Cannes 2021 | Un héros d’Asghar Farhadi  s’interroge sur la réputation

Cannes 2021 | Un héros d’Asghar Farhadi s’interroge sur la réputation

Grand habitué de Cannes depuis quatre films (en huit ans), le cinéaste iranien, sacré à Berlin et aux Oscars il y a dix ans avec Une séparation, montre un système kafkaien, entre propagande et chantage des réseaux sociaux, où un homme pas si honnête qu’il n’en a l’air, se retrouve piégé dans ses mensonges. Aussi noir que glaçant.

Retour en Iran, et finalement retour à la case départ avant le retour à la case prison. Un héros d’Asghar Farhadi est une fois de plus un drame autour de dilemmes moraux dans une société ultra-codifiée, où la méfiance règne en maître.

Même s’il est un peu long, le film aborde tous les aspects d’un prisonnier, qui profite de quelques permissions pour retrouver la liberté en remboursant une dette auprès d’un créancier. Le créancier nous paraît peu sympathique, rigide, intraitable. Le débiteur, qui va devenir héros malgré lui grâce à une escroquerie transformée en beau geste exemplaire, a tout pour nous le rendre séduisant : un fils bègue, une amoureuse dévouée, une volonté de payer, et une belle gueule…

Fiche technique
Un héros (Ghahreman), 2h07
Sortie en salles le 22 décembre 2021
Réalisation et scénario : Asghar Farhadi
Production et distribution : Memento Films
Avec Amir Jadidi, Mohesen Tanabandeh, Sarina Farhadi, Fereshteh Sadre Orafaiy
En compétition au Festival de Cannes 2021

Mais chez Farhadi, rien n’est jamais manichéen. Le héros, pas si malin et très naïf, révèle aussi un caractère pulsionnel et violent, au point d’en devenir assez con. Tandis que le scénario montre l’honnêteté et la lucidité du créancier.

Cette opposition, autour de laquelle fourmille une dizaine de personnages aux motifs variés, et souvent calculateurs, reflète avant tout le portrait d’iraniens pour lesquels on ne ressent aucune empathie. Et dans lesquels on ne peut pas vraiment se reconnaître. Cela laisse le spectateur à distance, au mieux l’agaçant, au pire l’indifférent.

Un héros raconte la détermination d’un homme coincé entre ses dettes et son devoir, piégé par sa propre arnaque, l’entraînant dans une spirale infernale, où l’étau se resserre petit à petit sur ses maigres chances de s’en sortir. En cumulant, la malchance, les erreurs, la vanité et l’orgueil, il s’enferme lui-même dans une fatalité inéluctable, dans une finalité prévisible.

Le diktat de la méfiance et de la dénonciation

Comment peut-il croire qu’il pouvait affronter une hydre à plusieurs têtes avec sa petite tête ? Le système iranien l’oblige à chaque fois à se justifier. S’ajoutent le système carcéral qui doit montrer au peuple que ce pays est parfait (en omettant les suicides en prison), des associations de bienfaisance qui luttent contre les injustices, une administration qui se protège de toute entourloupe en enquêtant avec zèle sur chaque embauche, des médias avides de belles histoires illustrant la suprématie de Dieu… Et enfin les réseaux sociaux qui agissent comme des armes de propagande ou de destruction massive, capable de racheter l’honneur des individus, ou de détruire des existences.

Face à tous ces chantages, cette transparence perverse et une absence de compassion humaine, le héros n’a aucune chance de s’en sortir. Le film se concentre sur cette « réputation », dogme impérieux qui lave ou entache la vie des citoyens, impuissants. Au milieu de toutes ces manipulations – médiatiques, populistes, virtuelles, mensongères – l’honnêteté et la vérité résistent difficilement.

Efficacité redoutable

Pourtant, Asghar Farhadi parvient avec son film à rendre ses lettres de noblesses à la morale. Si le système est épargné, le malhonnête, malgré toutes les circonstances atténuantes, ne le sera pas. Le cinéaste contraint avec un beau tour de force de son écriture à faire consensus. Personne ne pourra regretter qu’il paiera pour ses « mauvaises » actions égoïstes, effaçant ainsi ses « beaux » gestes altruistes.

Efficace, le film allie enquête, drame personnel tendu et course de vitesse contre la fluidité des informations et un régime kafkaien. Certes, Un héros manque parfois de nervosité, contrairement à ses premiers films iraniens, se remplit de bons sentiments, comme dans tous ses films récents. Mais la mécanique, même quand elle est grossière, est redoutable, à défaut d’être aimable. C’est sans doute là que se situe la faille du récit, le rendant parfois insupportable. Il faut toute l’expérience du cinéaste pour nous happer de bout en bout avec cette œuvre classique autour d’un héros de paille. Un pantin qui n’a aucune arme pour se défendre, pas même de vertu pour qu’on soit de son côté.

A défaut de retrouver l’intensité d’Une séparation, le réalisateur renoue avec l’authenticité de ses premiers films persans. Son « héros » prolonge surtout cette filmographie ouverte sur l’occident depuis Le passé, où il nimbe ses mélodrames et tragédies individuelles d’une noirceur suffocante. Son regard pessimiste sur le monde et l’humain le conduit de plus en plus à une misanthropie glaçante.