Cannes 2023 | Le théorême de Marguerite : l’éclosion réussie d’Ella Rumpf

Cannes 2023 | Le théorême de Marguerite : l’éclosion réussie d’Ella Rumpf

Marguerite est une jeune mathématicienne géniale qui n’a jamais douté de sa vocation. Jusqu’au moment fatal où une erreur de calcul change son destin… Entourée de mâles vaniteux et arrogants (sale milieu de matheux), elle décide alors de raccrocher les gants et met son cerveau au service du mahjong pour vivre une vie « normale ».

Avec un personnage féminin puissant et cérébral, ce film, très classique mais séduisant, est incarné par la fascinante Ella Rumpf (Grave, Tokyo Vice). C’est le centre d’intérêt du Théorême de Marguerite, surtout pour la plupart d’entre nous, ceux qui n’ont pas fait l’ENS et qui ne connaissent rien à la conjecture de Goldbach (même après avoir lu la notice wikipédia).

Avec ce personnage singulier, à part, obsédé par les maths, l’actrice livre une jolie performance tout en intériorité qui focalise notre attention, et avec, la caméra d’Anna Novion. Ella Rumpf en compose toutes les facettes, avec une aisance déconcertante : froide et simple, solitaire et lumineuse, différente et banale, déterminée et aliénée.

Marguerite ne vit que pour les chiffres et les équations. Se balade en chaussons dans son école, ne se dépare pas de ses lunettes, ne se soucie pas de ses sentiments. Quand elle est mise en face de l’échec de son raisonnement, le but d’une vie, elle vrille. Son monde s’effondre. Son égo se brise. Sa fierté est déchiquetée. Toute une vie invalidée.

« – Tout est mathématiques. – C’est ton mec? – C’est juste récréatif. »

Avec une réalisation soignée et de bonne facture, le scénario, bien ourlé et efficace, suit toutes les étapes de sa théorie sur l’émancipation d’une jeune femme, avec l’acquisition de son indépendance, l’adaptation à sa vie amoureuse (Julien Frison, brillant sociétaire de la Comédie-Française, à suivre fissa), et l’esprit de revanche qui va de nouveau la propulser devant un tableau noir à crayonner sa solution à tous ses problèmes.

De la suite logique dans les destinées

Anna Novion aurait pu se satisfaire d’un feel-good movie autour d’une femme qui découvre que la vie n’est pas qu’une suite logique avec ses dérivées. Fric, danse, alcool, drague (drôle) : Marguerite se décoince (subtilement) en flirtant avec le réel (du XIIIe arrondissement). Le théorème de Marguerite prouve de manière convaincante qu’il faut avoir une âme de combattante pour conquérir sa place dans une arène compétitive, peuplée de vieux, de frustrés, et de dominants.

Dans ce grand huit, où elle va plonger dans les abysses, traverser de mauvaises passes et perdre pieds (et peut-être la tête), la jeune savante doit se battre contre son mal intérieur et ses mâles extérieurs.Si l’on est jamais surpris, on reste agréable séduit par cette héroïne invisibilisée, qui risque sa raison pour un raisonnement. Sa passion obsessionnelle l’a fait basculer vers la folie, dans un huis-clos qui pourrait rappeler Répulsion ou In the Mouth of Madness, en version grand public.

Certes, on aurait aimé un peu plus de complexité, un peu moins de vernis, un film plus allégorique et même fantasmagorique. Mais la réalisatrice réussit sa démonstration en restant dans son périmètre : à l’image de sa mathématicienne, elle veut mettre de l’ordre dans l’infini, quitte à mettre du désordre dans son esprit. Le propre de l’existence. On ne peut pas tout expliquer, pour l’instant, mais il faut accepter que tout n’est pas logique, heureusement. C’est une théorie du mouvement. Un langage propre à chacun. Ce que sont finalement les mathématiques.