Avant de dévoiler les lauréats de la 12e édition de la Queer Palm, son président-fondateur Franck Finance-Madureira a accepté de répondre à nos questions. L’occasion d’évoquer avec lui les nommés de cette année, son amour pour un cinéma libre et le Queer Palm Lab., un nouveau programme de mentorat annuel qui se veut un soutien à cinq longs métrages queer venus du monde entier.
En quelques mots, est-ce que tu pourrais nous résumer ton parcours ?
A 7 ans, j’ai décidé que j’allais être critique cinéma, en gros (Rires). En tout cas j’ai tout fait pour : j’ai fait une école de journalisme après le Bac, à Tours, j’ai travaillé tout de suite après, j’ai fait un stage de fin d’études dans une revue de cinéma qui n’existe plus, Le Mensuel du cinéma (1992-1994, ndlr.) Ça m’a mis le pied à l’étrier et j’ai commencé à piger. Vers 22-23 ans, j’ai commencé à trouver que c’était un milieu assez dur. J’ai pris un peu de recul et j’ai bossé dans la com’ pendant un temps. Et à un moment j’ai craqué, j’ai lâché la sécurité des belles missions que j’avais pour revenir à mes premières amours et à la critique cinéma.
Et ces dernières années ?
J’ai créé la Queer Palm en 2010. Avant ça avec Ava Cahen (nouvelle Déléguée générale de la Semaine de la Critique, ndlr) qui est vraiment ma partenaire professionnelle depuis le magazine Clap, on a créé la revue FrenchMania — en ligne depuis 5 ans et en kiosque et en librairie tous les 6 mois. Le numéro 3 est sorti le 15 mars de cette année et on prépare le numéro 4 pour le 25 septembre. J’ai aussi bossé pour Komitid et depuis un an, j’écris pour TÊTU, autant pour le web que pour le papier. Et ici à Cannes, j’ai ma chronique sur les films de la Queer Palm.
Quels sont tes rapports avec le Festival ? Se sont-ils améliorés ?
On a de super rapports avec la Semaine de la Critique, avec la Quinzaine des Réalisateurs et avec l’ACID — avec qui on a des discussions en amont sur les films sélectionnés. On a de très bons rapports avec les équipes du Palais, mais on n’a toujourspas de reconnaissance officielle du Festival. C’est peut-être la seule chose qui manque…
Comment est-ce que tu expliques cela ?
Il n’y a pas de volonté de la direction du Festival de nous reconnaître de façon plus affirmée.
Comment a évolué la Queer Palm au fil des ans ?
Je suis super content d’en être à cette 12e édition de la Queer Palm ! Ça a pris du poids, on a un partenariat avec le CNC et le Ministère de la Culture. Ce sont des choses importantes. Le prix est davantage reconnu, il a pris de l’ampleur. C’est sans doute l’événement queer français le plus médiatisé à l’international. Ça a pris de la valeur et je peux m’en rendre compte avec les messages que je reçois.
Quel genre de messages ?
Des messages de cinéphiles, de cinéastes émergents du monde entier pour qui, quand ils arrivent à Cannes, on est un point d’accroche, un repère.
Et tu lances le Queer Palm Lab. cette année. Vous l’annoncez comme un « programme de mentorat annuel », mais, concrètement, comment cela va vraiment se dérouler ?
On aimerait boucler le budget du Queer Palm Lab. d’ici la fin de l’année, lancer un appel à projets international pour des projets de longs métrages début 2023. Les cinq projets retenus seront annoncés à Cannes dans un an et mentorés pendant un an. Grâce au réseau qu’on a su créer au cours des ces 12 Queer Palm, et grâce aux deux ans de hiatus liés à la pandémie de Covis, nous avons pu développer ce projet et désormais les moyens d’aider ces jeunes cinéastes. On espère que ce lab leur permettra de rencontrer qui ils veulent. J’ai souvent autour de moi des personnes qui écrivent leur premier film et qui se demandent « Comment on parle avec son scénariste, un co-scénariste, une directrice de casting ? Qu’est-ce qu’on confie à un chef-op et jusqu’où on va ? »
Et quels seront les critères de sélection du Queer Palm Lab. ?
