Cannes 2022 | Men : Alex Garland à la racine de l’Horreur

Cannes 2022 | Men : Alex Garland à la racine de l’Horreur

Le nouveau film de Alex Garland, Men, en séance spéciale à La Quinzaine des Réalisateurs, est déjà en soi une sorte d’évènement : il y aura bel et bien une sortie en salles de cinéma en France. Pour le précédent de Alex Garland Annihilation, les fans avaient du se contenter d’un visionnage sur Netflix. On se doute que Men va jouer avec les même thématiques chères au cinéaste : confusion mentale et peur inconnue… Verdict : c’est tout a fait ça.

Cette fois, le cinéaste propose une nouvelle expérience où l’angoisse va monter progressivement, mais sans un subterfuge de science-fiction technologique. Après avoir été écrivain de romans et scénariste pour Danny Boyle pour ses films autour d’utopies collectives (La Plage, 28 jours plus tard, Sunshine) qu’il a commencé à imaginer des films d’anticipation avec le clonage (scénario de Never Let Me Go de Mark Romanek), l’intelligence artificielle (Ex machina), la mutation des espèces (Annihilation), et un algorithme informatique (la série Devs). Chez lui, il est beaucoup question de survivre dans une forme de société vouée à disparaître (une île, une épidémie, un vaisseau spatial, un laboratoire, une zone X), quand il n’évoque pas une certaine fin de l’Humanité.

La première surprise de Men est que tout semble beaucoup plus simple et plus normal, en apparence : une femme ayant vécu une tragédie dans sa vie intime décide de s’éloigner de Londres en louant une grande maison dans un petit village isolé, à la campagne. Le propriétaire lui fait visiter la confortable maison. Tout est charmant. Elle part se ballader dans la forêt avoisinante et se rend compte qu’elle est désormais très seule. L’ambiance bucolique change quand elle sent une ‘présence’ dans les parages…

Difficile d’en dévoiler plus, si ce n’est que la ‘présence’ va se révéler être effrayante, de plus en plus insistante, en voulant pénétrer dans la maison. Dès lors, la femme va alors devoir surmonter son plus douloureux souvenir et combattre la folle violence qui menace de lui être infligée. La véritable nature de cette ‘présence’ se fera plus précise au fur et à mesure qu’elle deviendra plus brutale dès son intrusion dans la maison…

Alex Garland a trouvé son héroïne idéale pour Men : l’actrice irlandaise Jessie Buckley fait forte impression dans chacun de ses films (chanteuse dans Wild Rose, une nomination à l’Oscar de meilleure acgtrice dans un second rôle dans The Lost Daughter, en attendant de la voir dans les prochains films de Sarah Polley et de Charlie Kaufman…). L’actrice incarne cette femme fragilisée par son passé en la rendant plus solide, brave et peu craintive, même face à un inconnu. C’est là tout le talent combiné de Alex Garland derrière la caméra et de Jessie Buckley devant : l’héroïne est une femme forte ayant déjà vécu une épreuve difficile, et les choses étranges qui surviennent au fil du récit vont faire monter l’angoisse chez le spectateur avant qu’elle n’en ait conscience.. Aussi, quand c’est elle sera effrayée, le spectateur sera déjà terrifié.

La peur provoquée par la ‘présence’, par sa nature particulièrement invasive et par sa grande violence imprévisible, est ici dans Men une allégorie symbolique où la narration même laisse une part à diverses interprétations. Le masculin est toxique, pervers, manipulateur, un ogre venu des contes cauchemardesques. Ici il est incarné par un acteur (Rory Kinnear), dont les multiples facettes sont autant de visages monstrueux, faussement rassurant, soi-disant bienveillant, a priori confiant. Pourtant, comme toujours avec Alex Garland, il est avant tout menaçant, inquiétant, agressif. Avec Men, Alex Garland propose une expérimentation sensorielle perturbante autour du trauma et de la culpabilité. Une variation psychanalytique et dépressive d’Alice au pays des merveilles, où l’hallucination bascule dans la plus pure horreur, quand la folie invasive s’empare de toute la raison et viole les dernières digues protectrices de l’équilibre mental.

Men
Festival de Cannes 2022 - Quinzaine des réalisateurs
Réalisation et scénario : Alex Garland
Musique : Ben Salisbury et Geoff Barrow
Image : Rob Hardy
Durée : 1h40
Distribution : Metropolitan filmexport
Avec Jessie Buckley, Rory Kinnear, Paapa Essiedu