Rencontre avec Claudia Huaiquimilla et Pablo Greene, pour « Mis hermanos sueñan despiertos » (Grand Prix et Prix du Public CinéLatino de Toulouse)

Rencontre avec Claudia Huaiquimilla et Pablo Greene, pour « Mis hermanos sueñan despiertos » (Grand Prix et Prix du Public CinéLatino de Toulouse)

En compétition au Festival CinéLatino de Toulouse 2022, il y avait Mis hermanos sueñan despiertos de la réalisatrice Claudia Huaiquimilla, film ayant aussi été sélectionné dans d’autres festivals internationaux comme Locarno (aussi Hambourg, Chicago, Miami, Sao Paulo..) en remportant divers récompenses : meilleur film, meilleur scénario et meilleur acteur au Festival de Guadalajara (Mexique); meilleur film et meilleure photographie au Festival de Valdivia (Chili); meilleur film au Festival de Linares (Andalousie)… et désormais Prix du Public et Grand Prix du Festivial CinéLatino de Toulouse.

Mis hermanos de Claudia Huaiquimilla est à découvrir dans les salles françaises à partir de ce 13 mars !

Deux jeunes frères sont incarcérés dans une prison pour mineurs depuis un an dans l’attente de leur procès, avec les autres jeunes les journées passent à rêver de leur libération avec quelques rares visites de la famille. Une nouveau jeune de 17 ans plus rebelle arrive dans ce centre, il commence à évoquer une possible mutinerie pour essayer de tenter une évasion…

Rencontre avec Claudia Huaiquimilla réalisatrice et co-scénariste, avec aussi Pablo Greene co-scénariste et producteur :

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EcranNoir : Votre scénario a été inspiré par différents témoignages de situations difficiles dans une prison juvénile; comme ne pas connaître la date de son procès après un an, diverses violences, faire une tentative de suicide, une mère qui refuse de venir rendre visite à un fils enfermé…; comment est née l’envie de faire ce film et de raconter à la fois ces moments difficiles mais aussi plein de choses plus positives ?

Claudia Huaiquimilla : C’est un véritable défi d’écrire un scénario de cinéma tiré de la réalité de plusieurs histoires qu’on a entendues. Pour ce film on est parti de la recherche de témoignages de personnes réelles, et on nous a raconté plein d’histoires fortes et très tragiques. En fait on a écouté beaucoup plus de choses vécues et déplorables que ce qu’on voit dans notre film. Avec Pablo notre travail d’écriture est parti d’abord de tout ce travail documentaire d’informations rassemblées avant de passer au scénario. On a choisi plusieurs idées fortes, en l’occurrence celles qui nous permettaient de tirer un fil entre différentes histoires de plusieurs jeunes. Ce qui nous intéresse surtout c’est que malgré leurs douleurs on observe chez ces jeunes beaucoup de résilience, et de la fraternité. Et surtout beaucoup de résistance puisqu’ils parviennent tout de même à imaginer un futur à l’extérieur de la prison. Il y a ensuite toute ces notion du rêve mais il y a une sorte de mélange qui s’opère parce que comme ils reçoivent beaucoup de médicaments qui sont comme des drogues ils sont parfois dans un état second où ils perdent la notion du temps et de l’espace. Il y a ce rêve de s’échapper qui est impossible à réaliser dans la réalité, mais qu’il est possible de réaliser dans l’inconscient grâce à ce que génère le cinéma. Avec Pablo quand on a travaillé sur l’écriture du film on ne pensait pas au début à la structure du film complète, on a pensé d’abord aux personnages et on pensait à qui étaient les personnages qui allaient rentrer dans notre film. On s’est focalisé en particulier sur deux frères de 14 ans et 16 ans, qui est d’ailleurs la différence d’âge que j’ai moi avec mon propre frère. Sachant que tout le film allait se passer à l’intérieur du centre la seule échappatoire est pour eux mentale, par l’esprit. En connaissant ces histoires terribles on a voulu aussi arrêter de caractériser ces jeunes à travers leurs dossiers mais plutôt les montrer comme des individus à part entière. Ça nous intéressait beaucoup de travailler le rapport au quotidien qui passe entre ces jeunes garçons et ces jeunes filles du centre. Ce n’est pas quelque chose qu’on obtient en lisant des dossiers mais plutôt en se rendant directement dans des centres et en les rencontrant, ce qu’on avait fait notamment avec plusieurs d’entre eux lors de projections de notre premier film Mala Junta.

