« Emily » : portrait d’une jeune fille au feu intérieur

« Emily » : portrait d’une jeune fille au feu intérieur

Emily s’ouvre avec une séquence où l’on découvre le personnage éponyme très malade. À côté d’elle, on aperçoit le roman Les Hauts de Hurlevent et l’une de ses soeurs. Flash-back classique : l’histoire qui va nous être racontée est celle la jeunesse de l’écrivaine Emily Brontë, au sein de sa famille, et bien avant qu’elle ne devienne une autrice reconnue. Autour de Emily-Jane (son prénom complet), ses soeurs et son frère font des études pour un avenir prometteur du point de vue de leur petit village isolé dans la campagne du Yorkshire. Emily apprend la langue française, comme ses soeurs, pour devenir institutrice. Mais Emily vogue plutôt dans le monde de ses pensées. Elle se raconte des histoires et s’imagine les écrire. La jeune fille a grandi dans une maison entourée de ses soeurs et corsetée dans les convenances de l’époque. Hormis son père, deux figures masculines vont commencer à troubler l’ordre établi dans son esprit : la ‘mauvaise conduite’ de son frère qui va devenir dépendant à un élixir d’opium, et surtout l’arrivée d’un nouveau et séduisant vicaire…

Corsets

Les trois soeurs Brontë sont passées à la postérité par leurs talents littéraires : Charlotte Brontë a écrit quatre romans dont notamment le classique Jane Eyre (adapté de multiples fois au cinéma), Anne Brontë est l’autrice de deux romans, et la cadette, Emily-Jane n’a publié qu’un seul roman avant sa mort, mais quel roman: Les hauts de Hurlevent, classique de la littérature occidentale. Le frère Branwell Brontë qui était considéré comme le talent le plus prometteur, et le favori du père, ne brillera ni par ses quelques peintures, ni par ses divers écrits. La famille Brontë avait déjà été le sujet d’un film biographique : Les Sœurs Brontë de André Téchiné (avec Isabelle Adjani, Marie-France Pisier, Isabelle Huppert, Pascal Greggory). En se focalisant sur Emily, ce biopic évite certains écueils du genre, jusqu’à s’en éloigner puisque l’histoire d’Emily Brontë y est ici assez romancée, à l’instar du récent Corsage autour de l’impératrice Sissi.

La scénariste et réalisatrice (et auparavant actrice) Frances O’Connor donne à voir avec Emily tout ce qu’on attend d’un drame romantique british inspiré de littérature romanesque et féminine : les fans de romance historique façon Orgueil et préjugés seront ravis. Au diable une réalité historique trop fade, la cinéaste choisit une légère irrévérence. Une jeune demoiselle qui va s’émanciper en découvrant une passion amoureuse réprouvée et qui va s’affirmer comme une écrivaine remarquée… De l’anti-déterminisme. L’acte même d’écrire un éventuel roman est, pour ses sentiments emmêlés, à la fois un refuge et une libération de ses sentiments emmêlés.

Etincelles

Cette Emily va affronter un monde plus grand que le sien, sous le regard réprobateur du père, surpassant les émotions du troublant vicaire et accompagnant la dépression son frère. Plusieurs séquences sont particulièrement marquantes dans son évolution : elle est d’abord perçue comme la cadette un peu bizarre (le jeu du masque), puis comme une jeune femme avide d’idéal (le cri liberté de la pensée !), et ensuite comme une femme de plus en plus exaltée par l’écriture. Le film Emily s’appuie grandement sur son interprète, la franco-britannique Emma Mackey, qui trouve là enfin un grand rôle qui la met particulièrement en lumière. Elle incarne totalement et avec exaltation cette Emily, avec ses regards chargés de non-dits et les vibratos exprimant sa rebellion grandissante. Elle sait véritablement faire briller Emily Brontë à l’écran, et nous fait vibrer à son tour.

Lors de sa présentation au Festival Britannique de Dinard, en compétition, Emily de Frances O’Connor a remporté le Hitchcock d’Or du jury doublé du Hitchcock du Public, en plus d’un Hitchcock de la meilleure interprétation pour Emma Mackey. A la dernière cérémonie des BAFTA, le BAFTA de la révélation 2023 a été aussi attribué à la comédienne. Révéle par la série Sex Education, premier-rôle féminin du médiocre mais populaire Eiffel, Emma Mackey est désormais appelée à Hollywood, avec cet été le film Barbie de Greta Gerwig.

Emily
Réalisation et scénario : Frances O'Connor
Durée : 2h10
Avec Emma Mackey, Fionn Whitehead, Oliver Jackson-Cohen, Alexandra Dowling, Amelia Gething, Adrian Dunbar...