On aura un comité de lecture avec l’idée d’aider cinq projets, d’une réelle diversité ethnique, sociale et sexuelle. Dans le dossier d’inscription, on leur demandera un traitement du film et une simple lettre dans laquelle ils devront nous dire pourquoi eux doivent cette histoire. Moi ça me suffit.
Vous annoncez également une résidence, tu peux nous en dire davantage ?
Il y aura effectivement une résidence de 15 jours où les cinq cinéastes sélectionnés seront réunis dans une ville européenne et là, on fera appel à des intervenants de haut niveau, des personnalités internationales reconnues dans leur domaine. Ça leur permettra de discuter entre eux, d’avoir des regards extérieurs, d’apprendre à pitcher leurs projets.
Le public pourra-t-il suivre tout cela ?
On a l’idée de tout documenter en effet ! Que chacun puisse filmer et suivre toutes les étapes de son projet. On formalisera certainement ça par des petits journaux vidéo. Il y aura une chaîne YouTube pour que tout le monde puisse voir les avancées. On voudrait très tôt créer une communauté autour de ces projets afin d’en récompenser un à la fin. Et si on parvient à avoir le budget rêvé, on les ferait venir ici à Cannes. Et avec un peu de chance on pourra créer un événement autour de ça : une espèce de marché du film queer avec notamment les cinq cinéastes du Queer Palm Lab.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de démarrer cette nouvelle initiative avec Ava Cahen ?
Le fait d’avoir créé la Queer Palm, que ce soit devenu une marque valorisée, induisait la question : « qu’est-ce qu’on en fait maintenant ? » Nous voulons être à un endroit où l’on peut aider à développer des projets, notamment sur des sujets queer, avec des réalisateurs LGBTQI+ qui ont souvent plus de difficultés à réaliser un premier long. Ils ne sortent pas forcément des circuits traditionnels de cinéma ou ils portent des histoires parfois plus difficiles à produire. Pour cela on va chercher des profils de cinéastes très variés.
Comme dans les jurys de la Queer Palm ?
Comme dans les jurys ! J’estime que si nous, queer, on ne cherche pas à ouvrir [le cinéma à tous], notamment aux personnes racisées, alors personne ne le fera. J’espère que le Queer Palm Lab. permettra de faire émerger des cinéastes trans, racisés ou de territoires où ces histoires-là sont plus compliquées à produire.
Ces cinéastes dont tu parles devront-ils nécessairement être LGBT+ ?
Je ne vais pas dans le lit des gens, ça ne m’intéresse pas. Moi ce qui m’intéresse c’est de savoir d’où vient leur envie de raconter leur histoire. J’ai plein de jurés hétérosexuels dans mes jurys. Mais ils sont là parce qu’ont un intérêt pour les sujets queer. Je pense qu’on peut tout à fait être queer et hétérosexuel.
D’ailleurs, pourquoi cet attachement au mot « queer » ?
Je n’aime pas forcément la notion de « LGBT » parce que souvent ça re-labellise. La notion de « queer » est plus ouverte selon moi.
Est-ce qu’on peut s’attendre à quelques surprises liées au Queer Palm Lab. ?
Eh bien ce qu’il est important de dire c’est qu’on a déjà un parrain pour cette première édition, il a accepté la semaine dernière : c’est Lukas Dhont [le réalisateur de Girl, Queer Palm 2018, et en compétition cette année avec Close, ndlr].
Pourquoi Lukas Dhont et pas Xavier Dolan par exemple ? Il a été sélectionné à la Queer Palm à chaque nouveau film depuis sa création et il l’a remportée.
Oui, une fois. Disons, que, pour moi, Lukas [Dhont, ndlr], c’était une évidence.
Depuis la naissance de la Queer Palm, quel film sélectionné aurait selon toi mérité de remporter la Palme d’or ?
Y a-t-il des frustrations quand le lauréat ne vient pas ?
Jamais ! Les cinéastes sont et seront toujours heureux d’être récompensés ici.
Alors que la presse écrite est en crise et que la cinéphilie se déplace en ligne, comment une revue telle que FrenchMania parvient à exister ?
