Cannes 2023 | Chambre 999 : un audit passionnant sur l’état du cinéma

Cannes 2023 | Chambre 999 : un audit passionnant sur l’état du cinéma

Le cinéma dans son ensemble a été particulièrement bousculé ces dernières années, avec, notamment, l’essor des plateformes de streaming et une baisse du nombre de spectateurs en salles. Il y a une quarantaine d’années, c’était l’arrivée des des chaînes câblées payantes et de la vidéo qui avait remis son modèle économique en question.

Tout cela a des conséquences sur la nature même des films : un financement majoritaire par une chaîne de télévision implique souvent une durée standard avec une histoire consensuelle. En 2019, le réalisateur Martin Scorsese a dû se tourner vers le géant Netflix pour le financement de The Irishman, soit une œuvre de 150 millions de $, de 3h45, mais sans sortie sur les grands écrans. Tout cela pose des quantités de questions, et les cinéastes sont les premiers concernés pour ces mutations.

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C’était l’objet d’un documentaire Chambre 666 initié par Wim Wenders en 1982 avec les réalisateurs invités cette année-là au festival de Cannes. 40 ans plus tard, la réalisatrice Lubna Playoust a repris le même concept pour donner une suite à ces problématiques : Chambre 999. Ce nouveau documentaire invite divers intervenants tels Audrey Diwan, Davy Chou, Albert Serra, et Win Wenders.

Le dispositif filmique de Chambre 999 est identique à celui de Chambre 666 : l’intérieur d’une chambre d’hôtel avec une caméra posée devant un siège, l’artiste entre seul et s’exprime de la façon dont il souhaite, puis s’en va. Il doit répondre à deux questions :

« Le cinéma est-il un langage en train de se perdre ? »

« Le cinéma est-il un art qui va mourir ? »

Les intervenants forment ensemble le plus prestigieux des génériques : Wim Wenders, Audrey Diwan, Joachim Trier, David Cronenberg, Shannon Murphy, James Gray, Arnaud Desplechin, Lynne Ramsay, Asghar Farhadi, Nadav Lapid, Claire Denis, Davy Chou, Baz Luhrmann, Alice Winocour, Ayo Akingbade, Olivier Assayas, Paolo Sorrentino, Agnès Jaoui, Kirill Serebrennikov, Cristian Mungiu, Kleber Mendoça Filho, Albert Serra, Monia Chokri, Ninja Thyberg, Pietro Marcello, Rebecca Zlotowski, Ali Cherri, Ruben Östlund, Clément Cogitore et Alice Rohrwacher. Il s’agit des divers talents de l’édition de Cannes 2022. On regrette presque qu’aucune des personnalités du Chambre 666 de 1982 ne soit présente pour une suite à leurs propos, exception faite du réalisateur Wim Wenders.

Asghar Farhadi met l’accent sur le rituel de l’expérience collective de la salle de cinéma : se préparer à y aller, découvrir le film ensemble, en parler après et plus tard. Rien à voir avec le partage d’un film en streaming sur son ordinateur. Pour Clément Cogitore, peu importe le déploiement de grandes plateformes de streaming qui appartiennent à des grands groupes, dans le sens où il y aura de toute façon toujours un espace de marge pour proposer des créations différentes.

Audrey Diwan pointe un autre problème générationnel. En s’habituant au rythmes très courts des reels et stories des réseaux sociaux, les plus jeunes n’ont plus l’habitude d’une longue séquence de contemplation, ce qui a des conséquences sur l’écriture et le rythme d’un film.

La déchéance?

D’autres éléments sont évoqués, comme l’addiction à consulter son téléphone en détournant son attention de l’écran du film et comme le prix devenu trop cher d’une place de cinéma.

James Gray se montre particulièrement pessimiste. Pour lui, le cinéma tel qu’on l’a connu est en train de disparaître; ce qu’Arnaud Desplechin confirme en expliquant que le cinéma ne fait que déchoir.

Par rapport à Chambre 666 avec sa quinzaine d’intervenants en 1982 ce Chambre 999 est bien plus riche avec une trentaine d’invités, et on y voit davantage de réalisatrices et une meilleure représentation de différentes générations. Cette large variété de talents apporte un large éventail de réponses. Chambre 999 forme un passionnant état des lieux des problématiques actuelles.

On retiendra d’ailleurs cette remarque (im)pertinente : certains films visent davantage une certaine élite cinéphile et une sélection à Cannes plutôt que de s’adresser directement aux spectateurs. Il s’agirait finalement de renouer les fils de l’amour entre auteurs et public…