Rencontre avec Francis Gavelle, programmateur du « Cinéma d’animation dans tous ses états » à la Cinémathèque

Rencontre avec Francis Gavelle, programmateur du « Cinéma d’animation dans tous ses états » à la Cinémathèque

C’est un rendez-vous que les habitués de la Cinémathèque française connaissent bien. Chaque année, depuis 2012, la séance « Le cinéma d’animation dans tous ses états » met en lumière la richesse et l’inventivité du court métrage animé, à travers une sélection réalisée par Francis Gavelle, coordinateur du Prix André Martin (remis à un court et à un long métrage français, originellement pendant le Festival d’Annecy) et ancien sélectionneur de la Semaine de la Critique.

Pour ce grand retour lundi 22 novembre à 20h, plus de dix-huit mois après la dernière édition en février 2020, ce sont 9 courts métrages qui seront projetés, en présence de la plupart de leurs réalisatrices et réalisateurs. On retrouve au programme Rivages de Sophie Racine (le prix André Martin 2020), LM2 Gilles Cuvelier (réalisé pendant le premier confinement), Noir Soleil de Marie Larrivé (sélectionné à la Semaine de la Critique cette année), Luge de Mickaël Dupré (notamment découvert au Paris international Animation Film Festival) Zoizoglyphes de Jeanne Apergis, Un caillou dans la chaussure d’Eric Montchaud, Ce qui résonne dans le silence de Marine Blin (qui étaient à Annecy), Jean de Marion Auvin (qui était à Grenoble), et Mondo Domino de Suki (actuellement présenté au Festival Interfilms de Berlin).

L’occasion de nous entretenir avec Francis Gavelle qui détaille pour nous cette sélection pensée comme un panorama subjectif de la production animée récente.

Ecran Noir / Tout d’abord, peux-tu revenir sur la manière dont est née l’idée d’une séance annuelle consacrée au court métrage d’animation dans le temple de la cinéphilie qu’est la Cinémathèque française ? 

Francis Gavelle : Je réalise soudain que la première séance du Cinéma d’animation dans tous ses états a eu lieu le 21 décembre 2012 et que, alors que nous réfléchissons déjà à la programmation de l’année prochaine, nous y fêterons, donc, les dix ans de la manifestation ! 

Une manifestation qui est née, pour répondre plus directement à ta question, à la suite d’une proposition faite par Bernard Payen, programmateur à la Cinémathèque, qui souhaitait ouvrir un espace spécifique sur le cinéma d’animation, et plutôt sur le versant “court métrage”. J’ai immédiatement accepté : à la fois par amitié et par militantisme, avec l’idée, dans cette noble institution, de sortir le cinéma d’animation de sa case “jeune public” et d’une présence, que je définirais – mais cela est un point de vue strictement personnel et qui n’engage que moi – comme anecdotique dans les programmations thématiques.  Mais il faut savoir reconnaître, par ailleurs, que Bernard Payen a, à l’occasion, organisé une très belle rétrospective (en sa présence, qui plus est !) consacrée aux films, courts et longs, “jeune public” et adulte, de Jean-François Laguionie. C’était en novembre 2016. 

Et sinon, j’avoue, aujourd’hui, je rêverais assez d’une intégrale, longs et série TV, autour de l’œuvre de Satoshi Kon !

LM2

EN / Que va-t-on voir pendant cette séance et quels seront les temps forts de la soirée ?

FG : Comme, à chaque séance, l’idée première est de présenter un panorama de la création contemporaine, puisque notre séance s’intègre dans une fenêtre régulière (tous les lundis soir) de la grille de programmation de la Cinémathèque, intitulée Aujourd’hui le cinéma. On peut cependant préciser que, dans nos deux toutes premières séances, avant l’éditorialisation d’Aujourd’hui le cinéma, il nous est arrivé de présenter quelques films de patrimoine, avec des courts métrages comme, entre autres, La joie de vivre d’Anthony Gross et Hector Poppin, Haut pays des neiges de Bernard Palacios, ou encore deux des études d’Oskar Fischinger… 

