Cannes 2023 | L’animation fait (un peu) sa place

Cannes 2023 | L’animation fait (un peu) sa place

Ça devient une habitude : tous les ans, on déplore le manque de place consacrée à l’animation à Cannes – et l’on pourrait tout aussi bien le faire autour du cinéma expérimental, et dans une moins mesure du cinéma documentaire, très souvent relégué en séances spéciales et à Cannes classics, même s’il bénéficie cette année de deux films en compétition et un à Un Certain Regard. À croire que pour l’un des plus grands festivals du monde, en tout cas celui qui le clame le plus haut et le plus fort, le cinéma se résume globalement à des films de fiction et/ou en prise de vues réelles.

Pour ce qui est de l’animation, le chemin reste en effet compliqué. La question de sa juste place continue de se poser et, comme toujours avec les quotas, il s’agit de savoir ce qui est acceptable : 10 sur 100 ou 4 sur 147 ? Cette année, le ratio tourne autour de 4,31* longs métrages d’animation sur les 147 présentés toutes sections confondues. Soit, et c’est là que ça devient intéressant, un film à l’ACID (Linda veut du poulet de Sébastien Laudenbach et Chiara Malta, Miyu productions), un en clôture (Élémentaire de Peter Sohn, Pixar), un en séance Jeune public (Robot dreams de Pablo Berger, Les films du Worso), un… sur la plage (Mars express de Jérémie Périn, Everybody on Deck) et un film en prise de vues continues avec des séquences animées à la Semaine de la Critique (Ama Gloria de Marie Amachoukeli).

Un blockbuster plutôt qu’un film d’auteur indépendant

Mais peut-être, me direz-vous, la production de longs métrages animés ne permet-elle pas de faire mieux ? Le Festival ne peut pas inventer les films qui n’existent pas. Certes. Pourtant, un rapide coup d’oeil rétrospectif du côté de la Berlinale permet de vérifier qu’il existe des films d’animation jugés dignes d’une compétition de festival de catégorie A (ouf !), et un autre coup d’oeil vers la sélection 2023 du Festival d’Annecy permet de vérifier que l’offre du printemps n’était pas non plus inexistante.

Par ailleurs, le problème vient aussi de l’endroit où sont montrés les films, un choix qui en dit parfois long sur la vision que la sélection officielle a de l’animation. Quand l’ACID choisit de mettre Linda veut du poulet dans sa compétition, après avoir fait son ouverture avec La Jeune fille sans mains, le premier long métrage de Sébastien Laudenbach, en 2016, elle est dans son rôle : mettre en avant un bon film sans se soucier de son format. À vrai dire, on n’en demande pas plus. De la même manière, on est également très curieux de voir comment vont s’intégrer les parties animées par Pierre-Emmanuel Lyet dans le film de Marie Amachoukeli, qui fait l’ouverture de la Semaine.

Quand le comité du Festival de Cannes choisit de mettre un Pixar en clôture, en revanche, il envoie un message assez mitigé au milieu du cinéma d’animation. Déjà en se tournant vers un blockbuster, au détriment d’une animation d’auteur qui, elle, a pourtant besoin de soutien pour exister en salles. Ensuite, en lui octroyant la toute dernière projection du festival qui est certes prestigieuse, on parle tout de même de Pixar, mais se tient lorsque la majorité des professionnels ont quitté le festival. Difficile de ne pas soupçonner un manque de curiosité et d’audace vis-à-vis de la création animée tout comme un flagrant manque d’envie de jouer le jeu autrement que pour la forme.

De bonnes nouvelles pour l’animation ?

Même chose lorsque Mars express se retrouve sur la plage (deux ans après Le Sommet des Dieux). On n’a rien contre le cinéma de la plage, qui est une belle idée pour casser l’aspect protocolaire des projections cannoises. Mais est-ce vraiment le meilleur endroit pour montrer, et donc découvrir, un film pour la toute première fois ?

