Cannes 2023 | Creatura, Elena Martín Gimeno titille la Quinzaine des Cinéastes

Cannes 2023 | Creatura, Elena Martín Gimeno titille la Quinzaine des Cinéastes

Elena Martín Gimeno revient sur les expériences marquantes d’une femme particulièrement mal dans sa peau et souligne l’inconfort que la sexualité féminine crée dans un cadre familial — et surtout auprès des hommes. Une oeuvre déroutante et captivante !

« J’ai la zézette qui palpite » 

Mila et son compagnon Marcel s’installent dans la maison familiale d’été, dans un village de la Costa Brava. Après une dispute, elle se remémore certaines étapes clés de son adolescence qui vont l’aider à comprendre l’origine de ce qui l’a empêchée de faire la paix avec son propre corps durant toutes ces années… 

Dès la scène d’ouverture, le ton est donné : la mère de Mila entre dans une chambre, alors que celle-ci est affairée à regarder sa vulve avec une lampe torche à un très jeune âge… Et cet intérêt pour cette partie de son corps ne va pas tarder à devenir centrale. Du plaisir qu’elle prend au moment de la pénétration avec Marcel aux démangeaisons qui la lancent de manière aléatoire, il ne fait aucun doute que Creatura va traiter en long, en large et en travers des tourments que le sexe de Mila lui causent. 

C’est tout l’enjeu de ce drame : montrer à voir les répercussions qu’un mal-être individuel peut avoir à l’échelle d’un groupe, en l’occurence d’une famille. Pendant 1h52, la réalisatrice de Jùlia ist se permet des allers-retours entre le présent et le passé pour illustrer différents traumas et leurs conséquences. Avec pour objectif principal de pointer du doigt le malaise que le sexe féminin (et plus généralement la sexualité féminine) génère auprès de la gent masculine. 

Nous avons ainsi Marcel, un homme profondément amoureux mais qui perd pid dès lors qu’il comprend qu’il ne maîtrise jamais la situation au lit. Vient ensuite le père de Mila, troublé à l’idée que sa petite fille sautillant sur lui puisse lui provoquer une érection. Une situation que l’un des oncles de Mila connaît au beau milieu d’un repas de famille… donnant lieu à un moment de malaise comme en voit pas assez au cinéma.

Et c’est sans compter les garçons que croisent Mila alors adolescente : à cette âge-là, les filles qui ne couchent pas sont cataloguées comme laides et celles qui couchent sont des salopes. Comment, dès lors, ne pas développer un sentiment de culpabilité face à des pulsions sexuelles incontrôlables et incompréhensibles (pour la plupart d’entre nous) ?

1 problème… 1000 causes ?

Si la caméra d’Elena Martín Gimeno est précise, la narration claire et le montage précis (il ne faut pas être devin pour comprendre que si une adolescente est appelée Mila à l’écran, c’est que nous sommes dans un flash-back), il faut admettre que Creatura a tendance à laisser un gout d’inachevé à l’endroit de la cause. En effet, le problème a beau être clairement identifié, le spectateur a difficilement le temps et la possibilité de comprendre ce qui est à l’origine de cet inconfort.

Et ce notamment parce que les raisons semblent diverses (et donc parfois un peu confuses…) Mila l’enfant se gratte-t-elle à cause des fruits qu’elle a une fois mis dans sa culotte ? Mila l’adolescente a-t-elle besoin de montrer son sexe à des inconnus via une webcam parce que ses hormones la travaillent jour et nuit ? Mila l’adulte est-elle une « obsédée sexuelle » ou simplement une femme bourrée de désirs ? 

Autant de question auxquelles la réalisatrice ne répond pas complètement, laissant planer un doute qui a le don d’en agacer certains. (Je vous laisse deviner quelle partie du public assurera volontiers n’avoir rien compris au film…) Et c’est peut-être là que se situe l’exploit de Creatura : développer des situations, poser des questions et laisser chacun libre de son interprétation. Parce qu’il y a autant de vulves qu’il n’y a de femmes, il y a très certainement autant de raisons d’être mal à l’aise avec son sexe. Précisons que le problème ne semble jamais être anatomique !

Vulves contre verges

De presque toutes les scènes, Mila fascine autant qu’elle intrigue. Creatura réussit à en faire un personnage complexe à toutes les étapes de sa vie, comme si son sexe avait très tôt défini le type de vie et donc de malentendus qu’elle allait rencontrer.

Elena Martín va plus loin : dès lors qu’elle s’intéresse au couple (celui de Mila et Marcel en particulier) et aux dynamiques hommes-femmes, elle est extrêmement juste. Issue d’une famille italienne traditionnelle, Mila doit rapidement adopter des codes qui lui sont propres afin de se protéger et d’éviter l’auto-détestation. Voilà pourquoi il est jouissif de voir comment son sexe à elle et ses désirs prennent de la place dans ses interactions alors que le cinéma nous a habitués à ce que la verge soit centrale pour toutes et tous.

Creatura se recommande avec précaution : nous ne serons jamais tous réceptifs de la même manière aux mésaventures de cette femme extraordinaire (dans le sens littéral du terme). Mais cela n’empêche pas le film d’Elena Martín de permettre une réflexion des plus sérieuses et appréciables sur la manière dont on perçoit les désirs des filles et des femmes qui nous entourent. Voilà une sacrée leçon de vie qui n’a pas pas manqué d’exciter le public de la Quinzaine des Cinéastes !