Pablo Greene : On a eu deux types de témoignages, des témoignages directs et des témoignages indirects. Ce que j’appelle témoignages indirects ce sont des articles de recherche et des livres d’autobiographie qui ont été écrits, il y a eu une sorte de boom autour de ce sujet des prisons juvéniles au Chili avec notamment des survivants qui ont écrit des livres, c’est un premier type de témoignages. Le deuxième type de témoignages ce sont des témoignages directs et c’est pour nous les plus importants, et ce sont des témoignages de gens qu’on a connus et rencontrés. Avec notre film précédent Mala Junta on a en effet eu cette opportunité de montrer ce film dans différents centres et de rencontrer à ces occasions à la fois des jeunes enfermés et aussi des employés de ces endroits. Tout ces gens nous ont raconté leur histoire, et ça nous a fait une sorte de large base de données où on a sélectionné certains récits qui pouvaient correspondre aux personnages qu’on avait choisi pour notre scénario. Notre intention c’était surtout de nous éloigner de tout ce qui était trop sordide, le sordide est trop lié au genre de films carcéral. Il y a certains films dans le cinéma latino-américain taxés de ‘porno-misère’ avec une tendance à filmer que ce qui est sâle, violent, mauvais. Nous on a observé des choses différentes, certes il y a des phénomènes de ce type mais on a aussi vu le contraire et c’est ce qui existe et c’est ce qui nous intéressait. On a vu beaucoup de lumière et beaucoup de sens de l’humour et beaucoup de loyauté chez ces jeunes enfermés, et on pensait que c’était ce qui valait la peine d’être montré de façon à rompre avec certains préjugés.

EcranNoir : Dans le film toutes les séquences entre les jeunes sont très naturelles et semblent authentiques, est-ce le résultat de beaucoup de répétitions ou au contraire la capture d’une certaine improvisation ?

Claudia Huaiquimilla : En général je fais assez peu de répétitions, et là dans ce cas précis il n’y a presque aucune répétition pour une raison assez évidente de temps à notre disposition. Le processus de pré-production du film a commencé le 20 octobre mais le 19 octobre il y a eu l’explosion des manifestations sociales au Chili (ndr : importantes manifestations du peuple à propos du pouvoir d'achat et des retraites contre le gouvernement qui a décrété un 'état d'urgence' avec l'armée déployée, puis un tiers des ministres ont été remplacés et la constitution modifiée), le pays a été paralysé, et notre équipe est sortie aussi dehors pour manifester. Seulement quelques scènes ont été répétées entre les deux frères mais donc pas de répétitions avec les autres jeunes acteurs. Ensuite ce qu’on a tourné est très fidèle à notre scénario, on a cherché à garder une ambiance assez protégée et intime de façon générale. On organise l’espace de tournage avec les jeunes acteurs et la caméra, l’ingénieur du son, et moi je fais en sorte de ne pas utiliser d’appareil très imposant en gardant près de moi un moniteur très petit. Je reste très proche des jeunes de façon à leur donner des consignes en permanence. Je leur demande de ne jamais s’arrêter de jouer jusqu’à ce que je dise ‘coupé’, en général ils réagissent aux choses qui se passent au fur et à mesure. En revanche si à la fin de certaines scènes si il y a des choses additionnelles qui surgissent alors dans ce cas on les insère dans une scène suivante. Je suis quelqu’un de plutôt timide qui souffre un peu d’anxiété sociale, je stresse rapidement si il y a beaucoup de monde, je fais en sorte que mon plateau de tournage soit très réduit. Je suis quelqu’un qui ne crie pas ni ‘action’ ni ‘caméra’ ni toutes ces choses là, de façon à maintenir une ambiance très calme et très intime. Je parle aussi avec parfois le même argot que ces jeunes de façon à établir une relation horizontale et également une relation d’amitié avec eux.

