Cannes 2022 | Avec R.M.N., Cristian Mungiu dénonce le communautarisme et l’isolationnisme

Cannes 2022 | Avec R.M.N., Cristian Mungiu dénonce le communautarisme et l’isolationnisme

On pense immanquablement au Ruban Blanc de Michael Haneke en voyant R.M.N. de Cristian Mungiu, son premier film en six ans. En installant sa caméra aux confins de la Transylvannie, au sein d’une communauté où se sont réfugiés allemands et hongrois, une sorte d’enclave isolée du pays, il filme un village en proie à des angoisses identitaires face à des menaces invisibles ou des peurs irrationnelles.

R.M.N. signifie résonance magnétique nucléaire, un principe qui a donné l’IRM. Le cinéaste roumain scanne en effet cette société où s’opposent traditionnalistes et progressistes, souverainistes et europhiles, chômeurs et entrepreneurs, église et police… Cela conduit au mitan du film à une scène d’une cinématographie époustouflante : un long plan séquence, fixe, où dans la salle des fêtes, chacun exprime son avis et débat autour de ses appréhensions. Tournée en une seule prise, la scène durant 17 minutes avec 26 intervenants qui parlent et s’interpellent. Une prouesse. Entre fake-news, complotisme, anti-wokisme, islamophobie, xénophobie, occidentophobie, homophobie, ignorance, obscurantisme, inégalités sociales ou lutte des classes, tout y passe. Mungiu montre alors l’incompréhension des peuples face aux changements. L’enjeu étant ici de savoir si trois sri-lankais peuvent faire le job mal payé dans une usine locale, seule grosse source de revenus du coin, quand la plupart des jeunes locaux migrent en Allemagne ou à Bucarest pour trouver un emploi.

Cristian Mungiu réveille ainsi toutes nos pulsions primitives : celle d’un enfant qui traverse une forêt où rodent des ours et des inconnus, celle d’un père (Matthias) qui souhaiterait retrouver son rôle patriarcal dans une société où les femmes décident de ce qu’elles veulent, celle d’autochtones, qui, après avoir chassé les gitans, aspire à ne plus coexister avec des étrangers forcément apporteurs de maladies, etc. Le tableau est sombre, à peine éclairé par le lumineux personnage de Csilla (Judith State, en état de grâce), assomée par tant de bêtise humaine et par l’animalité qui résonne (déraisonnablement) en chacun.

Plan après plan, le cinéaste scrute les comportements comme on fait une radiographie d’un corps aux multiples symptômes. Les virus se répandent tels des métastases jusqu’à un épilogue confus, où Matthias (Marin Grigore) semble halluciner et pourchasser une armée des ombres qui le cerne sans jamais réussir à chasser fantômes et fantasmes de son esprit. Qu’il traque un voleur de mouton, un travailleur étranger, une femme qui rabaisse sa masculinité et une amante qui humilie sa virilité ou des villageois déguisés en ours (à moins que ce ne soit l’inverse), sa quête est perdue d’avance. A trop vouloir trouver des coupables, il sombre dans une forme de folie et de violence impulsive qui le déboussolent.

Comme souvent chez Mungiu, les femmes ont le pouvoir, en tout cas celui de s’adapter et de s’élever, là où les mâles sont de plus en plus impuissants et dépassés. Avec R.M.N., plutôt que d’inscrire son récit dans un cadre étriqué et proprement roumain, il décide de filmer de manière abstraite une Europe en miniature, où cohabitent immigrés économiques, nationalistes (et parfois même séparatistes), citoyens européens et villageois identitaires. Même la langue est démultiplié entre l’anglais, le roumain, l’allemand et le hongrois. Dans ce village qui meurt, son film dépeint à travers une fiction classique, austère et rude, pas forcément plaisante ni aimable pour résumer, les sentiments et les colères de gens dépossédés de leur culture ancestrale et inquiets de l’évolution du monde.

C’est ce qui transcende le film : le repli sur soi. L’impasse dans laquelle tous se fourvoient mène droit dans le mur. Si ce n’était ce finale bâclé et brumeux, ce trop grand sérieux qui colore tristement toute l’histoire, on aurait pu y voir un grand film sur la difficulté à vivre ensemble. Car R.M.N. est un film sur l’échec (de chacun et de tous). En cela, reconnaissons à Cristian Mungiu l’envie de prendre partie pour ceux qui cherchent à aller vers l’autre, au-delà de leur commmunauté, sans préjugés ni haine. Même si la solidarité est une valeur fragile.

R.M.N.
Festival de Cannes 2022 - Compétition
Réalisation et scénario : Cristian Mungiu
Image : Tudor Vladimir Panduru
Distribution : Le Pacte
Durée : 2h05
Avec Marin Grigore, Judith State, Macrina Bârlädeanu, Osolya Moldovan, Ovidiu Crisan