Pour en revenir, de fait, à notre panorama contemporain, on ne cherche pas à présenter le meilleur – qui serions-nous pour nous ériger ainsi en arrogant phare de la pensée en matière de cinéma d’animation ! – de la création actuelle ; mais une sélection toute subjective des films que nous avons pu découvrir entre deux séances annuelles et qui nous ont particulièrement fait vibrer, que ce soit dans la démarche esthétique ou sous l’angle narratif. Et puis, bien évidemment, sur le plan cinématographique : je le précise, car j’ai le sentiment qu’il y a parfois une certaine tendance à négliger le mot “cinéma” dans l’appellation “cinéma d’animation”.  J’espère donc que, pour la séance du 22 novembre, la présence du cinéma se fera ostensiblement sentir aussi bien, à titre d’exemple (et sans écarter les films non cités), dans un film expérimental comme le LM2 de Gilles Cuvelier, qui ouvrira le programme, que dans les déambulations mélancoliques et sous influence, revendiquée ou inconsciente, d’un côté, d’Antonioni (le Noir-Soleil de Marie Larrivé) ou, de l’autre, de Mikhaël Hers (le Luge de Mickaël Dupré), sans oublier ce savoureux hommage au cinéma en prise de vues réelles qu’est le Jean de Marion Auvin. 

Un caillou dans la chaussure

EN / L’animation française, et particulièrement dans son format court métrage, est riche, diverse et extrêmement prolifique. Comment s’effectue la sélection pour aboutir à cette proposition de 9 films ? 

FG : Aïe ! J’ai l’impression d’avoir un peu anticipé ta question avec ma réponse précédente ! Je vais donc essayer d’apporter un complément à ce que j’ai pu dire préalablement… 

Pour chaque séance, face à l’effective diversité de l’animation française, plusieurs critères de choix, au-delà de la subjectivité déjà mentionnée, interviennent. Le premier, peut-être, est de diversifier les techniques d’animation présentées : ainsi, même si le dessin peut être prédominant, il convient de ne pas oublier aussi bien l’animation en volume (avec l’animation de marionnettes), que les films à base d’éléments découpés, de sable animé, d’écran d’épingles, ou introduisant la prise de vues réelles dans leur fabrication. Dans un prolongement d’idées, il importe de montrer des courts métrages qui ne soient pas forcément figuratifs ou s’affranchissent de la narration : en somme, faire une place aux expérimentations formelles. 

En second lieu, il importe de diversifier les parcours des cinéastes : de ce fait, des films de fin d’études peuvent côtoyer, dans une même séance, des œuvres d’artistes reconnus – et Aude David de s’inscrire au même programme que Uri et Michal Kranot, ou Margot Barbé d’accompagner Adriaan Lokman. Et puis, on l’aura sans doute compris, du fait de certains des noms d’auteurs tout juste cités, notre programmation s’ouvre aussi aux cinéastes étrangers, certes généralement pour des films soutenus par des sociétés de production françaises, mais il nous arrive, quand un contact privilégié est établi, soit avec le producteur, soit directement avec l’auteur, de diffuser des films étrangers, comme cela a pu se passer avec Nuit chérie de la réalisatrice belge Lia Bertels ou avec les opus 2 et 3 de Impossible Figures and Other Stories de la créatrice polonaise Marta Pajek. 

Finalement, je crois que l’important est de ne rien nous interdire, comme le fait d’intégrer un magnifique film pour enfants dans une programmation adulte – ce sera le cas, pour la séance du 22 novembre, avec le court d’Eric Montchaud, Un caillou dans la chaussure – ou de bousculer (avant envoi, quand même, à l’impression du programme trimestriel de la Cinémathèque !) la proposition établie, parce que, au dernier moment, nous avons enfin pu découvrir un film que nous attendions de longue date : ainsi, cette année, le Festival de Cannes ayant choisi d’avoir lieu en juillet, pour cause d’incertitudes sanitaires, c’est tardivement que nous avons eu accès à Noir-Soleil, de Marie Larrivé, qui était présenté, en première mondiale, à la Semaine de la Critique.  

Ce qui résonne dans le silence

EN / Plus globalement, en tant qu’observateur privilégié du cinéma d’animation, quel regard portes-tu sur la “production” actuelle et sur les enjeux auxquels il est confronté ?

FG : Pas sûr que je sois capable de répondre à cette question… Par exemple, je me sens incapable de dire s’il y a des tendances thématiques qui émergent… Peut-être que, même si je vois beaucoup de films, je n’en vois certainement pas assez sur un laps de temps très court (comme celui généralement imparti à un comité de sélection pour un festival), pour pouvoir saisir un instantané significatif de la production actuelle. 

