Malgré sa longueur, le nouveau film de Tom McCarthy déjoue les stéréotypes en menant le spectateur vers une issue ambivalente, loin des morales hollywoodiennes.
Un film américain à l’ancienne. Davatage centré sur un individu que sur de l’action. Au point même que le réalisateur Tom McCarthy se perde un peu dans ses dédales marseillais et oublie pendant un certain temps l’objet de la quête qui a conduit un Américain moyen de l’Oklahoma à s’installer dans la ville phocéenne.
Dieu, fast-food et pétrole
Tout repose ainsi sur le voyage intérieur de Bill Baker, incarné par Matt Damon. On pourrait le caricaturer – d’ailleurs, on le présuppose Trumpiste, avec ses tatouages, ses jobs dans le forage, ses prières permanentes, et ses goûts culinaires variant de sandwichs Subway aux steaks/fayots – mais ce serait trop simple.
Il vient à Marseille régulièrement pour rendre visite à sa fille, incarcérée depuis cinq ans aux Baumettes parce qu’elle aurait tué sa petite amie. Elle clame son innocence. Elle a encore quatre ans de prison à purger. Elle dénonce un jeune homme, Akim, le vrai coupable?, dont on ne sait rien. Son père, qui a l’image d’un homme peu fiable, va chercher à prouver son sens de la famille et des responsabilités. Il croise Virginie, une comédienne bilingue (Camille Cottin, mère monoparentale de gauche), pour l’aider dans sa traque qui le mène dans les cités hostiles de la ville, au stade Vélodrome, les rades de quartier… Il y aura même, pour la carte postale, une virée aux Calanques.
Pourtant, ici, nul pastis, nulle bouillabaisse, pas même l’accent du midi. Tom McCarthy filme Marseille comme une métropole ensoleillée, populaire, délabrée, où les bâtiments sont mal entretenus, entre ruelles calmes et lieux de rendez-vous effervescents. Pas vraiment séduisante, la ville offre un décor où le danger peut survenir de partout, malgré la quiétude apparente et permanente. Cela rappelle évidemment French Connection dans la vision américaine de cette ville, mais aussi les villes que traverse Jason Bourne (héros là encore incarné par Damons): Paris, Berlin, Tanger, Naples, Zurich, Moscou, qui étaient filmées dans une sorte de réalité urbaine et froide, loin de leur image glamour cinématographique.
Un cowboy au milieu des Indiens
C’est là que se révèle la première tromperie. Avec une ville aussi opposée à son Oklahoma, le personnage de Matt Damon dévoile son manque d’ouverture. Il ne cherche pas à parler français, ne s’enthousiasme pas à l’idée de découvrir une culture, ne s’approprie aucun code local. L’étranger n’est là que pour sa fille. C’est donc son cheminement intérieur qui va guider le scénario. La rencontre avec Virginie et sa famille Maya va l’emmener et nous emmener vers une autre destination. Cette déviation sentimentale constitue alors un « ventre mou » dans le récit, trop long pour nous happer. L’intensité baisse, on en oublie le motif de son voyage malgré quelques éléments qui font avancer l’histoire.
Stillwater s’étire trop, s’autorise quelques facilités qui gâchent la finesse et l’intégrité de la première partie, et s’embourbe dans une histoire bancale entre vengeance et romance. Le film se relance avec un accident, mais le spectateur anticipe déjà les événements à venir. De quoi relâcher l’attention. La singularité du scénario s’est dilluée. Cependant, elle a permis à Bill de se construire une nouvelle famille. En clair, Bill l’Américain, veuf, ex-taulard, tolérant avec les racistes, découvre qu’il a le droit à une nouvelle vie. Tout est dans l’acceptation (l’avocate – Anne Le Ny, nickel – l’avait bien dit). Mektoub, my love!
« T’es tellement français que je pensais pouvoir parler sexe à table. »
Et cela permet au film de changer de tonalité avant la fin. C’est ce qui sauve ce drame. Le présumé coupable est peut-être plus innocent qu’il n’en a l’air. La présumée innocente a peut-être sa part de culpabilité inavouable. Dans ces eaux troubles, où la vérité n’est pas forcément celle qu’on voulait entendre, le doute émerge. Le « doute raisonnable » qui amorce la deuxième tromperie du film. Celle-ci, au moins, conduit à une morale moins binaire qu’attendue, et même très ambiguë.
Les mensonges défient alors le sens du devoir (familial et même patriotique). Il faut un armistice dans ce cauchemar, un traité de papa, une pax americana. Et même une récupération politique qui tord le bras à la vérité. Cela exige des sacrifices avec la justice comme avec les sentiments. Rien ne change finalement. Ni Marseille, ni un Américain, ni même la Justice. Seul Bill a changé. Il ne voit plus son environnement comme avant. Il a mûrit. Le voyage, Virginie et Maya, le soleil de la Méditerranée resteront en lui, comme le souvenir d’un grand amour perdu. Matt Damon semble aimer ces films où il a sa Mémoire dans la peau.
Fiche technique Stillwater Durée : 2h20 Réalisation : Tom McCarthy Scénario : Tom McCarthy, Thomas Bidegain, Noé Debré Musique : Mychael Danna Photographie : Masanobu Takayanagi Avec Matt Damon, Camille Cottin, Abigail Breslin, Lilou Siauvaud, Anne Le Ny, Moussa Maaskri, Idir Azougli Distribution : Universal Pictures International Présenté au Festival de Cannes 2021 (Hors-compétition)