Tétris : biopic à suspense autour d’un jeu addictif

Tétris : biopic à suspense autour d’un jeu addictif

Cinq ans après le très classique Stan & Ollie, biopic sur Laurel et Hardy, Jon S. Baird revient avec une autre histoire vraie, plus surprenante. Tandis que Ben Affleck s’intéresse à la magie de la basket Air de Nike ou plus anciennement David Fincher à l’origine de Facebook dans The Social Network, le cinéaste écossais se prend au jeu d’une autre success story, celle de Tetris.

Et contre toute attente, c’est plus passionnant que le jeu puzzle avec ses briques colorées. Le film, diffusé sur Apple, assurément l’une des meilleures plateformes actuelles côté séries et films, reprend les codes du thriller d’espionnage, à la manière d’un autre film de Ben Affleck, Argo (jusque dans le final à l’aéroport de Moscou).

C’est un jeu géopolitique et capitalistique qui se met en place devant nos yeux. Une plongée dans les années 1980, quand les soviétiques et les occidentaux se livraient une guerre froide. Au cas où vous l’ignoreriez, Tetris est une invention communiste (c’est à dire un fonctionnaire russe qui n’a aucun droit moral sur sa propre création). Ici, point d’armes nucléaires et de war games. L’enjeu est une bataille de droits : l’inventeur du jeu, son employeur un peu dépassé, un petit poisson américain qui veut acquérir Tétris, et deux requins, soit l’empire médiatique Maxwell, et ses accointances avec Gorbatchev, et le géant électronique japonais Nintendo.

Holding Out of a Hero

Un jeu aussi simple à l’histoire véritablement complexe. Dans les parages : les jeux d’arcade, la console Sega, la Game boy naissante, Mario Bros pas très loin. On est aux origines du jeu électronique, quand celui-ci est en passe de devenir un produit de grande consommation.

Avec une quarantaine d’années distance, on s’amuse même de l’ignorance crasse de ces décideurs (le fils de Maxwell est incompétent en diable, les « Bolchéviks » sont aux abois et paumés) qui doivent définir le mot ordinateur, alors qu’au Japon on en est à inventer le PC portable et la console mobile. Le cinéaste fouille archéologiquement les vestiges d’une époque cruciale en matière de mutations technologiques.

Les bonnes idées n’ont pas de frontières.

Avec tous les filous qu’il met en scène, en déformant souvent la réalité, jusqu’à enjoliver certaines étapes, Jon S. Baird s’intéresse avant tout à ces tractations commerciales entre milliardaire sans scrupules, système oppressif, innovateur pragmatique, intermédiaire minable, inventeur dépassé et entrepreneur déterminé.

Let’s make lots of money

Espionnage, négociations, coups de bluff, menaces, chantage : le système soviétique, écrasant toute individualité, est finalement le grand perdant de ce vaudeville aux multiples trahisons. Evidemment, le scénario est construit de telle manière que le spectaculaire et l’irréalisme l’emportent sur l’authenticité et la sincérité. Divisé en trois actes de 40 minutes chacun – le rêve, la négo et la chûte -, il plaide pour la revanche des petits face à la fin d’un monde (un empire capitaliste fortement déficitaire et un régime communiste au bord de l’implosion).

On suit ainsi le périple d’Henk Rogers, modeste entrepreneur américain qui suit son instinct (Taron Egerton, nickel), comme on passe les niveaux du jeu. En espérant que le vainqueur soit du bon camp.

Divertissant et instructif, le film trouve une façon de parler de jeux vidéos autrement qu’en l’adaptant sur grand écran. Pas de répit pour le spectateur, qui, en bonus, s’offre une bande orignale très pop des années 1980. Finalement, Tetris, le film, n’a pas grand chose à voir avec Tetris, le jeu. On dépeint ici davantage les arcanes d’une appropriation matérielle : une pépite soviétique passée dans le camp de l’Ouest, qui a su capitaliser sur des dizaines de millions de joueurs pour devenir un objet de culte pop.