Je verrai toujours vos visages : filmer la justice avec justesse

Je verrai toujours vos visages : filmer la justice avec justesse

La justice restaurative? Une facette d’un système, entre résilience individuelle et psychanalyse collective, qu’on ignore. Remercions Jeanne Herry d’éclairer ce pan judiciaire qui convoque tous les aspects positifs de l’humanité après un trauma.

Après avoir décortiqué le labeur des travailleurs sociaux liés à l’adoption, l’accouchement sous X et l’aide sociale à l’enfance dans Pupille, elle renoue avec le même formalisme : une multitude de destins personnels qui se confrontent à une administration loin d’être distante mais régulée à l’extrême.

Je verrai toujours vos visages est remarquablement efficace. Tant dans son propos que dans sa mise en scène. A mi-chemin entre un documentaire, par la précision dans l’écriture sur le système associatif au service du judiciaire, et une fiction romanesque, par la diversité des personnages et de leurs histoires.

Deux salles, deux ambiances

Le film est dual. D’un côté, un groupe de trois victimes face à trois prisonniers. Côté victimes, Miou-Miou, décidément trop rare tant sa sensibilité bouleversante crève l’écran, Leïla Bekhti, cash et empathique, et Gilles Lellouche, dont le jeu ne cesse de s’améliorer au fil des ans. Côté prisonniers, Dali Benssalah, assurément l’un des meilleurs jeunes acteurs du cinéma français actuel, Fred Testot, suprenant et à sa place, et Birane Ba, grande révélation du casting.

De l’autre côté, une jeune femme seule face à sa peur de croiser de nouveau son frère, qu’elle a envoyé derrière les barreaux. Adèle Exarchopoulos confirme qu’elle est l’une des plus grandes comédiennes contemporaines dans ce personnage sur le fil. Et quand Raphaël Quenard apparaît, on devine le potentiel de l’acteur, ltout en retenue intérieure et en souffrance rentrée.

Au milieu, une équipe de bénévoles de haut vol : Jean-Pierre Darroussin, toujours impeccable, Denis Podalydès, Anne Benoît, et avant tout, Elodie Bouchez, impériale.

Je verrai toujours vos visages aurait pu être casse-gueule à de multiples niveaux : un film de dialogues nécessite une certaine emphase, un drame sur la justice doit éviter tout moralisme et tout manichéisme, un film « choral » contraint à un certain équilibre entre les récits.

Kaléïdoscope cohérent

Jeanne Herry s’en sort haut la main en contournant habilement tous ces écueils, sans jamais chercher à manipuler l’émotion. Ni naïf, ni simpliste, le scénario repose sur la complexité des émotions et la contradiction des opinions. Tout le sujet du film – comprendre l’autre et éventuellement lui pardonner, ou pas – enrobe les conflits avec une certaine justesse, pour ne pas dire justice. Il s’agit de réparer les lignes de fracture, de combler les failles béantes, de construire un pont par dessus un fossé vertigineux.

Cet espace de dialogue et de médiation est parfaitement rendu, dans des huis-clos loin d’être étouffants. De ces drames ordinaires et violents (vol à l’arraché, braquage, séquestration, inceste), racontés par les victimes et expliqués par les coupables, la cinéaste en tire une certaine utopie où la parole et l’écoute sont plus fortes que les peines (émotives ou de prison). En retissant un lien social et humain, elle trouve un moyen théâtral (nul ne doute que le film sera un jour adapté sur scène) de montrer à quel point les mots sont essentiels pour guérir des maux.

Sa caméra laisse le temps aux visages de s’exprimer et au verbe de se déployer. Sans révolutionner le cadrage ou le montage, la réalisatrice fait preuve d’un talent certain à rendre dynamique toute cette mécanique. On sort de son film avec l’espoir que l’humain peut changer, s’améliorer, ou tout simplement panser ses plaies avec la simple force de la vérité. Ce n’est pas rien.