Enfin, il y a le cas de la fameuse séance Jeune public. C’est une telle tarte à la crème de cantonner l’animation dans les séances pour enfants qu’il aurait été étonnant que Cannes s’en abstienne. Cela étant, il est souhaitable de continuer à montrer des films d’animation aux plus jeunes – tant qu’on n’en fait pas une règle, et qu’on en montre aussi aux adultes. Par ailleurs, le choix du film de Pablo Berger (le réalisateur de Torremolinos 73 et Blancanieves notamment) dans cette case revêt, en l’occurence, un caractère presque audacieux, tant le film s’annonce à l’opposé de ce que l’animation jeune public propose parfois, à savoir des récits trépidants et surscénarisés. On devrait être ici dans une narration beaucoup plus contemplative et relâchée, par ailleurs sans réel dialogue, pour raconter l’amitié entre un chien et un robot. Comme quoi il peut y avoir des bonnes nouvelles concernant l’animation, y compris à Cannes !

Et il est vrai qu’il y a, cette année, quelques raisons de se réjouir, même s’il faut pour cela se tourner du côté des sélections de courts métrages. Le format court demeure le lieu privilégié pour l’animation, où sa diversité et sa créativité s’épanouissent le plus librement, et l’on en a cette année une démonstration avec la présence de 7 courts métrages d’animation très divers présents dans les différentes sections. Sans oublier un moyen métrage à La Cinef, Electra de la réalisatrice tchèque Daria Kashcheeva, qui avait été repérée en 2019 avec son film Daughter, nommé à l’Oscar du meilleur film d’animation.

C’est la sélection officielle qui bat tous les records avec pas moins de 4 films (sur 11) qui proposent un beau panorama du format : une comédie noire en volume avec Le sexe de ma mère de Francis Canitrot (La station animation), une fable écologique narrée par Marianne Faithfull avec Wild Summon (Invocation sauvage) de Saul Freed et Karni Arieli, La Perra de Carla Melo Gampert, un film colombien à l’esthétique singulière autour des difficultés de la condition féminine et enfin 27 de Florà Anna Buda (Miyu), qui avait été révélée à la Berlinale avec Entropia, et revient avec un récit intime et pop aux couleurs vives.

Bilan contrasté, peut mieux faire

A la Quinzaine des cinéastes, c’est Margarethe 89 de Lucas Malbrun (Eddy productions) qui porte haut les couleurs de l’animation. Situé en 1989 à Leipzig, le film revient sur cette période ambigüe des derniers jours du communisme à travers le personnage d’une jeune femme punk cherchant à affirmer sa liberté contre le système autoritaire en place. À noter qu’a également été montré le court métrage La Valise de Chloé Mazlo dans le cadre de La Quinzaine en actions, le dispositif d’accès à la Culture et d’éducation à l’image initié par la Quinzaine.

Enfin, à la Semaine de la Critique, où s’était distingué l’an dernier Ice Merchants de João Gonzalez, qui avait remporté le prix du meilleur court métrage avant de poursuivre sa carrière jusqu’aux Oscars, on retrouve deux courts d’animation. La saison pourpre de Clémence Bouchereau (Bandini films), réalisé avec la technique de l’écran d’épingles, raconte le quotidien d’un groupe de fillettes vivant libres au bord d’une mangrove, au rythme des saisons et des éléments naturels. Via Dolorosa de Rachel Gutgarts (Miyu) est un documentaire intime qui mêle les souvenirs d’adolescence de la réalisatrice à un portrait punk de la ville de Jérusalem.

Le bilan est donc, comme tous les ans, relativement contrasté. L’animation fait indéniablement sa place à Cannes, et l’on sent que certains mécanismes de blocage ont pu sauter lors de ces dernières années. Même si c’est juste par souci des quotas (et pour éviter nos articles rageurs, bien sûr), la Sélection officielle n’en est plus à totalement négliger le cinéma d’animation. D’accord, c’est toujours pour le laisser un peu en périphérie – mais on progresse. Et puis il faut reconnaître que s’il y a cette année un absent de poids sur la Croisette, à savoir Kimi-tachi wa dō ikiru ka, le dernier long métrage d’Hayao Miyazaki, cela n’est pas forcément imputable au festival qui aurait omis de l’inviter. La rumeur veut en effet que le maître japonais n’ait pas été très intéressé par un passage par la Croisette. Le film ne sera d’ailleurs pas plus à Annecy, et semble se concentrer sur sa sortie japonaise le 14 juillet. Dans les festivals comme ailleurs, rien ne fonctionne si l’amour n’est pas réciproque.

* pourcentage non contractuel