Un média comme FrenchMania est, déjà à la base, conçu pour être un média de niche. On a voulu faire un bel objet et c’est pour ça que les deux premiers numéros n’étaient dispos qu’en librairie. Dsormais on apparaît dans quelques Relay.
C’était quoi l’idée maîtresse derrière FrenchMania ?
Pas de faire de la critique de cinéma mais de parler du cinéma francophone ! C’est la thématique qu’on a choisie : on veut mettre en avant des réalisateurs et des réalisatrices qui, à notre sens, font vraiment bouger le cinéma français. On a réalisé que les gens n’ont pas assez l’œil sur le jeune cinéma français qui est pourtant très dynamique. C’est un cinéma qui a des choses à dire.
Pour toi, c’est quoi un film queer ?
Pour moi, c’est d’une part un film qui va raconter des histoires de personnages queer, des histoires de sexualités différentes, qui casse les codes. Un film féministe c’est un film queer parce que c’est le même combat. Il y a des films qui peuvent être queer par la forme, tout comme un point de vue peut être queer. On en voit peut-être moins à Cannes et plus à Berlin. Quelqu’un comme Nadav Lapid [le réalisateur de Le Genou d’Ahed, prix du jury à Cannes l’an dernier, ndlr] par exemple a un regard très queer.
Ça arrive de trouver après visionnage qu’un film n’est pas assez queer ?
Oui ça arrive souvent parce qu’on ne voit pas les films avant qu’ils soient sélectionnés ! Mais ça peut-être de très bons films, c’est juste qu’il leur manque un petit quelque chose pour qu’ils soient dans les débats finaux.
Tu aurais un exemple ?
On a vu le film d’Emmanuel Mouret, Chronique d’une liaison passagère. J’adore le film et le cinéma d’Emmanuel Mouret, Sandrine Kiberlain est géniale dedans, elle a une aventure avec une femme mais ça n’en fait pas pour autant un film qui pourrait avoir la Queer Palm. Mais tout le jury l’a vu avec plaisir et on est ravi de l’avoir dans la sélection.
Y a-t-il eu des années où les discussions finales ont été houleuses ?
Oh oui ! Parce qu’il faut rappeler que le jury est composé de professionnels du cinéma et c’est un prix de cinéma. Dès qu’on parle de cinéma, il y a des débats, des affinités, des sensibilités. C’est houleux comme ça doit l’être pour n’importe quel prix.
De nouveaux prix dans la Queer Palm pourraient-ils apparaître ?
Oui c’est bien prévu mais je ne peux pas trop t’en dire… pour l’instant.
Comment imagines-tu la Queer Palm dans 10 ans ?
Elle est dure celle-là ! (Rires.) Moi j’aimerais bien qu’elle n’existe plus. Ça voudrait dire que le monde a changé et qu’on n’aurait plus à mettre en avant la diversité mais qu’elle serait bien là. Je sais très bien que la Queer Palm existera toujours mais dans l’absolu, j’aimerais bien que l’universalisme ne soit pas qu’une chimère. Tu sais, j’étais chez Act-Up pendant longtemps et je me suis occupé de la communication des 20 ans de l’association : l’invitation c’était un avis de décès qui disait « Nous sommes ravis de vous inviter au 20e anniversaire d’Act-Up » J’aimerais vraiment qu’à un moment on n’ait plus besoin de tout ça.
Et le Vertigo [boîte de nuit queer spécialement ouverte durant le Festival de Cannes] dans tout ça ?
Eh bien heureusement qu’il y a le Vertigo ! C’est la maison ! (Rires) Pendant 12 jours, pour nous, pour l’équipe, c’est comme si on recevait nos amis. C’est aussi une espèce de lieu de networking informel et très sympa la nuit. C’est un lieu tel un cocon, une petite bulle familiale. L’endroit inspire ça avec les shows drag et la super bonne ambiance. Après deux ans d’absence, c’est un lieu qu’on a tellement de plaisir à retrouver !
Le palmarès de la Queer Palm sera révélé ce vendredi 27 mai. Crédit photo : Aurélie Lamachère