Cannes 2021 | Mathieu Amarlic au plus près de l’émotion dans Serre moi fort

Cannes 2021 | Mathieu Amarlic au plus près de l’émotion dans Serre moi fort

Avec ce voyage au pays du deuil, Mathieu Amalric s’affirme en tant que réalisateur et nous transporte dans un drame sensible, troublant et touchant.

Mathieu Amalric repart en tournée. Mais cette fois-ci pas de cabarets, plutôt des bistrots, des lieux de hasard, une virée en perdition. Une femme, épouse et mère de famille, quitte le domicile familial. Elle s’en va. Abandonne tout. Sans but précis, sans motivation expliquée.

On devine rapidement qu’il y a un espace-temps divergent, deux films qui se croisent ou se superposent durant uen grande partie du récit, jusqu’à la révélation des faits réels. Serre moi fort joue de l’ombre et de la lumière. D’une imagerie lumineuse, presque féérique, où la joie l’emporte sur la routine. Et de cette couleur plus grise, au réalisme plus crû, où l’imprévu sert de sursaut dans cette virée proche des enfers.

« Tais-toi! J’invente. J’imagine que je suis partie. »

Le film nous rappelle alors L’anomalie, roman d’Hervé Le Tellier (prix Goncourt 2020), quand des passagers d’un avion rencontrent leur double à la faveur d’un événement métaphysique. Ici, Clarisse (Vicky Krieps, sensationnelle de justesse) paraît vivre deux histoires, à la temporalité différente, dont l’une ne semble pas normale. Les scènes se font écho dans les mêmes décors, mais avec une petite dissonance qui nous interroge. Une lumièe, un regard, des yeux clos qui l’emmènent ailleurs…

Il faudra attendre les deux tiers du film pour savoir ce qu’il s’est réellement passé. Mais finalement ce ne sera pas le plus important. C’est bien l’errance de Clarisse qui conduit notre intérêt. Cette manière d’aborder l’inconcevable, l’irréparable, entre déconnexion du réel et pétage de plomb, reconstruction de soi et dillution sociale.

En manipulant notre trouble avec subtilité, Mathieu Amalric ne perd jamais de vue l’émotion qu’il veut amener et la sensibilité de son sujet (et de son personnage). L’empathie est immédiate avec cette famille a priori comme les autres, vivante et vivace, à moins que la mémoire ne joue des tours.

La narration est malicieuse, l’écriture prend des risques, à l’instar de Clarisse, basculant de névroses en amours, se déséquilibrant sans cesse. Les échos qui se répètent agrandissent ce sentiment de la perte. Vicky Krieps semble aussi paumée qu’un bateau à la dérive, détachée de la terre ferme par un putain de coup du hasard.

Les limbes du sacrifice

Dans cet ambiance post-traumatique, dans ces deux univers parallèles, Mathieu Amalric tente le portrait d’une femme au comportement étrange, en manque de rires et du torse poilu de son mari. Comme dans Barbara, il expérimente une fois de plus des séquences inventives qui se glissent dans les interstices du réel, un documentaire, un surréalisme à la Bertrand Blier ou un film d’animation. L’imagination et les rencontres au gré des étapes sont peut-être les seules remèdes pour ne pas s’effondrer. Il efface progressivement le passé comme les traces de pas dans la neige disparaissent, menant à un horizon lointain, infini, invisible. Il n’y a plus le chemin qui nous guidait vers le bonheur, juste la confrontation avec le malheur.

« Elle est en colère, c’est tout. En deuil. C’est vieux comme le monde. Sidération, culpabilité, colère. La valse à trois temps. La danse de ceux qui restent » écrit Olivier Adam dans Peine perdue. Peine perdue ça aurait fait aussi un joli titre pour ce film. Mais Serre moi fort évoque davantage le manque, pregnant durant tout le récit.

Tombe: la neige

On est saisit par ce bonheur qui s’est enfui et qui ne peut pas être sauvé. Ce Memori Mento cible intelligemment nos cœurs tout en stimulant nos émotions et en interpellant nos neurones. Car, finalement, Serre moi fort est bien l’illustration d’une douleur durassienne où le corps tout entier est figé, comme gelé de l’intérieur. Le cinéaste le met alors en mouvement pour qu’il se réchauffe et décide de sortir de sa cage, prêt à s’envoler vers d’autres cieux. Sans se retourner vers cette montagne enneigée et maudite.

Il ne s’agit plus de rechercher la chaleur humaine nécessaire pour nous faire revivre mais bien de se détâcher des images qui nous emprisonnent. Et c’est ce qui est le plus beau et le plus bouleversant. La résilience ne peut naître qu’avec le goût de la liberté.

Fiche technique
Serre moi fort
Durée: 1h37
Sortie en salles : 8 septembre 2021
Réalisation et scénario : Mathieu Amalric (d'après la pièce Je reviens de loin de Claudine Galea)
Photographie : Christophe Beaucarne
Distribution : Gaumont
Présenté au Festival de Cannes 2021 (Cannes Première)
Avec Vicky Krieps, Arieh Worthalter