lionnes, premier film coup de poing de Luàna Bajrami

Mais où s’arrêtera Luàna Bajrami ? C’est la question que l’on est en droit de se poser à l’issue de la projection de La Colline où rugissent les lionnes, son premier long-métrage en tant que réalisatrice, présenté cette semaine à la Quinzaine des Réalisateurs

« J’ai peur de l’avenir » 

Quelque part dans un village du Kosovo d’aujourd’hui, trois jeunes femmes tentent de ne pas céder à la peur de ne jamais pouvoir choisir elles-mêmes de quoi sera fait leur avenir. En pleine quête d’indépendance, elles choisissent de laisser rugir les lionnes qui sommeillent en elles. 

En s’intéressant frontalement à sa génération et à ce qu’elle aurait pu devenir si elle n’avait pas quitté le Kosovo, Luàna Bajrami présente un trio qui n’est pas sans rappeler les femmes de Mustang, de Virgin Suicides ou encore Bande de filles tant leur quotidien (passé à attendre les résultats d’admission à l’université la plus proche) est finalement rempli de vide.

Dans ce Kosovo rural et pauvre, Qe, Jeta et Li se serrent les coudes car les temps sont durs et leur indépendance passe semble-t-il par des études à l’extérieur de ville d’origine. Et très vite, on comprend que cette émancipation si chère lorsque l’on a entre 18 et 25 ans est vitale pour elles. Qe (jouée par une Flaka Latifi absolument magnétique) ne supporte plus son père alcoolique et sa mère démissionnaire. Jeta (Uratë Shabani) est victime d’inceste de la part de son oncle depuis le décès de ses parents. Quant à Li (Era Balaj), elle tient à aider sa mère et ses trois petits frères à sortir de la pauvreté.

Néanmoins, dans un milieu où tout se sait car tout le monde se connaît (ou presque), difficile de rêver trop loin. Mais leurs ambitions se révèlent à la suite de leurs rencontres avec Lena — campée par Luàna Bajrami elle-même — jeune kosovare dont les parents ont émigré en France mais qui revient de temps en temps pour les vacances et Zem (Andi Bajgora), jeune homme jusque-là influençable et qui tombe sous le charme de Li. Pour montrer que cette jeunesse tient à prendre le contrôle de son destin, Luàna Bajrami décide d’en faire une bande de cambrioleurs sympathiques.

Malheureusement, et comme c’est souvent le cas dans ce type de récit d’apprentissage, toutes les expériences n’aboutissent pas sur quelque chose de sain ou de serein. Et c’est en soi ce que la réalisatrice de seulement 18 ans à l’époque du tournage expédie à la toute fin du fin, lors d’une séquence « clippesque » qui dévoile les conséquences sanglantes de leurs différents cambriolages. 

« Pas de place pour les putes chez moi » 

Et si La Colline où rugissent les lionnes captive, c’est sans surprise à cause de la manière qu’a la cinéaste de présenter un univers finalement pas si lointain de ce que la jeunesse française et rurale peut connaître. Sans être un film sur la précarité ou la violence en zone rurale, ce premier film est une claque visuelle qui surprend par des choix esthétiques et scénaristiques assumés. Ici et là, des intrigues sont lancées sans que l’on en connaisse vraiment l’objectif, des séquences font penser à un revirement dans le récit et le rythme n’est pas tenu du début à la fin.

La Colline où rugissent les lionnes est une oeuvre de l’urgence. Celle de dire quelque chose de l’instant présent. Celle de prendre tous azimuts des décisions qui auront un impact sur le long terme. Celle de penser à soi quand seules les mauvaises personnes s’intéressent à vous. Brutal et parfois imprévisible, le film de Luàna Bajrami est un petit bijou qui se savoure autant qu’il s’appréhende : en 1h23, le spectateur a le temps d’être happé par la beauté de ces personnages féminins forts et sensibles à la fois.

Au-delà d’un film sur la condition sociale et les rêves déjà brisés, Luàna Bajrami dit tout le bien qu’elle pense de son pays natal, sans jamais hésiter à montrer les travers d’une société à la culture traditionnelle et machiste. Et s’il est avant tout question d’un trio ici, il ne fait aucun doute que la performance de Flaka Latifi ne laissera personne indifférent. A l’image de cette scène à laquelle on assiste « coincé » d’un côté d’une fenêtre et où la famille de Qe vole en éclat en quelques secondes seulement. Voilà un film que l’on ne saurait que trop vous recommander ! 

Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs
Réalisatrice : Luàna Bajrami
Avec : Flaka Latifi, Uratë Shabani, Era Balaj, Andi Bajgora, Luàna Bajrami