Cannes 2023  | Jeanne du Barry : Cendrillon racontée par Stéphane Bern

Cannes 2023 | Jeanne du Barry : Cendrillon racontée par Stéphane Bern

Loin de nous l’envie d’être insolents. Mais qu’est-il arrivé à la réalisatrice du Bal des actrices et de Polisse, deux films profondément vifs et sensoriels, ancrés dans le réel, pour qu’elle nous entraîne dans une romance Harlequin aux allures de conte de fée Disney? Car Jeanne du Barry, malgré une direction artistique irréprochable à faire pâlir le Met Gala et quelques scènes de reconstitution formidables (comme le lever du Roi), ne s’avère rien d’autre qu’un Angélique marquise des Anges dans un Secrets d’Histoire raconté par Stéphane Bern, ou un Cendrillon narré par l’historien Alain Decaux.

Maïwenn se perd dans les couloirs de Versailles au gré de cette romance fleur bleue avec des sang bleu. Sans doute, telle Narcisse, s’est-elle trop regardée dans les miroirs de la Galerie des Glaces… Si encore ce désir d’être regardée ou ce plaisir de regarder se traduisait sur le grand écran. Mais, trop occupée à se donner le beau rôle, l’actrice prend le dessus sur la réalisatrice et nous livre un film historique fastidieux dès le prologue.

« Les filles de rien ne sont-elles pas prêtes à tout? »

Elle ne s’est pas aidée avec un scénario sans enjeu majeur, une intrigue noyée dans l’eau de rose, une musique pompière et une voix off omniprésente et agaçante qui nous explique tout avec condescendance. Didactique de bout en bout, le film ne laisse aucun espace d’évasion et s’empêche même de respirer pour prendre son souffle. Jeanne du Barry suffoque tout le long du drame : dans ses origines modestes, dans ses habits de courtisanne, dans sa passion vulnérable. Si bien que ce mélo historique ne parvient jamais à prendre son élan et à s’affranchir de ses carcans. Un comble pour le portrait d’une femme si « audacieuse » pour l’époque.

Et on ne croit pas plus à cette jeune fille sous les traits d’une quadra, ni à son empathie pour son page, ni même à la gentillesse du dauphin Louis XVI (incarné de manière pâteuse par le fils de la comédienne). Passons sur les contre-vérités historiques, l’absence de contexte politique dans l’arrière-plan, l’admiration aveugle pour sa libertine. Le film, à l’instar de Corsage l’an dernier avec Sissi, se fiche des faits pour ne s’attacher qu’aux sentiments et aux émotions. Malheureusement, d’émotion, on n’en ressent que très peu.

Mon roi

D’autant que cette ambitieuse qui aspire modestement à « boire, manger et lire » ne montre rien de ses talents avoués. La chair est inexistante dans ce film prude, alors qu’il n’est question que de ça. Maïwenn ne sait pas quel angle choisir pour ce tableau mondain, entre précieux et ridicules, entre poudrés poussiéreux et pantins manipulés. On comprend bien le reflet autobiographique dans ce biopic historiquement révisionniste. Est-ce surprenant, alors, de découvrir une fascination pour les hommes (qu’ils soient violents, puissants, infidèles, toxiques, ils sont toujours pardonnés) et une réelle aversion pour les femmes (aigries, mesquines, méchantes, enlaidies, idiotes, etc.)? Jeanne du Barry aurait pu être un éloge du féminisme, c’est un pamphlet anti #Metoo.

Dans Mon roi, elle explorait l’emprise d’un homme sur une femme. Ici, elle préfère adouber les complices d’un patriarcat assumé où la femme n’est bonne qu’à la galanterie et aux frivolités. Sans doute a-t-elle été fascinée par la vie de la Comtesse, partie de rien pour arriver au sommet de l’escalier des cent marches. Sans doute a-t-elle cherché à montrer qu’on pouvait aimer sincèrement les hommes sans les clouer au pilori pour leurs malversations et autres manigances.

« – C’est grotesque!

-Non, c’est Versailles »

Hélas, à notre époque, cela détonne et, pire, cela manque de discernement. C’est tout juste culotté. Ce n’est pas la petite touche de modernité dans les dialogues qui comblera cette soumission d’une femme à ces queutards arrivistes. Se battre contre des convenances et des rumeurs, s’essayer au jeu des alliances et des contrats : tout cela ne suffit pas à réhabiliter la Du Barry, décrite comme victime d’un complot politique, alors qu’elle n’est que le jouet d’une élite survivaliste.

Maïwenn s’est employée à en faire une First Lady d’exception, une Jackie Kennedy avant-gardiste. Même sa relation avec le jeune Page africain est idéalisée, quand on sait, par les témoignages de l’époque, qu’il était humilié et insulté à longueur de journées. La provocatrice fait place à la bienveillante, l’aguicheuse de fortune est remplacée par l’anticonformiste influenceuse.

Nulle grâce, mais une belle disgrâce. Pas seulement pour le personnage, mais aussi pour la réalisatrice. Si elle s’offre la vie de château, avec surdose d’amour, de gloire et de beauté, elle oublie quelques règles du genre : ne jamais s’éloigner du sujet, même en lui montrant le dos. Or, on ne sait jamais ce qu’elle veut nous raconter, ni où elle veut arriver. La longue agonie du Roi en est le fait le plus saillant : elle déporte son film sur Louis XV, mettant dans l’ombre sa Jeanne pendant presque toute la fin du film, dont l’épilogue est expédié en quelques phrases.

Le bal des acteurs

Mais peut-être y a-t-il eu une révélation en salle de montage. S’entourant de grands interprètes, sans doute pour montrer qu’elle peut leur donner la réplique, Maïwenn a fait deux choix qui sauvent le film de l’embarras total. Savoureux, Benjamin Lavernhe, en serviable médiateur, expose toute l’étendue de ses nuances et habite chacun des plans où il est filmé. Elle en fait un personnage essentiel dans la mécanique du pouvoir.

Etonnant, Johnny Depp est un parfait souverain sur le déclin, mais sûr de son pouvoir. Avec un accent pas si atroce, et un minimalisme bienvenu, il impose une présence qui se résume en une scène : plutôt que d’exploser de colère contre sa belle-fille et sa fille ainée, il reprend les codes des acteurs du muet pour exprimer sa rage royale. Sans doute bluffée par leurs talents respectifs, la réalisatrice éclipse l’actrice à leur profit pour aboutir à un dernier tiers crépusculaire bien plus intéressant. Comme si, finalement, Jeanne/Maïwenn déposaient les armes face au poids séculaire et triomphal d’un pouvoir broyeur de destinées et vérolé de l’intérieur.