EcranNoir : En plus de tout ces jeunes acteurs il y a un personnage adulte très important joué par la célèbre Paulina Garcia (Ours de meilleure actrice au Festival de Berlin dans Gloria de Sebastian Lelio, aussi au Festival de Berlin dans Brooklyn Village de Ira Sachs, dans El Presidente et dans La Fiancée du désert tout deux au Festival de Cannes en 2017), comment cette grande actrice a rejoint votre film ?

Claudia Huaiquimilla : C’est une coïncidence amusante, on s’est rencontré un peu grâce à ce Festival de CinéLatino de Toulouse en 2018 ! On y avait été chacune invitées, la première fois qu’on s’est parlé c’était à l’aéroport au moment de passer les contrôles, elle est venue vers moi en me disant qu’elle me connaissait, forcément je lui ait dit moi aussi tellement elle est célèbre ! En 2018 Toulouse avait organisé des rencontres autour de différentes femmes du Chili qui faisaient du cinéma, et un débat avec l’une ayant une grande carrière et une autre avec un début de carrière. On s’est rendu compte qu’on avait beaucoup en commun même si elle vient de la classe haute de la société chilienne et moi d’un milieu plus populaire, malgré ça nos visions étaient très similaires notamment sur le rôle de l’art dans la politique. A ce moment là avec Pablo notre projet de second film était à peine ébauché, mais je lui avais parlé que ça serait intéressant de faire dans notre scénario une place pour une adulte même si c’est un rôle secondaire. Ce qui est fabuleux c’est qu’elle a été très heureuse de participer à notre film, elle a été très solidaire avec les jeunes acteurs non-professionnels avec qui elle se conduisait un peu comme une professeur, elle les a aidés. Paulina Garcia a un rôle de porte-parole dont elle a pleinement conscience qui est très important. Elle comprend son rôle du fait de participer en tant que actrice très connue dans un petit film indépendant, elle comprend que sa participation au film ouvrait des portes immenses.

Pablo Greene : Après cette première rencontre, quand le scénario du film lui a été envoyé elle a tout de suite beaucoup aimé. Elle a dit aux gens qui sont avec elle que quelque soit l’argent proposé en cachet, même si c’est très peu, peu importe elle acceptait de jouer dans notre film. Nous on a une immense gratitude envers elle parce que elle a pris des risques.

EcranNoir : L’épilogue du film indique qu’il y a eu beaucoup de drames tragiques dans différents centres de détention juvénile au Chili (trop d’enfants meurent en étant sous la tutelle de l’Etat), les gens là-bas qui ont déjà vu votre film réagissent comment face à ces graves problèmes ?

Pablo Greene : Il existe deux types de centres gérés par le SENAME (service national des mineurs) : il y a les CRC qui est un centre de régime fermé où les jeunes qui sont savent pour combien de temps ils y seront, par exemple six mois, ils savent qu’il y aura une fin à leur enfermement et c’est moins stressant de le savoir ; et il y a les CIP centre d’internement provisoire comme celui dans lequel se passe notre film où dans ce cas les jeunes ne savent pas ni lorsqu’ils y rentrent ni lorsqu’ils y sont quand est-ce qu’ils auront un procès ni combien de temps ils devront y rester. Comme un des jeunes de notre film, parfois il y en a enfermés depuis plus d’un an sans qu’il y ait aucune date de procès dans un lieu terrible, d’où le fait de leur administrer de ‘médicaments’ pour lutter contre l’anxiété et contre la dépression avec un effet de drogue, beaucoup plus qu’il ne faudrait. Il y a une grande négligence de la part du système notamment quand on regarde le nombre d’avocats commis des ces centres, le nombre d’assistants sociaux, le nombre de psychologues. C’est à dire que parfois il y a 1 seul psychologue pour l’ensemble du centre, ce qui est un énorme signe de désintérêt. Tout ça ne suffit pas évidemment à gérer ces jeunes. Ce qui nous fait dire que ces centres ne sont pas une priorité pour ce qui est de leur santé, de leur état mental, et surtout pour leur réinsertion. Ce qui est intéressant c’est qu’il n’y a eu aucun lieu construit expressément pour accueillir ces jeunes, ces CIP d’internement ont été soit aménagés dans des ex-prisons soit des des ex-centres de torture de la dictature. Dès lors qu’il n’y a eu aucune construction adaptée à des jeunes c’est déjà un signe très fort d’absence d’intention de réinsertion.

