Cela faisait six ans qu’on n’avait pas eu de nouvelles de Stephen Frears. Il faut dire que les grands noms du cinéma britanniques des années 1970-2000 commencent à vieillir : Ridley Scott, 85 ans, Ken Loach, 86 ans, Terry Gilliam, 82 ans, Peter Greenaway, 80 ans, Mike Leigh, 80 ans, John Boorman, 90 ans… Frears, de son côté, file sur ses 82 ans cette année. Les papys font de la résistance. Ils sont encore en activité, certains en tournages, d’autres prêts à fouler le tapis rouge des grands festivals cette année.
Des héroïnes touchantes
Frears, autrefois prolifique pour le petit écran puis pour le grand, a connu plusieurs périodes : les drames sociaux sous Thatcher, des productions hollywoodiennes (après son plus grand film, Les liaisons dangereuses, en 1988), alternant avec des comédies sociales typiquement britanniques (et populaires), et un virage vers les films historiques et biographiques. Il ne s’est j’amais entiché d’un genre – film noir ou thriller, œuvre teintée de burlesque ou drame réaliste. Tout juste peut-on trouver un point commun à presque tous ses films depuis vingt ans : ses héroïnes, tenancière de music-hall ou reine d’Angleterre, philanthrope croyant savoir chanter ou ancienne strip-teaseuse devenue joueuse de casino, etc. Il adapte Colette ou Posy Simmonds, fait tourner les grandes doyennes (Helen Mirren, Judi Dench, Meryl Streep) et réussi ponctuellement à nous séduire ou nous émouvoir avec de belles histoires (The Queen, 2006, Philomena, 2013).
En clair, un cinéaste efficace, humaniste, qui aime les fêlures, issues de traumas passées ou d’un présent oppressant, tout comme il sympathise avec les rêveurs, orgueilleux ou amoureux. Mais depuis Victoria & Abdul, il n’avait rien tourné. The Lost King, cinquième film consécutif dans sa filmographie inspiré d’une histoire vraie, lui permet de revenir dans l’actualité, alors même qu’il s’engage sur un nouveau tournage, Billy Wilder & Me.
Roi et reine
A la conquête de Richard III, Stephen Frears nous embarque dans une aventure minimaliste mais passionnante.
Philippa, une mère de famille un peu dépassée, séparée de son mari, trop vieille pour une promotion tant attendue, en pleine dépression, s’entiche par hasard d’un mystère historique : la dépouille du roi Richard n’a jamais été retrouvée. Plusieurs hypothèses ont perduré au fil des siècles, tandis que la pièce de William Shakespeare continuait de lui faire une sacrée mauvaise réputation. On pourrait croire à un récit imaginaire : or, tout est authentique. Cette femme de la classe moyenne, par sa détermination, ses intuitions et ses découvertes va réussir deux exploits : réhabiliter ce roi pas si monstrueux et situer le lieu où il gît. Même si les politiques et autres archéologues d’alite s’approprieront son succès, cela lui vaudra d’être remerciée et anoblie pas la Reine.
Le charme que procure le film tient beaucoup à son interprète principale, Sally Hawkins, véritable dame de cœur au jeu piquant dans ce feel-good movie. Frears la câline de bout en bout pour nous emporter dans sa chasse au trésor singulière.
Comme dans Be Happy (de Mike Leigh, qui l’a souvent enrôlée), les Paddington, La forme de l’eau (de Guillermo del Toro), la comédienne sait insuffler ce qu’il faut de suavité et de légèreté dans un personnage déprimé, qui peut s’avérer tour à tour mélancolique, combattif ou remonté.
Philippa et le roi maudit
Avec le scénario de Steve Coogan (qui interprète le mari tout aussi paumé) et de Jeff Pope (déjà à l’écriture du bouleversant Philomena) est très convenu, mais d’une classique efficacité, la mise en scène ne cherche pas à produire des effets ou des efforts : tout se focalise sur la narration d’un récit insolite et réel, ponctué de quelques hallucinations mimant l’obsession de Philippa pour ce roi maudit.
Petit aparté : Richard III a longtemps été considéré comme un monstre, un assassin et un bossu. La pièce de Shakespeare, écrite un siècle après sa mort, a renforcé cette mauvaise réputation, sans preuves historiques. Certains invoquent une propagande macchiavélique de son successeur, le notoire salopard Henri Tudor. Ainsi depuis le XVIe siècle, les ricardiens cherchaient à réhabiliter ce roi, pas plus déviant et violent que les autres, mais sans doute plus éclairé et très réformiste.
Tout cela, Frears l’explique, sans originalité mais avec une facilité et une fluidité qui forcent le respect. Pour réveiller d’entre les morts ce monarque qui avait clamé selon Shakespeare « Mon royaume pour un cheval! », il invoque une femme ordinaire et obstinée, qui n’a besoin que de ses recherches et de ses intuitions pour révéler le lieu où il fut enterrer. On flirte avec le sujet de The Dig de Simon Stone (2021), même si ici, les universitaires et politiques sont plutôt des empêcheurs de fouiller en rond, avant de s’approprier cyniquement la découverte.
Chasseuse de fantôme
C’est aussi une manière pour le cinéaste de montrer l’importance des faits historiques versus les fake news et autres légendes colportées, de démontrer également qu’il ne faut jamais mépriser les fous quand les soi-disant savants sont paralysés par leurs certitudes. Dans cette « Ghost Story » d’un autre genre, on mêle la présomption d’innocence d’un vieux cold case avec la critique murmurée d’un patriarcat rabaissant et humiliant. C’est sans doute cela qui a intéressé le réalisateur. S’il ne signe pas son plus grand film, s’il assume la modestie de l’œuvre, le cinéaste se plaît à écorcher quelques grands thèmes dans l’air du temps pour rester dans le coup.
Si les uns courent après les honneurs, le réalisateur s’en moquent, préférant les renvoyer à leurs rôles d’usurpateurs. Mais, au-delà de ce sous-texte abordé superficiellement, il réussit avant tout, en plus de rendre sa dignité au Roi défunt, à anoblir cette femme, historienne illégitime aux yeux de tous, spoliée par des mâles condescendants et hypocrites. Il soigne ses maux et son amertume avec le baume apaisant d’un scénario chaleureux et avec le vernis d’un joli film qui lui rend hommage. Ainsi, The Lost King allie la résurrection d’un cinéaste, d’une femme, et d’un monarque.