House of Gucci surfe superficiellement sur la mode

House of Gucci surfe superficiellement sur la mode

On ne s’étendra pas sur le nouveau film de Ridley Scott, en tout point décevant. Trop long, sans tension dramatique réelle, House of Gucci est à l’image de son casting surjouant l’Actor’Studio : bling-bling et artificiel. Des stars à foison qui se caricaturent (hormis Adam Driver assez épatant de subtilité au milieu de ces outrances) et qui donnent l’impression d’assister à une version longue d’un épisode de soap opéra ou de Dynastie. Difficile d’être touché par cette famille Gucci, richissime mais stupide (au point de tout perdre), ces faux aristocrates italiens, conservateurs jusqu’à l’excès et peu sympathiques. Comment plaindre un des propriétaires (Al Pacino) incarcéré pour fraude fiscale? Ou se lamenter sur une épouse cupide et arriviste (Lady Gaga, peu crédible), larguée par désamour? Ou pleurer sur la mort d’un monstre cynique et sans cœur (Jeremy Irons) ? Ou aimer le fils idiot, raté et maudit (Jared Leto) ? Ou compatir avec la présence de Salma Hayek, en voyante allumée, mais épouse dans la vie réelle du propriétaire de la marque? Non, réellement, exception faite du personnage tragique de Driver, celui par qui le succès et la chute vont arriver, celui qui sera assassiné par vengeance passionnelle, ce clan ne peut pas nous faire palpiter durant 2h40.

Mais le plus triste dans cette histoire est ailleurs. Un film sur Gucci, a priori, c’est un film sur la mode. Aucune honte à jouer les « fashion » victimes. La mode est partout, dans les musées, sur scène, dans les livres, au cinéma. Et Ridley Scott, par son amour de l’esthétisme, aurait pu lui rendre un bel hommage, à l’instar de ces quelques plans dans le dernier film de Pedro Almodovar, Mères parallèles, où son personnage, Janis, shoote des sacs et autres accessoires en les sublimant.

Ici, on aperçoit bien quelques modèles (foulard, robes, sacs) et boutiques, mais le cinéaste traite Gucci comme si ce n’était qu’un commerce, qu’un business. Même le styliste (et cinéaste) Tom Ford (qui a le droit au seul défilé du film) n’est qu’un bijou toc dans cette saga (trois scènes, deux phrases). Autant dire qu’on reste sur notre faim : un film sur une emblématique marque de luxe italienne qui ne fait que survoler les produits, pourtant le seul réel enjeu des trahisons et des manigances de cette tragédie toscane.

Audrey Hepburn dans Funny Face

Funny Face (Drôle de frimousse), Prêt-à-porter, et d’une certaine manière Le diable s’habille en Prada… Il y avait plus de mode dans ces films que dans House of Gucci. Et il suffit de voir les biopics sur Yves Saint-Laurent ou Coco Chanel (deux chacun) pour constater qu’on peut lier création haute couture et récit biographique. Si on ne comprendra jamais en quoi le destin particulier des Gucci a intéressé Ridley Scott (fascination pour la veuve meurtrière? passion pour les familles crépusculaires? envie d’un limoncello le soir le plateau?), on peut s’interroger sur cette vision désuète et anecdotique d’un art qui a su s’installer en dehors des boutiques, des magazines en papier glacé et des fashion weeks.

A l’image de Jean-Paul Gaultier qui se réinvente dans un spectacle flamboyant aux Folies Bergères (« Fashion Freak Show« , bientôt exporté à Londres) ou en exposant sa passion pour le 7e art à la Cinémathèque française (exposition « Ciné-mode », actuellement). Ou ces expositions qui pululent à Paris avec succès : « Louboutin » au Palais de la Porte dorée, « Chanel » et « Vogue » au musée Galliera, « Back Side » au musée Bourdelle, « Margiela – les années Hermès » et « Christian Dior » au musée des Arts décoratifs… C’est une lourde tendance dans le paysage culturel. La mode est partout, même dans les livres les plus sérieux ou les lieux les plus patrimoniaux.

Saint Laurent avec Gaspard Ulliel

Malheureusement, hormis le Saint Laurent de Bonello et le Coco avant Chanel de Fontaine, rarement la création a été réellement filmée comme un art à part entière. On nous montre toujours le même genre de scènes : quelques patrons, des aiguilles, des petites mains qui ajustent ou qui cousent, des défilés entre deux rangées de figurants… On en a la preuve avec Haute-Couture actuellement sur les écrans.

Finalement, ces dernières années, Paul Thomas Anderson a su nous offrir l’exception. Il a su concilier le drame humain avec la folie créatrice, la beauté des tissus et le perfectionnisme du créateur dans Phantom Thread. Le contraste est saisissant avec le film de Ridley Scott. C’est d’ailleurs là, sans doute, la clé de la fadeur d’House of Gucci, dénué de tout suspense. L’intrigue n’est qu’un fait divers sordide. Les personnages ne sont que des boutiquiers et pas des artistes. Ce n’est qu’une affaire capitalistique menée par une famille de losers. Mais, ici c’est surtout le spectateur qui est perdant… Là où Bonello et Anderson faisaient de la haute couture, Scott s’est contenté d’un prêt-à-porter de seconde main.