Cannes 2023 | Vincent doit mourir : l’enfer c’est les autres ?

Cannes 2023 | Vincent doit mourir : l’enfer c’est les autres ?

L’idée est aussi simple que géniale : un homme risque de se faire agresser par n’importe quelle personne qui croise son regard. Le concept de base semble farfelu, mais Vincent doit mourir a l’intelligence de ne pas se reposer dessus. Car l’objet du film est moins l’apparition de cet étrange phénomène que ses multiples conséquences. Et elles sont nombreuses : ne pas comprendre, avoir peur, se méfier, s’isoler, se défendre, craindre les réactions des inconnus et des proches, voir même ne plus tomber amoureux… Assurément, l’enfer c’est les autres.

Du jour au lendemain, Vincent est agressé à plusieurs reprises et sans raison par des gens qui tentent de le tuer. Son existence d’homme sans histoires en est bouleversée et, quand le phénomène s’amplifie, il n’a d’autre choix que de fuir et de changer son mode de vie.

Le phénomène aussi improbable qu’il soit n’est pas pour autant trop fantasque : le début de sa manifestation est assez crédible pour qu’on y croit. Vincent travaille à son bureau quand soudainement un stagiaire vient lui mettre des coups d’ordinateur portable dans la gueule. Plus tard, c’est un comptable qui lui plante le bras à coups de stylo. Il se passe quelque chose d’anormal avec ses collègues. C’est une violence dont on peut encore chercher une explication rationnelle. Bientôt ce sont les enfants d’un voisin qui, brusquement, l’attaquent. Il est de plus en plus considéré comme responsable de ces accès de violence. Vincent comprend que son regard pourrait déclencher un moment de rage incontrôlable contre lui-même. Alors il doit partir…

« T’as pas l’impression des fois que le monde entier il t’en veut ? »

Le réalisateur Stephan Castang ose une savoureuse comédie d’humour noir oscillant entre survival et romance. Survivre devient une lutte et aimer se révèle être un combat.

Karim Leklou est impeccable dans ce rôle d'(anti)héros malgré lui. C’est particulièrement compliqué face à ses proches, notamment son vieux père chez qui il se réfugie. C’est encore plus compliqué quand il revoit cette jolie fille (Vimala Pons) rencontrée sur le parking d’un restaurant. Il y a cette sorte de malédiction qui implique que Vincent doit vraiment mourir, alors qu’il s’efforce de survivre.

Repli sur soi

Tous les moyens sont bon pour gérer autant que faire se peut son quotidien : se faire livrer à manger, se procurer un pistolet-taser, se servir d’une paire de menottes ou d’un marteau. Mais quand il se fait attaquer, c’est une lutte parfois sauvage pour se défendre. On se souviendra longtemps de cette bagarre mémorable dans la boue d’une fosse septique. L’absurdité de certaines situations fait rire, d’autant plus que le spectateur partage complètement les stratagèmes improvisés de Vincent.

En parallèle des mésaventures tantôt brutales tantôt désopilantes subies par le personnage, le scénario suggère subtilement ici ou là différentes allusions aux violences plus générales de la société actuelle. Le lien social avec autrui est une méfiance généralisée et un repli sur soi, le lien amoureux avec quelqu’un d’autre est une défiance avec des multiples protections.

À l’image de cette violence contextuelle, la situation peut dégénérer et devenir incontrôlable, jusqu’à se propager. Vincent doit mourir explore le délire d’une persécution imprévisible qui peut se produire tout le temps et partout. La mise en scène parvient à rendre cette agression permanente aussi inquiétante que drôle.

On n’est plus loin de l’apocalypse. Ce n’est pas l’ensauvagement qui effraie mais bien le fait qu’une société entière peut s’attaquer à un quidam simplement par ce que sa tête ne lui revient pas. Au moindre rergard, l’offense est potentiellement fatale. Toute ressemblance avec la « haine » actuelle n’est pas forcément fortuite.