Désigné coupable, thriller légaliste implacable

Désigné coupable, thriller légaliste implacable

Désigné coupable s’avère d’une redoutable efficacité. Par son sujet, sa réalisation, et ses comédiens.

A l’origine, une histoire vraie : juste après le 11 septembre 2001, un mauritanien qui réside en Allemagne, où il poursuit des études brillantes qui font la fierté de sa communauté, est arrêté dans son village africain. Il est transféré à la prison américaine de Guantanamo quelques mois plus tard, suspect de premier plan dans l’organisation des attentats terroristes. La Maison Blanche comme le Pentagone veulent expédier son procès et l’exécuter. C’est sans compter l’intrusion d’une avocate du Nouveau-Mexique, pour qui on ne badine pas avec les droits constitutionnels, et qui va perturber la démarche vengeresse des Etats-Unis.

Kevin Macdonald s’est toujours passionné pour l’actualité et l’histoire. Dans sa filmographie, on retrouve pêle-mêle Un jour en septembre, documentaire sur le massacre aux J.O. de Munich, Mon meilleur ennemi, documentaire sur Klaus Barbie, Le dernier roi d’Ecosse, portrait fictionnel du dictateur Idi Amin Dada. Mais le cinéaste, qui maîtrise parfaitement les codes du montage et de la narration, s’intéresse tout autant aux thrillers (historiques, d’espionnage, d’anticipation) dès lors qu’ils s’inscrivent dans les coulisses du pouvoir.

Fiche technique
Désigné coupable (The Mauritanian), 2h09
Sortie en salles le 14 juillet 2021
Réalisation: Kevin Macdonald
Scénario : Michael Bronner, d'après l'autobiographie Guantanamo Diary de Mohamedou Ould Slahi
Musique : Tom Hodge
Image : Alwin H. Küchler
Distribution : Metropolitan filmexport
Avec Tahar Rahim, Jodie Foster, Shailene Woodley, Benedict Cumberbatch, Zachary Levi, Denis Ménochet

Désigné coupable est un croisement réussi des deux genres, en plus d’y ajouter une dimension judiciaire, qui rappellera les adaptations des livres de John Grisham, qui ont fait le bonheur des studios américains dans les années 1990.

Thriller légaliste, le film a l’intelligence de ne jamais lever le voile sur l’éventuelle suspicion de Mohamedou Ould Slahi (Tahar Rahim). Ce n’est pas le propos. Ici, l’enjeu est l’Etat de droit. Chacun, même le pire monstre, doit pouvoir se défendre. L’avocate Nancy Hollander (Jodie Foster) et le Lieutenant Stuart Couch (Benedict Cumberbatch) vont ainsi davantage batailler à rétablir l’honneur d’une Justice égalitaire qu’à prouver l’innocence ou la culpabilité du prisonnier.

« Depuis quand on enferme des personnes en prison, sans procès, dans ce pays ? »

Tout au long des deux tiers du film, le scénario nous amène à croire à une issue hollywoodienne : un match/duel entre deux orateurs (Foster vs Cumberbatch) à base de punchlines en guise de coups. Mais, intelligemment, le réalisateur nous emmène ailleurs. Parce que le personnage de Foster, dure à cuir intraitable et intègre, ne lâche rien, et parce que celui de Cumberbatch, est en proie un cas de conscience personnel, la direction du film dévie vers son vrai sujet, son véritable enjeu.

Monstruoistés

C’est finalement davantage le procès des Etats-Unis, de ses actions comme de ses décisions, qui se déroule devant nos yeux. Macdonald puise ici dans son expérience de documentariste pour reconstituer un régime systémique où la torture est approuvée et assumée et la justice se veut expéditive et sans respect des procédures. Zone de non-droit opaque autant que No-Go Zone ultra fermée et surveillée, Guantanamo est une honte nationale cachée des yeux de tous. Le cinéaste reprend les révélations connues et avérées sur les pratiques et techniques des géôliers et militaires en matière de torture. C’est parfois insoutenable, souvent choquant. Visuellement c’est aussi la partie du film la plus singulière, audacieuse et réussie.

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Le personnage incarné par un Tahir Rahim précis et sans surjeu n’est finalement qu’un pion sur l’échiquier d’une puissance humiliée qui cherche des coupables, accusés sans preuves.  L’Etat se trahit lui-même. Et qu’on soit croyant ou juriste, journaliste ou citoyen, il est impossible de ne pas le défier dans son arrogance.

Bien sûr, tout le film déroule une mécanique qui ne va que dans ce sens. Il n’y a pas de point de vue opposé. Pourtant Désigné coupable n’est pas didactique. Parce que tout le monde doute : Foster doute de son client, Rahim doute de son avenir, Cumberbatch doute de sa hiérarchie, les Etats-Unis doutent de leur puissance…

Démonstration

L’histoire réelle (non moins effarante, puisque le prisonnier 760 a passé quatorze ans en prison, sous Bush et Obama) nous fait alors douter de la Justice. Désigné coupable démontre sa capacité à déjouer tous les codes du genre – le thriller sans parano ni menaces, le procès, assez furtif finalement, le drame humain, avec un happy end amer – pour nous faire comprendre comment un système peut oublier ses lois fondamentales et ainsi perdre son âme.

En ce sens, Jodie Foster est un formidable choix comme lien entre le monde enfermé de Guantanamo et le monde clos des cabinets d’avocats, centres d’archives et lieux de pouvoirs. Cheveux gris, rides apparentes, visage aux multiples nuances, de la dureté la plus insaisissable à l’humanité la plus sincère, elle porte en elle les stigmates d’une guerre invisible qui la conduit dans les enfers d’un système. Elle est toujours cette Clarice Sterling du Silence des agneaux, portée par une soif de vérité inébranlable, une foi en son métier imperturbable, capable d’affronter les pires monstres, et de se lier d’amitié avec un ennemi. C’est sans doute dans cette ambivalence que son jeu s’épanouit le mieux. C’est aucun doute pour cela que Désigné coupable est si efficace et passionnant.