La clôture du 29ème Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul a été le moment pour les différents jurys d’annoncer leur palmarès, avec, en acmé, le Cyclo d’or pour The sales girl de de Sengedorj Janchivdorj (lire notre article).
Au FICA de Vesoul, il y a aussi une sélection de films documentaires en compétition (au nombre de 8 cette année) avec deux prix décernés : le Prix du public pour La langue de ma mère de Jean-Baptiste Phou et le Prix du jury jeune pour Roots in the Wind de Soraya Akhlaqi.
Après une séance de Roots in the wind, nous avons rencontré sa réalisatrice Soraya Akhlaqi, pour évoquer avec elle le sujet de son documentaire qu’elle porte intimement en elle :
Roots in the wind nous raconte quelque chose de peu connu à propos des Afghans ayant été contraints de quitter leur pays et pour émigrer en Iran : plusieurs décennies après, les générations suivantes qui ne connaissent rien de l’Afghanistan ne sont toujours acceptées comme citoyens iraniens… Comment cette situation perdure encore ?
Soraya Akhlaqi : Malheureusement cette situation continue encore, et personne ne peut dire si un jour ça changera. Depuis plus de quarante ans les immigrés Afghans vivent cette situation précaire et indécise en Iran, en tant que résidents temporaires. Ensuite, pour les deuxième et troisième générations d’entre eux, qui sont nés et qui ont grandis en Iran, ils sont toujours considérés comme des étrangers, ou comme des touristes en Iran, qui un jour devront quitter le pays.
Les différents témoignages du documentaire évoquent des discriminations qui viennent à la fois de l’administration du gouvernement mais aussi du peuple iranien : quelle solution y a-t-il entre rester indésirable en Iran ou risquer de changer de pays ?
Soraya Akhlaqi : Depuis que les talibans ont repris le pouvoir en Afghanistan, les conditions de vie de la population s’aggravent. Actuellement des millions de personnes y vivent dans la pauvreté, la faim et des privations, les filles n’ont pas le droit à l’éducation et les femmes ne peuvent plus travailler. Dans un pays où les femmes sont éliminées, quel avenir les gens peuvent-ils imaginer pour eux-mêmes ? D’autre part, nous savons que le franchissement illégal de la frontière présente de nombreuses difficultés. Chaque jour, nous entendons des nouvelles désagréables de migrants morts durant le trajet: ils commencent leur voyage alors qu’ils ne savent pas s’ils survivront jusqu’à ce qu’ils atteignent un nouveau pays. Retourner en Afghanistan dans la situation actuelle ne fait pas partie des options pour la plupart des Afghans vivant en Iran, car ils n’ont d’autre choix que de toujours vivre en Iran en tant qu’ ‘étrangers‘ en rêvant d’un avenir meilleur, ou de quitter l’Iran par les moyens disponibles, et migrer vers un nouveau pays. Pour la plupart d’entre eux, la seule option possible est une immigration clandestine. Et cela signifie risquer leur vie, en espérant avoir une vie meilleure…
Actuellement, l’Iran vit un vaste et long mouvement de révolte des femmes. Comment s’organise-t-on pour un tournage comme ce documentaire qui ne peut pas être autorisé par le système en place ?
Soraya Akhlaqi : En fait il est très difficile de faire un film en Iran, surtout pour des cinéastes indépendants. Et quand on est Afghan, et surtout si on traite de la question des immigrés vivant en Iran, c’est encore plus difficile. J’ai rencontré beaucoup de problèmes pour faire mon film. En Iran, vous avez besoin d’une autorisation pour faire n’importe quel type de film. Malheureusement, parce que je suis Afghane, ils ne m’ont pas donné l’autorisation de faire un film, et ils m’ont surtout prévenue que je n’avais pas le droit de faire un film sur les immigrés Afghans résidant en Iran ! Je cherchais une autorisation de production depuis des mois, et enfin un de mes amis iraniens a obtenu une autorisation de production pour lui, que j’ai réussi à utiliser pour mon propre film ! Pendant quelques jours j’ai dû filmer sans autorisation et en secret, ce qui était très stressant et compliqué ! J’ai envoyé mon film au festival du documentaire Cinéma Haghighat et au Festival international du court-métrage de Téhéran, qui sont parmi les festivals les plus prestigieux d’Iran, mais malheureusement il n’a pas été acceptés. Il n’est pas difficile de deviner que c’était à cause du sujet du film. Tout simplement parce que dans mon film, j’ai essayé de montrer les problèmes et les épreuves des immigrés Afghans, traités comme des parias en Iran.
Entre les différents témoignages de gens face caméra qui parlent de discriminations et même de perte d’espoir dans l’avenir, il y as plusieurs images d’une femme dont on ne voit pas vraiment le visage et qui semble tourner en rond avec une valise : pourquoi ce choix ?
Soraya Akhlaqi : Le fait que le visage de la femme ne soit pas visible était complètement délibéré. Le visage fait partie de l’identité. Ccette femme a perdu son identité à plusieurs niveaux. Dans une séquence, on la voit courir ça et là avec sa valise, la séquence de plans saccadés est destinée à transmettre la détresse, l’anxiété et la confusion. Elle cherche un endroit où elle pourra retrouver son identité. Mais où? Où qu’elle aille, elle regrette et change de direction. Elle s’enfonce dans les ténèbres puis atteint une impasse et finalement, au milieu de son errance, elle disparaît dans une direction inconnue. C’est une représentation de l’errance de la plupart des immigrés Afghans en Iran.
Roots in the wind a été vu dans une salle de cinéma au festival de Vesoul : on ressent quoi de voir son travail montré sur un grand écran en France ?
Soraya Akhlaqi : Pour être honnête, j’ai eu un sentiment un peu amer, car moi aussi je fais partie des milliers d’Afghans qui sont nés et qui ont grandi en Iran. Un pays où je n’avais pas d’identité et où j’étais toujours comme ‘quelqu’un d’autre‘. J’ai eu beaucoup de privations et de problèmes, notamment pour mon éducation. J’ai été victime de discrimination raciale et j’ai toujours été humiliée parce que j’étais Afghane. Je n’aurais jamais pensé qu’un jour je ferais de cette douleur un film et qu’il serait projeté dans l’un des festivals les plus importants de France. La première projection de Roots in the wind au Festival international du film de Vesoul a été pour moi un honneur et m’a donné l’occasion de parler de la situation des immigrés Afghans à son public, à travers mon film. Je suis sûre que c’est un prélude à de plus grandes étapes.