Claudia Huaiquimilla : Nous avons trois défis qui nous attendent à notre retour au Chili. Le premier c’est que nos deux films, celui-ci Mis hermanos sueñan despiertos et le premier Mala Junta, ont été choisis pour être diffusé à un public scolaire dans des lycées, donc des élèves pourront en parler à leur famille et des proches, et ça permet d’étendre le public. Deuxième défi c’est que après les salles Mis hermanos sueñan despiertos sortira aussi online sur une plateforme gratuite, c’est important pour nous qu’il continue à être visible. La troisième chose c’est qu’il va y avoir une séance spéciale du film qui sera pour les citoyens élus à l’Assemblée constituante qui sont en train de faire une nouvelle constitution, c’est né des récentes manifestations à travers le pays. On espère que le film aura un impact pour que dans la constitution soit prise en compte la nécessité de changer les Droits de l’enfant et de travailler sur ce sujet.

Pablo Greene : Quand notre film est sorti dans les cinémas au Chili c’était en fait un des premiers films a sortir après deux ans de fermetures des salles à cause de la pandémie. D’une certaine manière notre film a re-ouvert les portes des cinémas, même si c’était compliqué car il y avait une jauge limitant le nombre de spectateurs. Mais le film est resté longtemps à l’affiche, il passe encore aujourd’hui dans certaines salles alternatives. On a eu plutôt des bons chiffres, ça a été une belle carrière en salles. Nous on a accompagné beaucoup de projections, plus d’une trentaine, et à chaque il y a eu quelque chose de très intéressant qui s’est produit. Lors de la discussion post-film avec le public ça c’est transformé à chaque fois en discussion-témoignage parce que à chaque fois dans la salle il y eu au moins une personne qui était soit un ancien employé de ces centres là, soit quelqu’un qui avait été enfermé dans ces centres, soit quelqu’un qui avait connu une personne ayant été dans ces centres. Cette personne prenait la parole pour en quelque sorte valider notre film, pour dire combien telle situation est terrible, quelque chose de fort se passait. Pour le public c’était intéressant parce que on sortait de la fiction de notre film pour écouter quelqu’un qui après faisait un témoignage réel. Ça a provoqué des séances avec des discussions souvent cathartiques, et ça c’est quelque chose de fort. Nous on espère que notre film génère une intention de changement. Il y a notamment le SENAME (service national des mineurs) qui va changer de nom en espérant que ce ne soit pas seulement cosmétique et que derrière il y ait un véritable changement institutionnel. Des spectateurs après le film ont dit avoir envie de protester ou de manifester, il faut que des changements soient poussés par des gens.

EcranNoir : Votre film précédent Mala Junta avait remporté un Prix du Public au Festival CinéLatino à Toulouse et ensuite il était sorti dans les cinéma français en 2018, qu’en est-t-il d’une sortie française en salles pour Mis hermanos sueñan despiertos ?

Pablo Greene – Claudia Huaiquimilla

Pablo Greene : On voudrait que ça arrive, mais on ne sait pas encore. Mala Junta a eu en effet cette sortie en salles Chili et France, c’est d’ailleurs lié au jour où on avait reçu un Prix à Toulouse et de là est venue une distribution française. On voudrait que la même chose arrive cette fois-ci avec Mis hermanos sueñan despiertos, que le film soit aussi à ce festival de Toulouse est peut-être un facteur-clé pour la distribution. On sait que beaucoup de gens sont intéressés par ce sujet en France, nos meilleures projections sont celles où il y a eu un public jeune avec les meilleures questions.

Claudia Huaiquimilla : Les villes de Valdivia au Chili où j’ai de la famille et Toulouse sont mes villes de cinéma préférées, deux villes avec un festival qui m’ont déjà donné une récompense. Dans ces deux villes mes deux films y ont été vus et des gens m’en parlent, ça serait vraiment formidable que Mis hermanos sueñan despiertos sorte en France. Appelez-nous, et on est là !

…Quelques jours plus tard après cette interview les jurés du CinéLatino de Toulouse ont annoncés leur palmarès : Mis hermanos sueñan despiertos a reçu le Prix du Public et aussi le Grand Prix !