Disons, peut-être, que l’enjeu qui me vient à l’esprit, c’est le risque d’une standardisation des films (y compris dans le court métrage, habituellement considéré, à titre assez juste, comme le laboratoire de la création animée) : je me demande, en effet, si les systèmes, initialement vertueux, que représentent, dans l’hexagone, les lieux de financement des œuvres (CNC, régions, chaînes de télévision) et les lieux d’exposition des films (festivals), ne sont pas en train de figer, à coup de commissions, de sessions de pitchs, d’ateliers d’écriture et de speed-datings d’auteurs, une créativité qui pourrait s’afficher plus débridée. Ainsi, les films devraient-ils s’inscrire à la fois dans des perspectives narratives structurées (et, par voie de conséquence, rassurantes) et dans des options graphiques virtuoses (et, de la même manière, rassurantes). J’ai donc l’impression que les projets plus spontanés, qui voudraient se faire dans l’urgence (même en animation), ou plus décalés dans leurs inspirations, leurs esthétiques, doivent opter pour une certaine marginalité et avoir recours, avec une contrainte d’absence de financement, à l’autoproduction. (Pour l’anecdote, la séance de lundi prochain débutera avec trois courts métrages autoproduits, répondant ainsi à divers critères de choix évoqués.)  Et, pour prolonger ce questionnement, je songe aussi à un post récent sur Facebook de Titouan Bordeau, qui vient de terminer un film de 35 minutes, qui se déploie comme une déambulation un brin allumée, empruntant la voie de l’absurde, et qui écrivait la chose suivante sur son fil d’actu : 

« J’ai commencé ce projet seul car je le voulais détaché de toutes les contraintes de financements et de formats que l’on peut côtoyer habituellement. Je voulais tenter autre chose que le circuit classique, voir à quoi ressemblerait un film qui n’a presque de compte à rendre qu’à la personne qui l’écrit. Je voulais expérimenter une autre recette qui me soit propre. »

Dans le même temps, pour apporter de la contradiction à mon propos, je ne peux qu’évoquer Ce qui résonne dans le silence, le court métrage de Marine Blin, que nous présenterons également dans la séance de lundi prochain, où la réalisatrice, dans le cadre d’un film produit et financé, ose un plan où le mouvement – un comble dans le cinéma d’animation – est à l’arrêt et où la bande-son – impensable dans une époque de saturation sonore – est réduite au silence. N’est-ce pas là, en une image, rare et précieuse, la plus saisissante manière de dire le deuil !

Archipel

EN / Et puisque l’on approche déjà du mois de décembre, et de ses éternels “tops” et classements annuels, quels films, d’animation ou non, auront pour toi marqué cette année 2021 ?

FG : Là, je crains un peu l’effet de liste ; mais je trouve, malgré toutes les difficultés que les films peuvent avoir (dans cette période de crise sanitaire et de désaveu de la culture par les édiles) pour accéder aux écrans et au public, que 2021 a été une belle année cinématographique. J’ai même envie de dire : une TRÈS belle année !

Avec Archipel de Félix Dufour-Laperrière, élégant poème visuel et sonore (malheureusement pas sorti en salles en France) ; avec Illusions perdues de Xavier Giannoli, éblouissante fresque entrant si fortement en résonance avec notre époque ; avec La Traversée de Florence Miailhe, conte intimiste et reflet des errements humanitaires de la géopolitique actuelle ; avec Onoda d’Arthur Harari, dont la sobre facture classique transcende la folie guerrière ; avec Drive My Car de Ryûsuke Hamaguchi et Serre moi fort de Mathieu Amalric, déflagrations émotionnelles absolues ; avec Indes Galantes de Philippe Béziat et Tralala d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu, où, du baroque à la chanson, l’envie de danser et de chanter envahit le corps et l’âme. Et je finirai juste, pour m’arrêter enfin, avec Les Intranquilles de Joachim Lafosse et, sous réserve d’approximation, cette réplique finale : « Je peux te promettre de faire attention ; pas de guérir. » Comme notre époque ?

Le Cinéma d'animation dans tous ses états
Lundi 22 novembre à 20h à la Cinémathèque française
Réservations et informations sur le site de la Cinémathèque